L’aide humanitaire comme arme de guerre dans l’état Kachin : les populations civiles déplacées délibérément privées d’aide par les autorités

L’aide humanitaire comme arme de guerre dans l’état Kachin : les populations civiles déplacées délibérément privées d’aide par les autorités

Depuis 2011, le conflit entre les militaires birmans et la KIA (Kachin Independance Army) a entraîné le déplacement de plus de 100 000 civils dans l’état Kachin. L’année 2018 est marquée par une intensification du conflit et des milliers de civils continuent de fuir les combats. Comme le souligne le récent rapport du réseau ND-Burma sur la situation des droits humains en Birmanie, cette intensification des conflits, tant dans l’état Kachin que dans l’état Shan, se traduit par une augmentation des violations des droits humains constatées.

Dans ce contexte, l’ONG Fortify Rights publie un nouveau rapport («They block everything – avoidable deprivations in humanitarian aid to ethnic civilians displaced by war in Kachin State, Myanmar ») qui montre comment les autorités birmanes entravent l’accès à l’aide humanitaire de dizaines de milliers de personnes déplacées par le conflit dans l’état Kachin, et ce depuis sept ans.

Fortify Rights a réalisé 195 entretiens, principalement dans l’état Kachin, et visité plus de vingt camps de déplacés sur la période 2013-2018.

Si les difficultés d’accès à l’aide humanitaire des populations déplacées dans l’état Kachin sont documentées, le rapport de Fortify Rights éclaire le rôle actif joué par les autorités civiles et par l’armée dans ces restrictions d’accès à la nourriture, aux soins, à l’eau…

Bien que l’armée soit en grande partie responsable de cette privation d’accès, le rapport dénote une continuité dans la politique menée par les autorités civiles, qui prive les Kachin touchés par le conflit d’une aide humanitaire effective.

Pour illustrer cette politique, le rapport établit notamment qu’entre juin 2017 et juin 2018, les autorités birmanes n’ont répondu favorablement qu’à 5% des 562 demandes d’autorisation d’accès des agences humanitaires internationales pour venir en aide aux communautés déplacées se trouvant dans des zones sous contrôle gouvernemental. Ce pourcentage est encore plus faible pour les zones sous contrôle de la KIA (« Kachin Independance Army »).

Cette politique d’entrave se traduit aussi par d’autres mesures restrictives de la part des autorités et par de potentielles poursuites judiciaires. En mai 2018, l’une des principales organisations locales à fournir de l’aide en zone contrôlée par la KIA, la KBC (« Kachin Baptist Convention »), a été menacée de poursuites sur la base de l’article 17/1 de la loi sur les associations illégales.

Les populations ainsi privées d’aide sont exposées à des risques accrus de toutes sortes, notamment aux mines. Les travailleurs humanitaires qui tentent malgré tout de leur venir en aide, à la frontière de la Birmanie et de la Chine, sont aussi exposés.

Dans son rapport, Fortify Rights révèle enfin le rôle joué par les autorités chinoises dans cette politique de privation d’aide. La Chine aurait fait savoir aux autorités birmanes et aux armées ethniques qu’elle ne voulait pas que des acteurs humanitaires opèrent à proximité de la frontière chinoise, tout en harcelant, voire en menaçant, ceux qui tentent de fournir de l’aide aux populations civiles déplacées en Chine.

Ces restrictions d’accès à l’aide humanitaire des deux côtés de la frontière, auxquelles s’ajoute la baisse des contributions financières de la communauté internationale, exposent les civils déplacés à un risque accru d’exploitation, un phénomène documenté notamment par la KWAT (Kachin Women’s Association of Thailand).

Et le rapport de Fortify Rights de conclure que cette obstruction délibérée, contraire au droit international des droits de l’Homme, est également contraire au droit international humanitaire et susceptible de constituer un crime de guerre.

Alors que la Cour Pénale Internationale (CPI) vient de décider qu’elle pouvait exercer sa compétence sur la déportation des Rohingya au Bangladesh et sur d’autres crimes contre l’Humanité commis à leur encontre dans une décision inédite rendue le 6 septembre 2018, le rapport de Fortify Rights vient rappeler que d’autres minorités de Birmanie sont les victimes des crimes les plus graves en droit international, comme le documente le pré-rapport de la mission d’établissement des faits mandatée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, publié le 27 août 2018.

Dans un communiqué du 3 septembre 2018, 25 organisations de la diaspora Kachin en appellent à la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Comme le fait également valoir Fortify Rights dans un communiqué du 7 septembre 2018, la décision de la CPI relative aux Rohingya devrait amener à une mobilisation accrue de la communauté internationale pour que justice soit rendue à l’ensemble des minorités victimes de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre en Birmanie. Seule une saisine de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies permettrait à ces victimes d’obtenir justice.