Birmanie : le droit international peut-il rendre justice aux Rohingya ?

Birmanie : le droit international peut-il rendre justice aux Rohingya ?

En avril dernier, Madame Fatou Bensouda, procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) a demandé à la CPI de statuer sur sa propre juridiction territoriale au sujet de la déportation de la minorité Rohingya de la Birmanie vers le Bangladesh. Bien que la Birmanie ne soit pas partie au Statut de Rome, traité fondateur de la CPI, le procureur pose la question de savoir si la CPI pourrait exercer sa juridiction étant donné la déportation de Rohingya s’effectue sur le territoire du Bangladesh, pays qui partie au Statut de Rome. Une première pour cet organe juridique. Si la saisie de la CPI est essentielle, existe-t-il d’autres moyens juridiques de faire pression sur la Birmanie ?

Ils sont 720 000 Rohingya à s’être réfugiés dans les camps au Bangladesh, après avoir fui les persécutions de l’armée birmane dans l’état d’Arakan, en Birmanie. Un mot se propage alors : JUSTICE. A cette fin, tous les regards se sont tournés vers la Cour Pénale Internationale (CPI). Pour rappel, il existe trois possibilités afin que la CPI soit saisie. La première serait que la Birmanie le demande, ce qui est exclu étant donné les positions du gouvernement sur la question Rohingya. La seconde possibilité serait via une décision du Conseil de Sécurité, ce qui est également peu probable car la Chine et la Russie – membres permanents du Conseil disposant d’un droit de véto – y sont opposées.En outre, la Russie est l’un des principaux fournisseurs d’armes de la Birmanie et la Chine a toujours exercé sa protection diplomatique envers ce pays. Enfin, une saisine est également possible à l’initiative de la procureure si elle est approuvée par les trois juges de la Chambre préliminaire. Cette dernière solution pourrait être envisageable si la CPI dispose de la juridiction territoriale nécessaire quand des personnes sont déportées depuis le territoire d’un État qui n’est pas partie à la CPI directement à un autre territoire d’un État partie.

La compétence territoriale de la CPI en cours d’analyse

Dans une lettre adressée à Dhaka le 7 mai dernier, la CPI invitait « les autorités compétentes du Bangladesh à soumettre des observations, publiques ou confidentielles, au procureur sur trois questions spécifiques». Le Bangladesh a finalement envoyé des informations et des observations à la CPI, notamment afin de savoir si le tribunal pourrait avoir une juridiction territoriale concernant le déplacement des Rohingya. Pour autant la CPI est-elle la seule option ?

Lors de la Conférence internationale sur la situation du peuple Rohingya en Birmanie et au Bangladesh qui a eu lieu le 1er juin dernier à l’Assemblée nationale, à Paris, la possibilité de saisir la Cour internationale de Justice ou de proposer un mécanisme de responsabilité au niveau local ont été évoqués par un panel de spécialistes. Dommage que les politiciens français n’aient pas été recensés dans l’auditoire pour prendre part au débat. 

Conférence sur les Rohingya à l’Assemblée nationale ©PA

« Une justice pour les Rohingya menée par les Rohingya »

L’idée d’un mécanisme de responsabilité local a été amenée par Doreen Chen, en tant que procureur général du tribunal permanent des peuples sur la Birmanie en 2017 et consultante du programme Héritage du tribunal pour les Khmers Rouges du Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations-Unis, elle a travaillé sur les crimes de génocide et crimes contre l’humanité. « Le tribunal des khmers rouges est une cour nationale, mais il a été établi par les nations unies. Si ce dernier fonctionne depuis 11 ans, il a commencé à être discuté il y a déjà 21 ans. » L’idée serait alors de s’inspirer du tribunal pour les Khmers Rouges afin de le rendre effectif en Birmanie pour juger les crimes de génocide et crimes contre l’humanité. 

« Une justice de qualité pour les Rohingya sera une justice menée par les Rohingya », a déclaré cette juriste avant de peaufiner son propos « mais alors ils – les Rohingya – devront se poser ces questions : quel type d’issu juridique est souhaitable ? Un jugement détaillé reprenant la culpabilité de chacun des acteurs sur les bases des statuts de droits internationaux ou un jugement plus symbolique ? Il est vrai que si la première option est privilégié, de longues années seront nécessaires avant que justice soit faite et que chaque leader soit déclaré coupable. Pour établir la véracité des faits, il faut du temps. Il serait plus pertinent de regrouper les actions individuelles. Par ailleurs, si on conçoit un mécanisme de responsabilité, ce mécanisme doit-il avoir d’autres objectifs que la justice ? Dans le cas des Khmers Rouges, les personnes qui ont comparu devant le tribunal, comparaissaient également devant les cambodgiens ordinaires. Ces derniers pouvaient suivre la procédure et les audiences, cela permettant de renforcer l’état de droit dans le pays. Cette solution implique donc que le tribunal soit sur place et non à la Haye ».

Lors du tribunal permanent des peuples sur la Birmanie de 2017, la Birmanie avait été reconnue coupable du crime de génocide contre le peuple Kachin et d’autres groupes musulmans, y compris les Rohingya. Bien que les sentences prononcées restent symboliques, les avis émis se veulent basés sur la législation réelle et sont communiqués aux autorités. Si en 2017, cette assemblée a pu qualifier de génocide les sévices militaires en Birmanie, Ii semblerait alors que la communauté victime puisse arriver au même résultat si un mécanisme de responsabilité est établi dans le pays. 

Conférence sur les Rohingya à l’Assemblée nationale ©PA

Quel état osera saisir la Cour international de Justice ? 

