En Birmanie, la situation des travailleurs est inquiétante

En Birmanie, la situation des travailleurs est inquiétante

Le 13 janvier 2017, 200 employés d’une usine de textile de Rangoun se sont mis en grève pour demander que leur soit versés leurs salaires impayés. Cette action s’inscrit dans un rituel de  revendications salariales se déroulant chaque année en Birmanie. Les violations de leurs droits sont  trop fréquentes et de nouvelles lois sont aujourd’hui indispensables pour les protéger des abus de certains employeurs.

Depuis 2011, la Birmanie est en pleine transition démocratique et économique. L’ouverture du pays s’est traduite par la levée des embargos européens et américains et l’implantation de nombreux investisseurs  étrangers. La non réglementation autour de ces investissements dans un contexte où les populations les plus vulnérables n’ont que peu de protection peut entraîner de graves violations des droits de l’homme. En Birmanie, cela s’est traduit par la confiscation des terres à des paysans, la destruction de l’environnement et des violations du droit du travail. De plus, ces investissements ont produit un très grand nombre d’emplois non qualifiés, ce qui a accentué l’exode rural, particulièrement dans les zones industrielles.

C’est dans la plus grande zones industrielle de Rangoun, appelée Hlaing Thar Yar, que la surpopulation se fait le plus sentir. Aujourd’hui, ce sont plus de  700 000 personnes qui vivent et travaillent dans cette zone : 3 fois plus qu’il y a 8 ans.

C’est ici que l’association We Generation s’est implantée. Cette association locale soutien les syndicats de travailleurs dans leur organisation et propose aux travailleurs des formations sur les droits de l’homme et du travail ainsi que des cours d’anglais. Lors d’un entretien, ils nous ont fait part des problèmes que rencontrent les travailleurs.

Quelques lois et leurs applications

Depuis plusieurs années, le gouvernement birman a ratifié des conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et a créé ou modifié des lois pour une meilleure protection des travailleurs. Mais en pratique, elles ne sont que très rarement respectées.

Leave and Holidays Act (1951) – amendé en 2014 – prévoit 26 jours de congés par an (incluant les fêtes nationales, jours fériés).

Factories Act (1951) – amendé en 2016 – donne comme base une journée de travail de 8h maximum, avec 30 min de pause toutes les 4 heures et au minimum un jour de congé par semaine.  Le nombre d’heures par semaine est de 44 et les employés peuvent faire jusqu’à 12 heures supplémentaires par semaine avec des différences en fonction du secteur (textile, minier…)

Shops and Establishment Law (2016)  établit des journées de 8h de travail avec une pause d’une demi-heure toutes les 4 heures et avec minimum un jour de congé par semaine.  Cette loi est rarement respectée car les employés des usines sont souvent obligés de travailler plus de 10h par jours et parfois 7 jours sur 7.  Les heures supplémentaires n’e sont presque jamais payées au tarif légal.

Social Security Law (2012)  établit un système de sécurité sociale. Il est obligatoire d’y cotiser dans les entreprises de plus de 4 employés (hors entreprises internationales). Cette Sécurité sociale est sensée couvrir les maladies, les accidents du travail, les décès, les retraites et les maternités pour tous les travailleurs y cotisant. Le montant de la cotisation est de l’ordre de 2000 Kyats (environ 2€) par mois

Minimum Wage Law (2013).  Cette loi oblige les employeurs à payer  un salaire minimum de 3600 Kyat (soit 2,5 €) par journée de 8h de travail (hors temps de pause). Il est important de noter que ce salaire minimum est le plus faible de la région et nettement inférieur à ceux des autres pays d’Asie.

La situation

Cependant, la réalité est loin de l’image que l’on peut s’en faire au travers des lois énoncées précédemment. En Birmanie, trouver un travail reste difficile, surtout pour les emplois non qualifiés en raison du nombre de personnes sans emploi. Les employeurs utilisent cet argument pour faire pression sur les travailleurs.

Certains employeurs vont même jusqu’à confisquer les cartes d’identité et de citoyenneté des travailleurs pour les empêcher de démissionner. Ce chantage est une violation du droit fondamental de circulation car cette carte est indispensable pour changer de division ou d’Etat à l’intérieur même de la Birmanie.

Les travailleurs de ces usines font le plus souvent des journées de 10 à 12h de travail avec des heures supplémentaires non payées, et parfois sept jours sur sept.  En théorie, les heures supplémentaires doivent résulter d’un accord entre employeurs et employés. Mais si les employés refusent de faire les heures supplémentaires qu’exigent les employeurs, ils prennent le risque d’être licenciés.

