La France doit se positionner en faveur du maintien des sanctions européennes à l’encontre de la Birmanie

Dans une lettre ouverte adressée le 26 mars 2013 au Ministre des affaires étrangères et européennes, Monsieur Laurent Fabius, quatre organisations de la société civile ont appelé le gouvernement français à se positionner en faveur du maintien de la suspension des sanctions européennes à l’encontre de la Birmanie.
Les organisation signataires sont : la FIDH (Fédération Internationales des ligues des Droits de l’Homme) , le Secours Catholique, le CCFD-Terre Solidaire et Info Birmanie.

Le 26 avril dernier, le Conseil de l’UE, en sa décision 2012/225/PESC, suspendait la plupart des sanctions prises à l’encontre de la Birmanie et spécifiait que cette suspension devait courir jusqu’au 30 avril 2013. En suspendant ses sanctions, l’UE précisait clairement les progrès qu’elle s’attendait à voir en réponse. Les conclusions du Conseil statuaient:

« L’UE attend toujours la libération sans condition des autres prisonniers politiques et la levée de toutes les restrictions imposées à ceux qui ont déjà été libérés. Elle espère que le conflit prendra fin, que l’accès à l’aide humanitaire s’améliorera considérablement, en particulier pour ceux qui sont victimes du conflit dans l’État de Kachin et le long de la frontière orientale et, en outre, que le statut des Rohingyas sera examiné et que leurs conditions de vie seront améliorées.»

Or, en dépit d’indéniables avancées réalisées par ailleurs et que l’UE se doit d’encourager, ces progrès n’ont pas été réalisés.

Tout d’abord, des centaines de prisonniers politiques sont toujours en prison et la grande majorité de ceux qui ont été libérés ont seulement été remis en liberté conditionnelle. Après sa visite en Birmanie en février 2013, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Birmanie a non seulement mis en évidence la détention continue des prisonniers politiques, mais aussi les témoignages toujours plus nombreux décrivant l’utilisation de la torture contre certains détenus. Parmi les personnes libérées, si les plus connues comme les membres de l’organisation Generation 88 ont pu recevoir des passeports, d’autres font toujours face à de sévères restrictions. U Gambira, par exemple, ne peut se rendre à l’étranger pour recevoir un traitement médical nécessaire pour soulager une maladie causée par les tortures subies en prison.

Les conflits armés n’ont pas cessé. Au mois de décembre 2012, l’Etat Kachin a connu la plus grave intensification du conflit depuis le début de la guerre en juin 2011. Dans cet État, l’armée birmane a utilisé avions de combat, hélicoptères et tirs de mortiers de façon répétée ciblant sans retenue les populations civiles. Ces actes peuvent être assimilés à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ils démontrent le refus des autorités birmanes d’engager un dialogue politique et de respecter les engagements pris en faveur de la paix.  Il faut aussi noter qu’en dépit de l’annonce de la fin des hostilités, l’armée birmane continue de lancer de nouvelles offensives.

L’accès à l’aide humanitaire ne s’est pas non plus «considérablement amélioré». Dans sa dernière résolution sur la Birmanie datant de novembre 2012, l’Assemblée Générale des Nations Unies a affirmé que les restrictions à l’accès humanitaire étaient contraires au droit international. Dans l’État Kachin, le gouvernement n’a pas tenu ses promesses répétées, n’ayant autorisé que des visites ou des convois ponctuels dans les zones sous le contrôle de l’Organisation d’Indépendance Kachin (KIA). Au cours de l’année écoulée, de nouvelles restrictions ont été introduites dans l’État d’Arakan, et même s’il faut noter des améliorations dans l’accès aux camps de déplacés internes, les restrictions sont toujours en place, entraînant des conditions de vie définies comme « désastreuses » par Valerie Amos, Secrétaire générale adjointe des Nations unies chargée des affaires humanitaires et coordonnatrice des secours d’urgence, lors de ses visites dans plusieurs camps dans l’État d’Arakan en décembre 2012/

