Les violences à l’égard des Rohingyas perdurent dans l’État d’Arakan

Les violences à l’égard des Rohingyas perdurent dans l’État d’Arakan

La situation dans l’État d’Arakan ne cesse de s’envenimer. Les témoignages se multiplient pour dénoncer les exactions de la Tatmadaw, l’armée birmane. Les activistes Rohingyas accusent les autorités de viser spécifiquement leur ethnie, pillant et brûlant villages et maisons, et évoquent également des viols. Plusieurs sources font état d’exécutions extrajudiciaires de Rohingyas, les forces de sécurité ayant été vues « tirer sur tout ce qui bouge, notamment contre les pêcheurs osant se risquer à sortir de leurs hameaux». Les femmes sont particulièrement ciblées par l’armée. Chris Lewa, directrice de l’ONG Arakan Project, estime selon les témoignages qu’elle a pu recouper qu’ « une trentaine de femmes ont été violées dans le village d’U Shey Kya ».

La zone nord de l’État d’Arakan, interdite d’accès aux autorités du gouvernement civil, aux médias locaux et internationaux, ainsi qu’aux ONG humanitaire, ne permet pas d’obtenir des chiffres fiables. On parle aujourd’hui de 18 000 personnes déplacées, dont 13 000 seraient Rohingyas, mais les organisations Rohingyas estiment qu’il s’agit de chiffres sous-estimés. Plus de 50 000 personnes ciblées par l’assistance alimentaire du Programme Alimentaire Mondial ne la reçoivent plus depuis près de 3 semaines. Alors que les populations Rohingyas de Birmanie sont privées de leur liberté de mouvement, il devient aujourd’hui difficile de survivre face à une telle situation. L’ONU estime que 50 000 à 70 000 personnes sont actuellement dans une situation humanitaire précaire, le besoin de nourriture étant urgent.

Depuis 9 octobre, l’armée birmane s’est lancée dans une vaste opération de « ratissage sécuritaire » afin de retrouver les responsables des attaques contre des postes frontières qui avaient fait neuf morts parmi les garde-frontières birmans et quatre chez les militaires. Un groupe jusqu’ici inconnu et possiblement lié à la sphère djihadiste, « Aqa Lul Mujahidin » a revendiqué les attaques. Une trentaine d’attaquants supposés auraient été tués par les forces de l’ordre et des dizaines de suspects auraient été arrêtés.

Garde-frontières patrouillant sur la frontière avec le Bangladesh, le 15 octobre 2016. Photo : Kaung Htet pour le Myanmar Times.
Garde-frontières patrouillant sur la frontière avec le Bangladesh, le 15 octobre 2016. Photo : Kaung Htet pour le Myanmar Times.

Si les responsables de ces actes doivent être punis, les autorités se doivent de réaliser une enquête selon la loi pour déterminer qui sont les coupables des attaques du 9 octobres. L’armée ne doit en aucun cas violer les droits humains de milliers de personnes vivant dans l’État Arakan et mener des actes de répression envers la majorité musulmane Rohingya de cet État. Le Myanmar Times rappelle également que « les arrestations doivent se faire dans le respect des normes internationales ».

La situation actuelle fait redouter de nouvelles violences comme en 2012, lors desquelles des centaines de personnes de religion musulmane avaient trouvées la mort et 140 000 avaient été déplacées. Si la société civile était consciente de la tâche difficile de la Ligue Nationale pour la Démocratie qui doit composer avec les militaires, les organisations n’imaginaient pas que les exactions de la part de l’armée s’intensifieraient à ce point et que l’accès humanitaire serait restreint. C’est la première fois depuis plusieurs années qu’il n’est plus du tout possible d’acheminer l’aide humanitaires dans les zones non gouvernementales, ce qui prouve que le gouvernement civil n’a aucun pouvoir décisionnel à ce niveau. Le Myanmar Times estime ainsi qu’ «il est devenu indéniable que ceux qui ont cru, dans la communauté internationale, que la Birmanie marchait vers la démocratie se sont trompés. Le pays reste gouverné par un régime militaire et l’armée n’a aucun mal à le montrer. »

Un an après la victoire de la LND aux législatives de novembre 2015, les marges de manœuvre du gouvernement civil semblent insignifiantes et celui-ci est loin de dénoncer la situation dans l’Arakan afin de ne pas froisser les militaires, dans un objectif de réconciliation nationale avec les anciens dirigeants. En réponse à l’appel de l’ONU qui avait demandé à ce que des « enquêtes appropriées » soient menées, le porte-parole du gouvernement vient en effet de déclarer que le gouvernement n’avait « rien fait d’illégal ». En refusant d’admettre et de condamner les exactions de l’armée, le gouvernement met pourtant en danger la vie de milliers de personnes et permet à l’armée de profiter de cette crise pour légitimer sa présence dans l’État d’Arakan, ce qui fragilise la transition démocratique en cours.

Les discriminations perpétuelles envers les musulmans de Birmanie représentent un terreau important de radicalisation terroriste. La situation est dangereuse car si la LND reste silencieuse et nie les exactions de l’armée, c’est aussi la porte ouverte pour la Tatmadaw à commettre de nombreux abus sous couvert de contrer le terrorisme.

Article écrit par Quentin Vilsalmon