Birmanie : dangereuse escalade des violences dans l’Etat d’Arakan

Birmanie : dangereuse escalade des violences dans l’Etat d’Arakan

L’attaque de plusieurs postes frontières avec le Bangladesh, le 9 octobre, ayant fait 9 victimes parmi les forces armées a entraîné une répression sur la population musulmane de l’État d’Arakan déjà très marqué par des tensions ethnico-religieuses où vivent des dizaines de milliers de rohingyas. Cette minorité musulmane est persécutée depuis des décennies et particulièrement depuis la reprise des violences en 2012. La situation s’est très rapidement détériorée. Des cortèges de familles ont fui la ville de Maungdaw, épicentre de la répression militaire, transportant les maigres biens qu’ils ont pu rassembler. Des centaines de fonctionnaires bouddhistes ont été évacués, les écoles ont été fermées et un couvre-feu a été instauré dans le nord de l’État.

Sous prétexte de chercher les attaquants des postes frontières, les forces militaires et policières de l’Arakan pourchassent les populations civiles musulmanes, incendiant et pillant leurs maisons et leurs villages.

Le bilan est pour le moment difficile à établir. Les médias parlent d’une quarantaine de morts bouddhistes et musulmans lors des conflits tandis que les organisations Rohingyas évoquent une centaine de victimes. Au moins 5 villages Rohingyas ont été incendiés et les soldats birmans ont annoncé avoir tué dix hommes armés dans des affrontements dans la région.

Depuis vendredi 14 oct, des milliers d’habitants terrifiés tentent par tous les moyens de fuir les violences dans l’Etat d’Arakan, une région en proie à de vives tensions entre bouddhistes et musulmans. Source STR/AFP.

Un témoin des attaques du village de Kyet Yoe Pyin raconte  qu’ « une centaine de maisons a été incendiée jeudi par l’armée birmane. Certains habitants ont eu des brûlures et d’autres ont été blessés par balles. […] Plusieurs personnes ont aussi été arrêtées. Par ailleurs, une centaine d’autres maisons auraient été brûlées ce matin (vendredi) dans le village. »

Même sans violence directe, les effets de la répression se font sentir au-delà de Maungdaw. En raison du couvre-feu et du blocus militaire, la population commence à faire face à de graves pénuries de nourriture, de médicaments et autres produits essentiels faisant craindre de graves problèmes humanitaires.

Le risque que la répression s’aggrave existe bel et bien, les autorités n’hésitant plus à parler de terrorisme islamique depuis la publication sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant un homme, originaire de l’Arakan, appelant au Jihad. Certains responsables n’ont pas hésité à accuser publiquement la Rohingya Solidarity Organisation, d’être l’auteur des attaques. Cette organisation serait inactive depuis les années 90 mais la police affirme avoir découverts des drapeaux à son nom.

L’absence de réaction des hautes autorités est criante face à ces exactions et permet à la haine anti-Rohingya de proliférer.  Comme à son habitude Aung San Suu Kyi est restée silencieuse et très distante sur cette question, assurant que « tant que nous ne sommes pas sûr de ce qu’il s’est passé, nous n’accuserons personne ». Cette situation laisse le champ libre aux incendiaires et aux provocateurs, comme le moine extrémiste Wirathu (leader de Ma Ba Tha), qui inonde les réseaux sociaux de messages haineux envers les musulmans.

Que les crimes commis contre les forces de sécurité fassent partie d’une attaque terroriste bien organisée avec des connexions internationales – comme les autorités le suggèrent – ou qu’elles soient le résultat de la frustration engendrée par des années de persécutions et de discours de haine, – selon certains représentants rohingyas – les conséquences immédiates sont terribles. L’armée démontre sa capacité à réprimer, à tuer et à incendier. De plus, elle a désormais une excellente justification de sa présence et de ses actions dans l’État d’Arakan.

Quoi qu’il en soit, laisser la minorité rohingya vivre dans les conditions abominables qu’elle connait depuis plus de 4 ans est une menace pour la stabilité de la région mais également du pays. Le gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie doit cesser d’ignorer la situation et agir pour rendre aux rohingyas les libertés fondamentales auxquels ils ont droit. Plutôt que de laisser l’armée réprimer les civils, il doit s’appuyer sur le système judiciaire afin de mener une réelle enquête en vue de condamner les responsables des attaques. Enfin, il doit lutter contre les extrémistes bouddhistes qui entretiennent ces violences et qui manipulent les tensions religieuses à leur avantage.

Article écrit par Quentin Vilsalmon