Qui est le Vénérable W du film de Barbet Schroeder ?
Ashin Wirathu est un moine bouddhiste extrémiste qui alimente depuis plusieurs années la xénophobie et les attaques à l’encontre de la communauté musulmane vivant en Birmanie.
En 2003, il a été condamné à 25 ans de prison pour incitation à la haine raciale. Libéré en 2010 à la faveur d’une amnistie, il a pris la tête du mouvement 969 qui multiplie les discours de haine à l’encontre des musulmans et appelle au boycott de leurs magasins. Bien que les musulmans représentent environ 4% de la population du pays, Wirathu et le mouvement 969 les considèrent comme des menaces à l »identité » et à la « race » birmane, fondée sur le bouddhisme. Ils alimentent le rejet des musulmans en les assimilant aux massacres perpétués par les groupes terroristes, en affirmant que leur objectif est d’islamiser la Birmanie en épousant les jeunes birmanes et en les présentant comme le véritable danger pour la Birmanie.
Ses prêches ont alimenté les éruptions de violence de 2012 qui ont vu les communautés bouddhistes et musulmanes s’affronter dans plusieurs villes.
A la suite de nouvelles violences en 2013, le mouvement 969 a été interdit par les autorités. Pour contourner l’interdiction, Wirathu a reconstitué son mouvement autour d’une nouvelle organisation, Ma Ba Tha, l’association pour la protection de la Race et de la Religion, mieux structurée. A travers Ma Ba Tha, Wirathu a continué de déverser sa haine des musulmans, en s’appuyant sur un usage massif des réseaux sociaux.
Ma Ba Tha a notamment fait campagne pour l’adoption de mesures restreignant les droits des musulmans vivant en Birmanie. En 2015, le gouvernement a ainsi adopté les « lois sur la race et la religion » qui visent notamment à limiter le nombre d’enfants que peuvent avoir les couples musulmans et qui prétendent protéger les femmes bouddhistes épousant un homme musulman, notamment en leur interdisant de se convertir à la religion de leur conjoint.
Quelques jours après la présentation du film de Barbet Schroeder au Festival de Cannes, le 23 mai, Ma Ba Tha a été interdite par les autorités religieuses birmanes. Wirathu fait quant à lui l’objet d’une interdiction de sermon pour un an depuis le mois de mars.
Il n’entend pas pour autant être réduit au silence. Dès le 28 mai, il a créé un nouveau mouvement, la “Fondation Philanthropique Bouddha Dhamma”, essentiellement composé de laïcs pour contourner la décision de sa hiérarchie. Ceux qui le suivent vont donc pouvoir continuer leurs activités, sous une forme ou sous une autre.
Quels impacts sur les musulmans de Birmanie ?
La xénophobie de Wirathu et de son mouvement s’inscrit dans un contexte de marginalisation et de persécution des minorités musulmanes de Birmanie qui remonte à la fin des années 70.
A cette période, l’Etat birman a mis en place une politique visant à changer la composition démographique de l’Etat d’Arakan, peuplé majoritairement de musulmans, en encourageant l’installation de Birmans bouddhistes. Cette politique a entrainé le déplacement de nombreuses familles Rohingyas qui ont ainsi perdu accès à leurs terres.
En parallèle, la junte militaire a construit un discours autour d’une « identité nationale », identifiant certaines minorités ethniques comme étant birmanes, et excluant de fait les autres. Ce discours s’est traduit notamment par la loi sur la citoyenneté de 1982 qui dresse une liste de 135 minorités ethniques reconnues comme birmanes. Les membres des minorités non citées, dont les Rohingas, ont été déchus de leur nationalité birmane et ont été privés des droits associés au statut de citoyen.
A la fin des années 70 et dans les années 90, l’armée birmane a multiplié les violences contre les minorités musulmanes vivant en Birmanie, particulièrement dans l’Etat d’Arakan où elle a mené des rafles dans les villages, entrainant la fuite de plus de 200 000 personnes dans les Etats voisins, dont le Bangladesh.