Les conditions de travail sont bien loin des standards internationaux. L’insalubrité des usines, des toilettes et des salles de pauses est presque systématique. Les travailleurs n’ont pas accès à de l’eau purifiée, ni à des ventilateurs malgré la chaleur et les gaz toxiques.  La sécurité est elle aussi négligée ; les travailleurs n’ont pas de casques sur les chantiers et pas de protections contre les produits corrosifs et cancérigènes.

D’autre part, alors qu’ils cotisent à hauteur de 2000 Kyats par mois, ils n’ont pas accès à une couverture sociale correcte. Les hôpitaux ne peuvent pas leur apporter les soins adaptés et les accidents du travail ne sont que très rarement reconnus. Les femmes enceintes sont, en grande majorité, licenciées lors de leur grossesse car les employeurs refusent de payer leur congé maternité.

On trouve dans les usines des enfants travaillants dès 13 ans, le même nombre d’heures de travail que les adultes.

La loi sur le salaire minimum a provoqué une réduction drastique des bonus primes et bénéfices dont pouvaient bénéficier les travailleurs. Les primes de ponctualité, travail bien réalisé, aide pour les transports n’étant pas soumises à des lois ont été supprimées.  De plus, les conditions de travail sont devenues de plus en plus strictes. Les employeurs n’hésitent pas augmenter le rendement horaire souvent de plus de 40% , obligeant les employés à faire des heures supplémentaires (non payées) ou à raccourcir leur temps de pause. Les superviseurs sont beaucoup plus regardants sur le travail et font des coupes sur les salaires dès qu’une pièce est mal confectionnée.

S’ajoutant à cela, le coût de la vie en Birmanie ayant beaucoup augmenté ces dernières années, le salaire minimum n’est pas suffisant pour assurer aux travailleurs un salaire décent permettant de subvenir aux besoins de bases.

La peur d’être licencié et le peu de connaissance sur leurs droits empêche les travailleurs à défendre leur droits. Beaucoup sont résignés, mais jusqu’à quand ?

Les problèmes législatifs de protection des travailleurs

Au vu de la différence entre législation nationale et la réalité, on peut se demander comment les employeurs parviennent à contourner les lois et quelles sont les sentences prévues en cas d’abus.

En cas de litige avec les employeurs, les employés peuvent se référer à la loi Settlement of Labour Dispute Law (2012) ,amendée en 2014, et faire appel à plusieurs instances pour résoudre le conflit. Ils le font souvent par le biais de syndicats ou d’associations, les accompagnant dans cette démarche longue et compliquée.

A l’échelle de l’entreprise, un Comité (Workplace Coordinating Committee, composé de 2 représentants des travailleurs et 2 représentants des employeurs) est rassemblé. Si les négociations n’aboutissent pas, le problème passe au niveau du canton à travers l’Organe de conciliation (3 représentants de chaque cause, 2 personnes neutres et connues des 2 parties ainsi que 3 personnes locales et nationales nommées).

Si ces 11 personnes ne trouvent pas de solution, c’est le corps d’arbitrage (Arbitration body) de l’état ou de la division qui reprend le dossier.  Enfin, en dernier recours, le conseil d’arbitrage (Arbitration Council) au niveau national (5 représentants des travailleurs, 5 des employeurs et 5 personnes du ministère du travail) prend la décision finale.

Cependant, les pénalités et amendes en cas de non-respect des décisions prises par le conseil d’arbitrage sont trop faibles. L’amende minimum prévue dans la loi Settlement of Labour Dispute Law est d’un million de kyat (l’équivalent de 700 euros) mais ce montant est toujours utilisé comme le maximum. Ainsi, il est très facile pour les employeurs de ne pas mettre en place les décisions des hautes instances : ils payent l’amende et se dédouanent de tout respect en matière de droits des travailleurs.  Le processus pour se défendre contre les abus, long et dont la décision finale n’est pas  souvent respectée, décourage les travailleurs à engager des actions en justice.  De plus, l’article 40 de cette même loi empêche tout travailleur de se mettre en grève pour un problème qui n’est pas au préalable passé par toute cette échelle d’instances, bloquant toutes revendications.

Cela entrave donc complètement tout le processus de défense de leurs droits et décourage la plupart des travailleurs à se mobiliser, notamment en raison du risque de perdre leur travail. Cependant, depuis plusieurs années, de plus en plus de syndicats se créent dans les différentes manufactures pour regrouper les travailleurs et faire pression sur les employeurs. Ces syndicats sont souvent dissous par le licenciement de leurs dirigeants mais leurs actions sont de plus en plus reconnues et défendues par des associations, mais aussi par l’OIT.

Aujourd’hui, la Birmanie est vue comme le nouvel « eldorado » par les entreprises européennes pour sa main d’œuvre à bas coût. Pourtant, les violations des droits de l’homme et des travailleurs sont de plus en plus criantes.

Noémie Jouve, volontaire Info Birmanie avec l’association Futur Light Center