Des massacres de villageois hindous perpétrés par l’armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA)

Des massacres de villageois hindous perpétrés par l’armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA)

Selon un rapport d’Amnesty International publié mardi 22 mai, des combattants de l’Armée du Salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA) sont responsables de deux massacres de la communauté hindoue dans l’état d’Arakan.  Au total, 105 femmes, hommes et enfants hindous pourraient avoir été tués. Les faits se sont déroulés fin août, durant la répression de l’armée birmane qui a poussé à l’exil plus de 700 000 membres de la communauté Rohingya.

S’appuyant sur des dizaines d’entretiens menés sur place et de l’autre côté de la frontière avec le Bangladesh, ainsi que sur des photos analysées par des médecins légistes, Amnesty International a exposé la manière dont les combattants de l’Armée du salut des rohingya de l’Arakan (ARSA) ont semé la terreur parmi les Hindous et d’autres minorités ethniques. L’organisation a mené des entretiens approfondis dans un camp de réfugiés hindou au Bangladesh en septembre 2017; dans la capitale de l’État d’Arakan, Sittwe, en Birmanie, en avril 2018, et par téléphone en mai 2018 avec huit survivants, cinq membres de la famille des victimes et trois hommes qui faisaient partie du groupe qui a découvert les fosses communes. Dans un communiqué de presse publié sur son compte Twitter et dans des réponses aux médias, l’ARSA nie toute implication.

« Notre dernière enquête de terrain jette une lumière indispensable sur les atteintes aux droits humains rarement dénoncées commises par l’ARSA pendant l’histoire récente effroyablement sombre de l’État d’Arakan », a déclaré Tirana Hassan, directrice du programme Réaction aux crises d’Amnesty International.

L’Armée du Salut des Rohingyas de l’Arakan

Connue sous le nom de Harakah al-Yaqin ou «mouvement de la foi», l’ARSA est apparue en octobre 2016 après avoir lancé des attaques à plus petite échelle, contre des postes de police dans le nord de l’État d’Arakan, provoquant une réponse militaire disproportionnée. Le groupe a été créé à la suite de violences entre les communautés bouddhistes et musulmanes dans l’État d’Arakan en 2012 et comprend un noyau de combattants, estimés à des centaines, ayant accès à des armes à feu et des explosifs. Le 25 août, l’ARSA a mobilisé un grand nombre de villageois Rohingya. Les villageois étaient armés d’armes blanches ou de bâtons. Bien qu’Amnesty International ait confirmé que certains villageois Rohingya avaient participé aux attaques de l’ARSA, l’écrasante majorité des Rohingya ne l’ont pas fait. Même dans les villages spécifiques où des attaques ont eu lieu, il ne fait aucun doute que la plupart des villageois n’ont pas participé aux attaques de l’ARSA.

Le 25 août 2017, Kha Maung Seik – Il est 8 heures du matin quand l’ARSA attaque les habitants hindous d’Ah Nauk Kha Maung Seik, une localité faisant partie d’un ensemble de villages appelé Kha Maung Seik situé dans la municipalité de Maungdaw, dans le nord de l’Arakan. À cet endroit, les membres de la communauté Hindoue cohabitaient avec les villageois Rohingya musulmans, ainsi qu’avec les membres de l’ethnie Rakhine, à majorité bouddhiste.

Des membres de l’ARSA ainsi que des villageois ont rassemblé 69  femmes, hommes et enfants hindous pour les dévaliser. Ils leur ont bandé les yeux avant de les faire marcher jusqu’à la sortie du village, où ils ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Quelques heures après, les combattants de l’ARSA ont exécuté 53 de ces Hindous, en commençant par les hommes. Les victimes comprennent 20 hommes, 10 femmes et 23 enfants, dont 14 âgés de moins de 8 ans.

Huit femmes hindoues et huit de leurs enfants ont été enlevés et épargnés, après que les combattants de l’ARSA aient forcé les femmes à accepter de se « convertir » à l’islam. Au moment des meurtres, aucune des victimes n’était armée ou ne mettait en danger la vie des combattants de l’ARSA ou des autres Rohingya.