Un second organe pourrait être saisi pour statuer sur le génocide en cours en Birmanie : la Cour international de Justice. Instituée par la Charte des Nations Unies en 1945, la Cour, qui a son siège à la Haye, se compose de 15 juges et règle les différends d’ordres juridique entre les Etats en se conformant au droit international. La CIJ peut également donner des avis consultatifs sur les questions juridiques que lui posent les organes et les institutions spécialisées de l’ONU.

Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour dans le cadre de la procédure contentieuse. Pour l’heure, 192 Etats membres des Nations Unies peuvent saisir la CIJ. « Certains Etats ont émis des réserves concernant cette saisi, mais ce n’est pas le cas de la Birmanie », affirme Monsieur Backer, doctorant WM Tapp au Gonville & Caius College de l’University of Cambridge, chercheur invité au Trinity College Dublin, ancien conseiller juridique associé de la Cour internationale de justice et rédacteur en chef du Yale Journal of International Law.

A la différence de la Cour pénale internationale et des tribunaux pénaux ad hoc, la CIJ ne peut juger les personnes physiques accusées de crime de guerre ou de crime contre l’humanité. Sans procureur, elle n’est pas susceptible de lancer des poursuites. Pour connaître un différend il faut que la Cour soit saisi par un ou plusieurs Etats, mais également que les Etats en cause aient accepté sa compétence. Ceci dit, le consentement peut s’exprimer de plusieurs façons. Deux ou plusieurs Etats en désaccord peuvent convenir de soumettre leur litige à la Cour. Il existe également des centaines de traités par lesquelles un Etat partie s’engage d’avance à accepter la compétence de la Cour si un différend surgit avec un autre Etat. Enfin, les Etats parties au Statut de la Cour peuvent émettre une déclaration unilatérale reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour à l’égard de tout autre Etat acceptant les même conditions. Il s’agit d’un système de clause facultative.  « La Birmanie en signant la convention de 1948 a établi de par l’article 49 de la convention, que les parties signataires pourront avoir leur différent traité par la Cour internationale de Justice », indique Mickael Backer avant d’ajouter « cela veut dire que les autres états ont le droit de traduire la Birmanie en justice ». Il n’y a aucune obligation pour l’État qui présente la demande d’avoir lui-même été blessé d’une manière ou d’une autre par le comportement de la Birmanie. Les arrêts rendus par la Cour ou l’une de ses chambres ont force obligatoire pour les parties en cause, ils sont définitifs et sans recours. Si contestation il y a, une demande d’interprétation est possible. 

Un autre point, et pas des moindres, à soulever concernant la CIJ, c’est son coût. Selon l’ancien conseiller juridique de la Cour internationale de justice, « économiquement, la saisie de la CIJ est ridicule par rapport aux autres mécanismes qui pourraient être mis en place ». Cependant, la présentation d’un dossier de la CIJ peut avoir des coûts politiques. Cela peut être perçu comme un acte hostile, non seulement par la Birmanie mais par d’autres Etats qui soutiennent son gouvernement. Il faut savoir qu’aucune garantie n’existe quant à la solution juridique finale. Même lorsqu’il existe des preuves abondantes d’actes terribles de violence et de cruauté, la tâche de démontrer l’intention génocidaire – c’est-à-dire l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe protégé – est très abrupte. Par exemple, le 2 juillet 1999, la Croatie a déposé une requête contre la République fédérale de Yougoslavie [Serbie] « en raison de violations de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », article IX de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. A noter que le crime de génocide comprend deux éléments constitutifs. Le premier est l’élément matériel, à savoir les actes qui ont été commis (lesquels sont énoncés à l’article II et comprennent notamment le meurtre de membres du groupe (litt. a)) et l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe (litt. b))). Le second est l’élément moral, à savoir l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. S’agissant de la demande de la Croatie, si les éléments matériels ont bel et bien été réunis, il n’avait pas été démontré que ces actes reflétaient une intention génocidaire (élément moral).

« Cette option n’est pas forcément la solution miracle car car les états sont frileux quant à introduire une affaire en justice contre un autre état. C’est une logique diplomatique. Derrière une prise de position, il peut y avoir des conséquences économique avec les états « alliés » du pays attaqué contre l’état attaquant. Cependant introduire cette demande serait un moyen de mettre une pression sur le pays ».

En tant qu’organe consultatif, la CIJ pourrait proposer des opinions contraignantes. « Si aucun état n’a la volonté de de présenter la Birmanie devant la Cour, il a la possibilité de demander conseil. La question suivante pourrait être posé : Est-ce que la Birmanie porte une responsabilité de génocide ou de crime contre l’humanité ? Et quelles sont les conséquences légales ? », soulève Monsieur Backer. Contrairement au jugement, l’avis ne serait pas contraignant.

Selon l’article 103 de la Charte des Nations Unies, qui cible l’hypothèse du conflit entre le droit onusien et « un autre accord international », « en cas de conflit entre les obligations des membres des nations unies en vertu de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». Aussi, la CIJ ne pourra pas utiliser un accord autre que celui de la Charte des Nations Unies pour passer outre une décision du Conseil de sécurité. De même, il serait mal venu que le conseil de sécurité annule une décision de la CIJ. Cela porterait atteinte à la crédibilité de la justice internationale.

« Les difficultés (juridique et politique) ne signifient pas nécessairement que la poursuite d’une affaire n’aura pas un impact politique fort ou ne servira pas d’autres fins. L’introduction d’une affaire de la CIJ obligerait la Birmanie à répondre aux allégations très graves d’atrocités de masse dans un cadre judiciaire formel. Les procédures elles-mêmes seraient l’occasion de faire la lumière sur tout ce qui s’est passé, y compris les efforts du régime pour réécrire l’histoire », a souligné John Packer, professeur de droit à l’Université d’Ottawa au Canada et rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit des personnes en Birmanie, lors d’une interview pour RFI. 

P.A.