Double discrimination, multiples conséquences:  les travailleuses migrantes birmanes en Thaïlande

Double discrimination, multiples conséquences: les travailleuses migrantes birmanes en Thaïlande

InfoBirmanie, en partenariat avec Terre des Hommes France (TDH), la Fédération Internationale Terre des Hommes (FITDH), et Foundation for Education and Development (FED) participe à un projet visant à réduire la vulnérabilité des migrants entre la Thaïlande et la Birmanie. Cet article d’InfoBirmanie est le second  d’une série mensuelle : retrouvez tous les mois une publication thématique pour rendre compte de la situation pressante des migrants birmans en Thaïlande et du contexte de cette migration.

28/05/2019

La féminisation de la migration Birmanie – Thaïlande

L’intensification sans précédent des migrations aujourd’hui s’accompagne d’une féminisation très importante de ces mouvements, y compris en Asie du Sud-Est. D’après le rapport Thaïlande 2019 de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), une demande accrue de main d’oeuvre dans des filières “féminisées” a accru le nombre de femmes migrantes dans la région de l’ASEAN, en particulier vers la Thaïlande. En effet, au moins 50.2% de la population migrante en Thaïlande sont des femmes, mais un grand nombre d’entre elles échappent à ces statistiques car les femmes sont surreprésentées dans le secteur informel par rapport aux hommes. On estime que 70% des 4 millions de travailleurs migrants en Thaïlande viennent de Birmanie, dont 43% seraient des femmes.

Traditionnellement, les femmes birmanes suivaient leurs maris dans leur parcours migratoire. Mais dû à la nécessité d’échapper aux conflits, à la pauvreté et pour subvenir aux besoins de leurs familles, elles sont de plus en plus nombreuse à partir indépendamment, même si leurs trajectoires restent majoritairement clandestines. Sous le régime militaire en Birmanie, les voies légales d’immigration étaient largement inaccessibles, notamment aux femmes de moins de 25 ans qui étaient interdites de voyager non-accompagnées et aux femmes d’appartenance ethnique. Ces voies se sont ouvertes à travers divers accords bilatéraux mais seulement pour certains secteurs valorisant une main d’oeuvre masculine, excluant donc les femmes des opportunités légales. Outre les restrictions sur les déplacements des birmanes apportées par les voies institutionnelles de migration, ces routes sont inabordables à cause des inégalités structurelles qui affectent les femmes. Le coût, la complexité et la durée des démarches administratives les découragent de toute perspective migratoire régulière.

Des inégalités de genre déterminantes

La précarité est très présente dans le quotidien des travailleuses migrantes birmanes. Bien qu’elles trouvent facilement du travail, elles sont majoritairement employées dans des postes non-qualifiés de manière informelle. En Thaïlande, 61% des birmanes travaillent dans des usines, de construction ou de textile par exemple, 15% dans l’emploi domestique et 24% sont travailleuses du sexe et dans le secteur des divertissements et du tourisme. Reléguées à des métiers dits “de femme” et sous-estimés, elles endurent des conditions de travail moins favorables que les hommes et sont en proie à l’exploitation et aux violations de leurs droits.

Dans les industries, la loi de protection du travail thaïlandaise qui garantit à tous les mêmes droits n’est pas appliquée. Les femmes migrantes n’ont pas accès aux postes de même statut que leurs homologues masculins, et les rares qui parviennent à des métiers plus spécialisés perçoivent des salaires bien moindres. De plus, les entreprises, souhaitant avoir accès à une réserve de main d’oeuvre migrante peu chère et facilement remplaçable, ont stratégiquement relocalisé leurs usines aux frontières entre les deux pays. C’est le cas de la région de Mae Sot, où beaucoup d’entreprises de vêtements se sont installées pour disposer facilement et sans contraintes de travailleuses. Ceci les soumet à une grande insécurité du travail car les employeurs ne les enregistrent pas volontairement et ces femmes sont donc dépourvues de droits basiques et d’accès aux systèmes de protection sociale.

Dans le domaine des services aux personnes, le travail domestique n’est pas reconnu par la loi, maintenant les travailleuses dans des situations d’illégalité et les exposant à de nombreux risques. La complexité des relations professionnelles soumet certaines femmes à des injustices et même à du travail forcé. Décrites comme “membres de la famille” et vivant sur place, les employeurs profitent de l’étroitesse des liens pour demander des services sans limites, tout en instaurant des frontières considérées comme nécessaires pour assurer l’hygiène et la séparation des classes sociales… Dans le travail du sexe, la criminalisation de la prostitution et la présomption que les femmes ne font pas le choix d’exercer ce métier mais sont plutôt victimes de trafic, les exposent à des risques de détention et de rapatriement lors des fréquents raids d’établissements. Bien que le trafic soit une problématique importante et que de nombreuses femmes deviennent victimes d’exploitation sexuelle, le travail du sexe en Thaïlande demeure l’un des seuls secteurs où les femmes peuvent espérer gagner plus que le salaire minimum. Pour autant, les conditions de travail sont très dures: pas de repos, des amendes pour les absences et les retards et un contrôle physique et vestimentaire sévère. Cependant, le stigma associé à cette occupation et la peur des répercussions empêchent les professionnelles qui le souhaitent de porter plainte contre leurs conditions de travail, et aux potentielles victimes de trafic de recourir à la justice.