Les discours de Wirathu ont alimenté les tensions entre les communautés bouddhistes et musulmanes qui ont abouti notamment aux violences de 2012 et de 2013. Beaucoup d’observateurs considèrent que Wirathu est la marionnette des anciens membres de la junte militaire. Ces derniers l’auraient laissé renforcer le sentiment anti-musulman au sein de la population birmane afin de pouvoir désigner un bouc émissaire aux difficultés que rencontrait le pays et pour détourner l’attention quant au manque de réformes de fond, dont le pays avait pourtant besoin Aujourd’hui, Wirathu continuerait d’être soutenu par une partie de l’armée qui souhaite déstabiliser et décrédibiliser le nouveau gouvernement[1] d’Aung San Suu Kyi, arrivé au pouvoir en 2016. La protection de la religion est devenue tellement importante pour une majorité des Birmans bouddhistes qu’elle constitue désormais un réel enjeu électoral et un gage de popularité certains. L’armée birmane se positionne donc depuis plusieurs années comme le principal garant de la protection du bouddhisme, laissant entendre que ce n’est pas le cas d’Aung San Suu Kyi et de son parti.
Lauréate du Prix Nobel de la paix en 1991, Aung San Suu Kyi est pourtant largement critiquée par la communauté internationale pour ne pas avoir dénoncé les violences commises à l’encontre des musulmans, notamment par l’armée birmane. Son gouvernement n’a même rien fait pour permettre à l’aide humanitaire d’être acheminée dans l’Etat d’Arakan. Aung San Suu Kyi, autrefois connue pour son combat pour les droits humains, montre depuis quelques années un nouveau visage : celle d’une femme politique, silencieuse sur les sujets sensibles pour ne pas mettre en péril sa popularité.
En octobre 2016 l’armée birmane a pourtant lancé une longue offensive de plusieurs mois dans l’Arakan entrainant de nombreux meurtres, viols et actes de tortures commis par l’armée birmane ainsi que la fuite de plus de 70 000 Rohingyas au Bangladesh. Dans un rapport publié en février 2017, le Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies qualifie cette offensive de « nettoyage ethnique » et considère qu’elle s’apparente très certainement à un crime contre l’humanité.
Pourquoi parle t-on particulièrement des Rohingya ?
Dans ses prêches, Wirathu cible particulièrement les Rohingya, une des minorités musulmanes de Birmanie vivant dans l’Etat d’Arakan, dans le Nord ouest du pays.
Les autorités birmanes ne reconnaissent pas les Rohingya comme étant une minorité ethnique birmane. Ils sont apatrides dans leur propre pays et sont victimes de restrictions familiales, religieuses et culturelles et leurs déplacements sont contrôlés. Ils n’ont ainsi pas accès à l’éducation et à la santé, et leurs perspectives économiques sont sévèrement restreintes. Ils sont opprimés depuis les années 70 par l’Etat birman mais également par une part importante de la population.
Depuis la fin des années 70, la multiplication des violences contre les Rohingya et les atteintes à leurs droits ont poussé des centaines de milliers d’entre eux à fuir dans les Etats voisins, notamment au Bangladesh et en Thaïlande, où ils deviennent la cible de passeurs et sont victimes de traitements inhumains et dégradants, d’esclavage et de meurtre.
Plus de 300 000 d’entre eux s’entassent dans des camps à l’extérieur de la Birmanie, notamment au sud du Bangladesh, vivant dans une grande précarité[2].
L’ONU a reconnu les Rohingya comme l’une des minorités ethniques les plus persécutées au monde. Le 24 mars 2017, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution sur l’envoi d’une « mission internationale indépendante » en Birmanie pour enquêter sur les exactions commises par l’armée contre les Rohingya ces derniers mois. La liste des faits reprochés à l’armée birmane est longue: détention arbitraire, exécutions extrajudiciaires, torture, traitements inhumains, viols, déplacements et disparitions forcés, ainsi que la destruction illégale de biens[3].
[1] REDIVO, Juliette, « Que devient Ashin Wirathu, le moine islamophobe, sujet du film choc de Barbet Schroeder ? », Les Inrocks, 11 juin 2017.
[2] WRIGHT, Rebecca, » The ‘silent crisis’ of Rohingya refugees in Bangladesh, CNN, 19 avril 2017.
[3] « Violences contre les Rohingyas: l’ONU lance une mission d’enquête en Birmanie », RFI, 24 mars 2017.
Par Marine Tagliaferri