Bina Bala, une femme de 22 ans qui a survécu au massacre, a déclaré à Amnesty International : « [Les hommes] étaient munis de couteaux et de longues barres de fer. Ils nous ont attaché les mains derrière le dos et bandé les yeux. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient. L’un d’eux a répondu : “Vous et les Rakhines, vous êtes pareils, vous avez une religion différente, vous ne pouvez pas vivre ici.” Il parlait la langue [rohingya]. Ils ont demandé quels biens nous avions, puis ils nous ont roués de coups. Finalement, je leur ai donné mon argent et l’or que je possédais. »

Les 16 survivants ont été retenus captifs dans une maison de la région deux nuits, avant d’être contraints de fuir aux côtés de leurs ravisseurs au camp de réfugiés de Kutupalong au Bangladesh. Peu de temps après leur arrivée au Bangladesh, le 28 août, les huit femmes hindoues ont été obligées de faire une fausse déclaration en vidéo, affirmant que le massacre avait été perpétré par des villageois rakhines. « [Un des ravisseurs] nous a dit que si quelqu’un demandait nous devrions dire que les Rakhine et l’armée nous ont attaqués « , a indiqué Bina Bala. Suite à la publication des vidéos sur Facebook, la communauté hindoue a alerté le Bangladesh qui a placé les survivants dans un camp de réfugiés hindous. Début octobre, les seize survivants ont été rapatriés en Birmanie avec le soutien des autorités du Bangladesh et de la Birmanie.

Le 25 août, Ye Bauk Kyar – Le même jour, dans un village voisin, 46 hommes, femmes et enfants de la communauté hindoue ont disparus. Pour l’heure, leur sort et leur localisation restent inconnus. Des membres de la famille et d’autres membres de la communauté hindoue du nord de l’État d’Arakan ont déclaré à Amnesty International qu’ils pensaient que l’ensemble du groupe avait également été tué par les mêmes personnes.

Le 26 août 2017, village de Myo Thu Gyi, – Les rebelles Rohingya seraient aussi responsables du meurtre de 6 hindous dans le village de Myo Thu Gyi : deux femmes, un homme et trois enfants. Les six victimes faisaient partie d’une famille élargie de douze personnes qui avaient fui le village d’U Daung, dans le canton de Maungdaw, après que des combattants de l’ARSA les aient menacées la veille. Après s’être réfugié pour une nuit dans la maison de l’administrateur ethnique du village, le groupe a été conduit à la périphérie de la ville de Maungdaw. Peu de temps après leur arrivée, une fusillade a éclaté entre l’ARSA et l’armée birmane. La famille hindoue s’est cachée dans un bâtiment voisin en construction. Selon les deux seuls survivants adultes, des hommes vêtus de noir et portant des fusils sont entrés dans le bâtiment et ont ensuite tiré sur le groupe à bout portant.

Phaw Naw Balar, 27 ans, est l’une des deux femmes qui ont survécu à l’attaque. Elle a déclaré à Amnesty International: «Les hommes en noir venaient du village de Myo Thu Gyi. Ils n’ont rien dit, ils ont juste commencé à tirer. Après leur départ, mes enfants pleuraient, alors je les ai emmenés à l’étage supérieur et nous nous sommes cachés dans un réservoir d’eau vide. Elle a expliqué qu’ils se sont cachés jusqu’à ce que les combattants de l’ARSA aient quitté la zone. « Quand je suis redescendu, j’ai vu les cadavres », se souvient-elle. « Six de mes proches étaient morts. Certains avaient été abattus à l’avant, dans l’abdomen et la poitrine, [et] d’autres dans le dos. Ma belle-soeur [Kor Mor La] a été abattu. J’ai essayé de la panser, puis nous sommes partis pour le check-point de trois milles. »

En plus du mari et de la fille de Kor Mor La, les combattants de l’ARSA ont tué Chou Maw Tet, 27 ans; son mari Han Mon Tor, 30 ans; le fils de 10 ans du couple, Praw Chat; et leur fille de 3 ans, Daw Maw Ne.