Le critère d’évaluation final visé dans les conclusions du Conseil européen était « d’examiner le statut et d’améliorer les  conditions de vie des Rohingyas ». Ce critère n’a clairement pas été respecté, et le statut et les conditions de vie des Rohingyas se sont en fait considérablement aggravés l’an dernier à la suite de violences interconfessionnelles, qui se sont transformées plus tard en attaques systématiques contre les membres de cette communauté. Le gouvernement birman a non seulement échoué à garantir la protection et la sécurité des Rohingyas, mais a également encouragé les auteurs des actes de violence en les confortant dans leurs préjugés. Aucun effort notable n’a été déployé pour tenter de permettre aux Rohingyas déplacés par les violences de retourner dans leurs villages. En outre, les violences interconfessionnelles ont repris de plus belles, comme attesté ce mois-ci à travers les heurts à Meiktila.

Les conditions posées par le Conseil de l’UE n’ayant pas été rencontrées et la situation s’étant même aggravée à certains égards, lever les sanctions serait prématuré et nuirait à la crédibilité de l’UE.

Cette dernière n’a donc d’autre alternative cohérente que de confirmer sa précédente position et de réitérer son appel au gouvernement Birman pour la cessation des hostilités dans l’Etat Kachin, le libre accès humanitaire dans les zones de conflits, la libération de l’ensemble des prisonniers politiques et des propositions pour améliorer les conditions de vie des populations de l’ethnie Rohyinga.

Outre l’échec patent du gouvernement birman à répondre aux attentes de l’UE lors de la suspension des sanctions, d’autres problèmes très graves doivent être pris en considération avant leur assouplissement, notamment les problématiques telles que le changement constitutionnel, l’instauration d’un véritable dialogue politique menant à la réconciliation nationale, et la fin de l’impunité pour les violations des droits de l’Homme perpétrées. Par ailleurs, rien n’a été fait allant dans le sens de la justice, de la vérité et d’une prise de responsabilité, malgré l’appel lancé en ce sens par l’Union européenne dans les  conclusions du Conseil du 12 Avril 2011.

Si certains de ces enjeux relèvent d’une évolution à moyen terme et non celle d’une seule année, le fait que toutes ces questions restent sans réponse deux ans après l’investiture de Thein Sein est significatif d’un manque de volonté politique de les aborder et devrait poser question aux États membres. D’ailleurs, le Conseil des Droits de l’Homme a, le 21 mars, d’ores et déjà exprimé ses vives préoccupations en maintenant la Birmanie au point 4 de son agenda et en renouvelant le mandat du Rapporteur Spécial sur la situation des droits de l’homme en Birmanie.

 

Ce 22 avril prochain, le Conseil Affaires étrangères de l’UE se réunira pour décider de la suite à réserver aux dites mesures restrictives. Nous craignons que la levée prématurée des sanctions ne sape le processus de réforme en Birmanie, et recommandons en conséquence que l’UE évite de lever purement et simplement les sanctions pour privilégier une démarche davantage incitative consistant à prolonger pour un an encore la suspension des mesures restrictives concernées. La pression internationale a clairement joué un rôle moteur dans les réformes en cours. Par conséquent, assouplir la pression trop tôt risque de décourager la poursuite des réformes.

Nous demandons que lors des discussions au sein de l’UE sur la Birmanie, votre gouvernement veille à ce qu’il n’y ait aucun signe de relâche de la pression ou de normalisation des relations tant que ces graves préoccupations ne sont pas abordées et l’appelons donc à se positionner en faveur du maintien de la suspension des sanctions.

Souhayr Belhassen,
Présidente, Fédération Internationales des ligues des Droits de l’Homme

Bernard Pinaud
Délégué Général du CCFD-Terre Solidaire

Mathieu Flammarion
Président d’Info Birmanie

François Soulage
Président du Secours Catholique France