Apatride, la minorité musulmane Rohingya est l’une des plus persécutées au monde selon les Nations Unies. Ils seraient près d’un million en Birmanie, résidant en grande majorité dans le nord de l’État d’Arakan. Privés de leur liberté de mouvement, l’accès aux soins, à l’éduction ou encore au marché du travail leur est donc limité. Ils subissent une campagne de violence systématique, rythmée de pics de violences les poussant à l’exode.
Le dernier en date a débuté le 25 août dernier, avec des attaques de postes de contrôles, de postes de polices et d’une base de l’armée, menées par des individus soupçonnés d’avoir des liens avec le groupe insurrectionnel ARSA (l’Armée du Salutdes Rohingya d’Arakan). À la suite de ces attaques, les forces gouvernementales armées ont lancé une « opération de nettoyage » terriblement violente. Des témoignages recueillis par des observateurs de la situation font état d’abus similaires à ceux perpétrés après Octobre 2016, notamment des exécutions extra-judiciaires, des viols, des incendies intentionnels, des arrestations de masse ou encore des destructions de propriétés et de commerces. Alors que l’ONU avait documenté des violations des droits de l’Homme pouvant constituer des « crimes contre l’humanité » suite à ces exactions, la situation se répète, et l’armée continue d’agir en toute impunité.
Les marges de manœuvre du gouvernement civil
Il est nécessaire de rappeler le contexte politique birman. Alors que la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) – parti historique de l’opposition dont la leader est Aung San Suu Kyi – a remporté les élections de novembre 2015 et a pris ses fonctions au printemps 2016, les militaires détiennent toujours des pouvoirs importants. Et notamment sur les questions relatives à la sécurité. La constitution leur accorde le contrôle de trois ministères clés : le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Défense et le ministère des Frontières. De plus, 25% des militaires siègent au Parlement, ce qui leur accorde de fait un droit de veto sur l’amendement de la constitution qui nécessite plus de 75% des votes. Malgré le fait qu’un gouvernement civil soit à la tête du pays, ce sont eux qui prennent les décisions concernant la sécurité nationale, ce qui est un problème fondamental étant donné les exactions commises par les forces armées gouvernementales.
Le gouvernement civil a donc des marges de manœuvre limitées. Certes. Mais il a un devoir qu’il ne parvient pas à remplir : celui de protéger les populations civiles, sans distinctions. Le gouvernement élu doit prendre ses responsabilités, il devrait faire tout ce qui est en son pouvoir afin de répondre à ses exigences. D’autant que cette crise met en péril la transition démocratique et les perspectives de paix.
Malheureusement, le gouvernement de la LND prend une direction dangereuse, et s’enfonce de plus en plus dans le déni, s’éloignant ainsi de toute possibilité d’amélioration. Le discours anti-Rohingya, et la qualification par les représentants politiques de l’ARSA comme « organisation terroriste » attisent les tensions, alors qu’il est essentiel de les apaiser, de toute urgence. À cela s’ajoute l’interview d’Aung San Suu Kyi à la BBC au printemps dernier, récusant le terme de nettoyage ethnique qu’elle décrit comme un terme « trop fort pour décrire ce qu’il se passe ». Puis, récemment, c’est un « iceberg de désinformation » que dénonce la Dame de Rangoun, passant sous silence la violence des forces armées. Exhorter les médias de nommer les assaillants « terroristes », et déclarer que seuls les individus capables de prouver leur nationalité et leur résidence en Birmanie pourraient revenir, sont encore des éléments qui éloignent toujours plus la Birmanie d’une paix durable. Le plus irresponsable reste encore l’accusation publique de liens entre les organisations internationales humanitaires et les membres de l’ARSA, mettant en danger les populations civiles et les acteurs humanitaires.
Les événements démontrent la fragilité du gouvernement de la LND et son incapacité à avancer vers la paix et la démocratie… Cependant, n’oublions pas la responsabilité directe de Min Aung Hlaing, le Commandant-en-chef des Armées, qui donne les ordres aux militaires sur le terrain, accusés de multiples violations des droits de l’Homme qui pourraient constituer des « crimes contre l’humanité ». Ce dernier représente un réel obstacle aux évolutions indispensables à la Birmanie, et continue à opérer en toute impunité, malgré de lourdes accusations.
Quelles issues ?
En mars dernier, la 34e session du Conseil des Droits de l’Homme pour les Nations Unies a adopté une résolution mandatant une Mission d’établissement des faits. Cette mission, longtemps exigée par la société civile et finalement adoptée en mars, dispose d’un mandat international pour enquêter sur les violations des droits de l’Homme en Birmanie. Malheureusement, le gouvernement s’en est directement dissocié, refusant de coopérer. En juillet dernier, les visas des trois experts internationaux nommés pour cette mission ont été refusés. Pourtant, c’était la porte de sortie, pour avancer vers des solutions, en commençant par statuer sur les exactions commises par les militaires. Cela permettrait d’avancer vers la reconnaissance des droits des Rohingya. Parallèlement, l’application des recommandations issues de la Commission Consultative pour l’État d’Arakan dirigée par l’ex Secrétaire Général de l’ONU, renforcerait les évolutions. Les conclusions de cette Commission sont solides et franches, évoquant notamment la nécessité de la reconnaissance de la citoyenneté des Rohingya mais aussi la liberté de circulation. Cependant, cette Commission n’a aucun pouvoir contraignant : il faut compter sur la volonté du gouvernement birman. La vérification des allégations de violations des droits de l’Homme à travers la mise en place de la mission d’établissement des faits pourraient l’y entraîner.