En Birmanie les minorités ethniques n’ont pas le cœur à célébrer la victoire d’Aung San Suu Kyi, elles aspirent seulement à la paix

En Birmanie les minorités ethniques n’ont pas le cœur à célébrer la victoire d’Aung San Suu Kyi, elles aspirent seulement à la paix

Trois semaines après les élections générales en Birmanie, la victoire écrasante du parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), est dans tous les esprits. La majorité des bamars, qui vit essentiellement dans la plaine centrale du pays, n’en revient toujours pas : ce rêve qui remonte à plus de vingt-cinq ans est enfin devenu réalité. La LND a remporté près de 80% des sièges en jeu et comptera une majorité absolue au Parlement National avec 59% des sièges (une fois les 25% des sièges réservés aux militaires pris en compte).

Dans un souci de maintien de la paix, Aung San Suu Kyi, a appelé ses sympathisants au calme et au respect des perdants. Quelques rassemblements ont été organisés suite aux élections mais la LND a volontairement écourté ces célébrations, et demandé au peuple de ne pas porter les symboles du parti. Le peuple birman a largement respecté ses consignes et célèbre donc sa victoire en silence, arborant des sourires significatifs et se lançant dans des conversions endiablées sur le futur.

L’enthousiasme des bamars contraste avec l’indifférence des minorités ethniques. L’équipe d’Info Birmanie s’est rendue dans l’État Kachin, et a constaté le pessimisme qui y régnait sur place. Les personnes vivant dans les zones contrôlées par l’armée kachin ou dans les villages exclus du vote pour « des raisons de sécurité » n’ont pas été en mesure de voter. Toutefois la majorité des kachins a participé au vote, y compris les déplacés internes pour lesquels le risque d’exclusion était élevé. Malgré quelques irrégularités, notamment sur les votes par anticipation, les responsables locaux considèrent que le jour des élections s’est bien passé.

Leur frustration ne réside donc pas dans l’organisation des élections, mais repose bien sur leur résultat. En effet, bien que les kachins aient largement voté en faveur de la NLD, il ne s’agissait pas d’un vote de soutien, mais d’un vote contre l’USDP. Le faible score des partis kachin, mais plus largement des partis ethniques, s’explique par la crainte que ces partis ethniques, non expérimentés et disposant de peu de ressources financières, ne puissent faire le poids face à l’USDP. De plus plusieurs partis ethniques s’étant présentés dans les mêmes circonscriptions, les leaders communautaires et religieux kachin ont préféré appelé leur peuple à voter à l’unisson pour la LND pour ne pas risquer de diviser leurs votes et laisser l’USDP remporter les sièges, comme cela a finalement été le cas dans l’Etat Shan.

Les minorités ont donc suivi les consignes de vote mais ne s’attendent pas à un réel changement.  Alors que les bamars aspirent à la démocratie, les minorités ethniques se préoccupent avant tout de la paix. La guerre civile qui oppose l’armée birmane aux groupes ethniques armés est le plus long conflit de basse intensité au monde et les civils sont bien sûr les premières victimes.

Les kachins et les shans ont conscience que l’armée a toujours une main mise sur la politique et que la victoire de la NLD ne sera pas suffisante pour mettre fin aux conflits. Leurs craintes ont été confortées peu avant les élections, car malgré la présence de plus d’un millier d’observateurs internationaux du monde entier dans le pays, l’armée birmane lançait de nouvelles offensives dans la région. Depuis un mois, attaques aériennes, viol et torture ont conduit plus de 10 000 nouvelles personnes à fuir leurs villages et à rejoindre les plus de 120 000 personnes qui vivent déjà dans des camps de déplacés dans la région. Les dirigeants du monde entier ont félicité le gouvernement birman pour la crédibilité des élections du 8 novembre, mais semblent avoir fermés les yeux sur les crimes de guerre qui ont eu lieu au même moment.

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Les kachins, tout comme les shans se sentent délaissés par les politiques des leaders politiques issus de la majorité bamar et pensent que le prochain gouvernement ne parviendra pas à mettre fin aux conflits armés. La LND qui s’est engagé à faire de la réconciliation nationale l’une de ses priorités, devra avant tout convaincre les militaires. Ce défi semble presque impossible dans la mesure où la constitution adoptée sous la dictature, leur garantit le contrôle  de l’armée, de la police et des frontières, c’est-à-dire des trois ministères impliqués dans les affrontements avec les groupes ethniques armés. De plus, après plus de soixante ans de conflit, l’armée refuse toujours de garantir aux minorités ethniques la reconnaissance constitutionnelle de leurs droits et une certaine forme d’autonomie qui leur permettraient de contrôler en partie leur territoire et leurs ressources naturelles. Pour résoudre les conflits durablement, la LND devra convaincre les militaires d’accorder aux minorités ethniques de réelles garanties politiques, en amendant la constitution. Mais les militaires disposent toujours d’un droit de véto à toute modification de celle-ci.

Les partis ethniques qui représentent 40% de la population n’ont remporté que 6% des sièges du Parlement. Ils ne seront pas en mesure de peser sur la politique de la NLD ni d’infléchir la position de l’armée et craignent que la domination de la LND ne constitue une menace pour eux : « Nous sommes très inquiets de voir avec quelle efficacité le prochain gouvernement LND va mettre en œuvre le système fédéral que tous les peuples ethniques appellent de leur vœux » (représentant d’un parti ethnique). Toutefois Aung San Suu Kyi a déclaré que certains membres des partis ethniques seraient invités à faire partie de son gouvernement. Outre la volonté de la LND, la paix semble finalement dépendre de la capacité d’influence d’Aung San Suu Kyi sur les militaires et le pays tout entier commence à se demander quels compromis celle-ci sera prête à faire.

Aung San Suu Kyi rencontrera le président Thein Sein et le Commandant en Chef des armées le mercredi 2 décembre, notamment pour aborder les questions de réconciliation nationale. Cette rencontre très attendue pourrait être cruciale pour l’avenir des minorités ethniques.

La Communauté internationale et notamment le gouvernement français, doivent exercer de véritables pressions sur l’armée birmane pour qu’elle accepte de coopérer avec le prochain gouvernement et mette immédiatement fin à ses offensives militaires et aux violations des droits de l’Homme, en prélude à un dialogue politique inclusif.