Quelque soit le secteur, il est clair que les conditions de travail des migrantes birmanes se rapprochent de l’exploitation. Elles forment la catégorie en Thaïlande qui touche les rémunérations les plus basses si l’on croise les données par nationalité et par genre, et compensent ce manque par un nombre d’heures inhumain. Cela leur permet de renvoyer la même somme d’argent à leurs familles restées en Birmanie que les hommes, redoublant d’efforts, acceptant les conditions et sacrifiant leur bien-être.

La violence systémique à l’égard des travailleuses birmanes

Les travailleuses birmanes, surtout domestiques et du sexe, souffrent régulièrement de violences verbales, physiques et sexuelles. Isolées, occupant des rôles genrés, soumises à des relations de domination, elles sont extrêmement vulnérables à ces abus. Dans les usines, les femmes ne sont pas non plus à l’abri de violences car les travailleurs y sont logés dans des habitations communes. La sécurité et l’intimité ne sont pas respectées, avec des salles de bains collectives, peu d’éclairage, et l’impossibilité de fermer portes et fenêtres à clé. La seule garantie de protection que possèdent les femmes est la présence de leurs maris sur place, renforçant les stéréotypes de genre et leur dépendance.

Les femmes peuvent difficilement dénoncer ces atteintes en raison de la peur de représailles envers leur statut de migrantes et du jugement de la part de la communauté. A Mae Sot, les autorités reçoivent chaque année au moins 20 plaintes de viols ou meurtres de migrantes birmanes mais la police est inefficace dans le traitement de ces affaires. Elle extorque parfois même les femmes qui s’expriment, profitant de leur situation et justifiant leurs craintes.

La justice n’est pas le seul service public qui leur est quasi-inaccessible. Comme elles travaillent majoritairement de manière informelle et irrégulière, les travailleuses birmanes ne reçoivent aucune sécurité sociale et n’ont pas les moyens de souscrire au système de santé privé. La barrière de la langue les entrave et leurs mouvements sont souvent limités par la distance entre leurs lieux de travail ou de résidence et la ville, ainsi que par leurs employeurs qui leur interdisent tout déplacement en imposant un rythme de travail incessant. De ce fait, elles doivent se contenter d’auto-traitements, qu’importe la gravité de leur état. Ces obstacles affectent également leur santé sexuelle et reproductive, surtout chez les travailleuses du sexe, ce qui augmente les risques d’infections et de maladies sexuellement transmissibles et les grossesses non-désirées. Bien que cela soit interdit par la loi, les employeurs n’accordent pas de congé maternité et renvoient les femmes enceintes, les obligeant à « trouver une solution ». Comme l’avortement est illégal en Thaïlande, les femmes doivent interrompre leurs grossesses clandestinement, entraînant des complications qui peuvent être fatales. Le peu de femmes qui décident de garder leur bébé opte pour des accouchements dangereux au travail ou à domicile au vu des coûts exorbitants des centres et des hôpitaux. Le gouvernement thaïlandais est au courant et même complice de ces pratiques, soumettant les femmes à des tests de grossesse avant de leur accorder des permis de travail, et menaçant régulièrement de déporter les travailleuses enceintes.

Quid de la “safe migration” prônée par l’ONU?

Les travailleuses migrantes birmanes vivent dans un climat de peur et d’appréhension permanent. Elles subissent une double discrimination de par leur statut de femmes et d’étrangères qui les empêche de jouir de droits fondamentaux et elles sont menacées par tout type de violations et d’abus par leurs employeurs, les autorités  et leurs collègues. N’ayant aucun moyen de se protéger sans risquer des représailles, elles souffrent en silence de ce cercle vicieux d’instabilité et de dangers car leurs envois d’argent sont la principale source de revenus pour leurs familles. Il est donc indispensable d’instaurer une migration sûre, afin que ces femmes n’aient pas à se sacrifier. Les lois du travail thaïlandaises doivent protéger les droits inaliénables de ce groupe marginalisé et les accords bilatéraux entre la Thaïlande et la Birmanie reconnaître l’importance de leur travail. Soulever le voile d’invisibilité qui les recouvre permettra aux travailleuses birmanes migrantes de soutenir leurs familles sans mettre leur vie et leur dignité en péril.

Clara Sherratt