Birmanie :                              vers une extension de la guerre civile ?

Birmanie : vers une extension de la guerre civile ?

Un nombre de déplacés qui ne fait qu’augmenter

Selon les données du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU publiées en mai 2021, environ 61 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur de la Birmanie et 12 000 autres ont cherché refuge dans les pays voisins depuis le coup d’Etat du 1er février. Le HCR souligne qu’ “au cours de la première quinzaine de mai, de violents combats entre les forces armées et les organisations armées ethniques (EAO), en particulier dans les États Kayin, Kachin et Chin, ont tué des dizaines de combattants et déplacé à l’intérieur du pays des milliers de civils. »  Depuis lors, des données plus récentes publiées le 1er juin indiquent que ce sont entre 85 000 et 100 000 personnes qui ont été déplacées dans l’état Kayin en raison des hostilités.

Les déplacés internes que compte la Birmanie se trouvent majoritairement dans le sud-est du pays, puis dans les États Kachin et dans le nord de l’état Shan. Mais des milliers de personnes seraient également déplacées à l’intérieur de la Birmanie, dans l’état Chin et la région de Sagaing.

Comme le souligne MSF, “cette situation est due en grande partie à une résurgence des conflits dans les régions frontalières… principalement entre l’armée et les groupes armés de minorités ethniques, mais aussi, de plus en plus, avec les forces de défense populaires pro-démocratiques.”

Les OEA face à la junte : les offensives se multiplient

En mai, de nouvelles belligérances entre des organisations ethniques armées (OEA) et la Tatmadaw sont apparues, s’agrégeant à d’autres qui se sont poursuivies. Des sept Etats fédéraux que compte le pays, seuls les états Arakan et Môn ne sont pas le théâtre d’affrontements armés.

Dans sa lutte asymétrique contre la junte, la Kachin Independence Army (KIA) s’en est notamment prise à des camions citernes transportant du kérosène, galvanisant ses troupes et empêchant la Tatmadaw de mener les attaques aériennes qu’elle avait prévues dans le but de reprendre des bases stratégiques perdues au cours du mois dernier, à l’instar de la montagne d’Alaw Bum.

Toujours dans le nord du pays, la “Three Brotherhood Alliance Army” — l’alliance de l’Arakan Army (AA), la Ta’ang National Liberation Army (TNLA) et la Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA) — continue de combattre la junte autour de la ville de Kutkai. Les nombreuses OEA de l’état Shan sont cependant désunies. Elles ne parviennent pas à se coordonner pour lutter d’une seule et même voix contre la junte.

La United Wa State Army (UWSA) ne semble aucunement inquiétée par la tournure que peuvent prendre les événements et reste, au même titre que la National Democratic Alliance Army (MNDAA), très silencieuse depuis le coup d’Etat du 1er février. Ces deux OEA sont lourdement impliquées dans le marché noir issu de la région du Triangle d’Or et semblent profiter du chaos post-putsch.

Pour ce qui est de la Shan State Army-South (SSA-S), qui a récemment combattu la TNLA, les dissensions qui l’opposent depuis l’Accord national de cessez-le-feu de 2015 à la Shan State Army-North (SSA-N) ont pris une tournure plus violente et pourraient embraser davantage encore un état Shan déjà déchiré par la guerre. La division qui règne au sein des OEA de l’état Shan est regrettable, car un front uni de ces OEA pourrait constituer l’une des clefs de la désintégration de la junte.

A l’est du pays, dans la lignée des violentes batailles du mois d’avril, la Karen National Liberation Army (KNLA) poursuit sa lutte contre le Conseil administratif d’Etat (SAC), le gouvernement formé par les putschistes suite à leur prise du pouvoir. Les combats ont lieu principalement dans l’état Kayin, mais également dans la régions de Thanintaryi et de Bago, où la KNLA est aussi présente.

Mais c’est une autre OEA, la Karenni People’s Defence Force (KPDF) de l’état Kayah, qui a fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours s’agissant des combats ayant éclaté dans les régions orientales de Birmanie, dans les états Kayah et Shan. Lors d’affrontements de haute intensité le 23 mai, la KPDF a tué environ 40 soldats d’une Tatmadaw humiliée, qui a notamment envoyé l’un de ses hauts dignitaires en renfort, afin de remobiliser les troupes et de tenter de mater ce nouveau belligérant, en ayant notamment recours à des frappes aériennes.

A l’ouest du pays, la Chin National Front (CNF) s’est officiellement rangée auprès du gouvernement d’unité nationale (NUG) en résistance pour « anéantir » la junte, tandis que la Chinland Defence Force (CDF), une OEA formée fin avril par des civils issus du mouvement de désobéissance civile (CDM), est engagée dans une lutte contre la Tatmadaw certes asymétrique, mais très efficace.

L’intensification des hostilités dans l’état Chin contraste fortement avec l’absence totale d’escarmouches dans l’état voisin de l’Arakan, qui a pourtant été le lieu de certaines des plus violentes belligérances ces dernières années. Dépourvu d’affrontements armés, l’Arakan n’est en revanche pas à l’abri d’une grande désunion au sein de ses dirigeants et de ses OEA. Certains combattants arakanais se sont en effet joints à la KNLA et participent à la lutte armée contre la Tatmadaw dans l’est du pays.

La résistance civile se radicalise et prend les armes

A l’approche du mois de juin, la Birmanie abrite désormais une kyrielle de conflits armés entre OEA et pouvoir central. Mais la junte fait face depuis la fin du mois d’avril à une nouvelle forme d’opposition, avec la radicalisation de la résistance citoyenne issue du mouvement de désobéissance civile (MDC). Un nombre croissant de manifestants issus du MDC ont pris les armes et s’engagent dans une lutte armée contre la junte.

La résistance civile armée multiplie les actes de sabotage, la pose de bombes artisanales, riposte avec les moyens du bord aux assauts des militaires et policiers à l’encontre des citoyens. Elle cible aussi des politiciens de l’USDP (Union Solidarity and Development Party), l’un des partis allié aux militaires. L’un d’entre eux a par exemple été tué par balles par des assaillants à moto le 27 mai. 

En tout état de cause, trois des sept régions du pays — Sagaing (principalement), Mandalay et Magwe — abritent d’intenses affrontements armés entre forces de sécurité de la junte et combattants agissant seuls ou se réclamant de la People’s Defence Force (PDF), formée le 5 mai par le gouvernement d’unité nationale (NUG) en résistance.

Les grandes villes du pays — notamment Yangon ou Bago — ont également été témoin d’explosions de bombes artisanales. Ces dernières visent principalement soldats et policiers, mais également des sympathisants du Conseil administratif d’Etat (SAC). Ce fut notamment le cas le 28 mai, lorsqu’une explosion eut lieu lors du mariage d’une figure réputée proche des partis ultra-nationalistes et des cercles proches de la junte.

Le mois de mai voit donc la Birmanie en proie à situation chaotique qui semble diriger le pays vers une guerre civile prolongée et incontrôlée, un scénario redouté par de nombreux observateurs dès le mois de mars…

Arjuna Lebaindre

31 mai 2021