L’ampleur des violations des droits humains par l’ARSA est difficile à déterminer, en grande partie parce que les autorités du Myanmar continuent à restreindre l’accès au Rakhine. Le 23 septembre, des membres de la communauté hindoue du nord de l’État de Rakhine et des membres des forces de sécurité du Myanmar se sont rendus sur les lieux du massacre et ont déterré, au cours de deux jours, quatre fosses communes contenant au total les restes de 45 personnes du village de Kha Maung Seik.

En comptabilisant les victimes d’Ah Nauk Kha Maung Seik, de Ye Bauk Kyar et de Myo Thu Gyi  le nombre total de morts pourrait s’élever à 105 personnes.

Il est urgent que les Nations unies et des enquêteurs indépendants puissent se rendre sur place 

Il est important de rappeler que le 25 août 2017,  l’ARSA a également lancé une série d’attaques contre une trentaine de postes de sécurité de Birmanie ce qui a déclenché une campagne de violence illégale et totalement disproportionnée de la part des forces de sécurité birmane. Plus de 693 000 Rohingyas ont été contraints de fuir au Bangladesh, où ils demeurent réfugiés. Cette violente campagne répressive a été marquée par des homicides, des viols, des violences sexuelles, des actes de torture, des villages incendiés, des tactiques destinées à affamer et d’autres violations des droits humains qui constituent des crimes contre l’humanité au regard du droit international.

Amnesty International encourage le gouvernement à autoriser des recherches indépendantes dans l’état d’Arakan afin de lever le voile sur toutes les violations des droits humains qui y sont commises tant celles commises par l’armée birmane que celles de l’ARSA.

« Les épouvantables attaques de l’ARSA ont été suivies par la campagne de nettoyage ethnique menée par l’armée du Myanmar contre l’ensemble de la population rohingya. Ces agissements doivent être condamnés dans les deux cas – des violations des droits humains ou des exactions commises par un camp ne justifient jamais des atteintes perpétrées par l’autre camp », a déclaré Tirana Hassan

Selon le rapport d’Amnesty International, lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies la semaine dernière, le représentant permanent de la Birmanie a reproché à certaines personnes au sein des Nations unies de n’« écouter qu’une partie de l’histoire » et de ne pas reconnaître les atteintes aux droits humains commises par l’ARSA.

« Les autorités du Myanmar ne peuvent pas reprocher à la communauté internationale d’être partiale alors qu’elles lui refusent dans le même temps l’accès au nord de l’État d’Arakan. On ne connaîtra la véritable étendue des exactions de l’ARSA et des violations de l’armée du Myanmar que lorsque des enquêteurs indépendants spécialistes des droits humains, notamment ceux de la Mission d’établissement des faits de l’ONU, auront un accès libre et total à l’État d’Arakan », a déclaré Tirana Hassan.

Info Birmanie rappelle que les Rohingya de l’État d’Arakan subissent depuis des décennies une discrimination systématique de la part des autorités birmanes et que ces dernières sont reconnus comme crime contre l’humanité, et ce même avant les atrocités d’août 2017. Après les attaques du 25 août, ces violations et ces crimes ont atteint un sommet, avec des exécutions illégales, des viols et des incendies de villages à grande échelle, qui ont conduit la majorité de la population à fuir le pays. Rien ne peut justifier de telles violations. Mais de même, aucune atrocité ne peut justifier le massacre, les enlèvements et autres abus commis par l’ARSA contre la communauté hindoue.

Info Birmanie soutient également que les crimes commis par l’ARSA relèvent de la violation des droits humains. Ils devraient faire l’objet d’une enquête par un organe compétent et, si des preuves suffisantes et recevables sont trouvées, les responsables devraient être traduits devant des tribunaux civils indépendants, dans des procès conformes aux normes internationales. Les autorités du Myanmar doivent immédiatement permettre aux enquêteurs indépendants, y compris à la Mission d’établissement des faits de l’ONU, d’accéder pleinement et sans entrave à l’ensemble de la région, dans l’ensemble des violations des droits de l’homme et des crimes commis dans le nord de l’État d’Arakan.