Pour rentrer en Birmanie, mieux vaut être un touriste qu’un ancien exilé   

Pour rentrer en Birmanie, mieux vaut être un touriste qu’un ancien exilé  

Retour en terre natale de Sein Win, grand défenseur de la démocratie 

Le retour de Sein Win en Birmanie en août dernier est passé un peu inaperçu. Son retour marque pourtant la fin de trente ans d’exil. Pourquoi maintenant alors que la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) est au pouvoir depuis 2016 ?

L’histoire de Sein Win se dessine en parallèle de celle d’Aung San Suu Kyi, dont il est le cousin. Sein Win est l’ancien chef du “gouvernement en exil”, aussi appelé le Gouvernement de Coalition Nationale pour l’Union de la Birmanie (GCNUB). Il a longuement milité pour que la communauté internationale fasse pression sur la junte birmane. Il a participé à la création de la radio Democratic Voice of Burma (DVB) fondée en Norvège en 1992, qui a donné voix aux exilés.

Grand défenseur de la démocratie, Sein Win suit les traces de son oncle, Aung San, et de son père, tous deux assassinés le 19 juillet 1947 lors de la même attaque. Au lendemain du soulèvement de 1988*, il devient président du Parti pour la Démocratie Nationale (PDN), un allié de la LND alors naissante. C’est en 1990, lorsque la junte refuse de reconnaître les résultats des élections remportées par la LND, que le GCNUB voit le jour et adopte le statut de “gouvernement en exil”. Il est alors essentiellement constitué de membres de la LND, de représentants de minorités ethniques et d’indépendants, avec Sein Win pour Premier Ministre. Le siège du parti est établi par l’Union Nationale Karen à Manperlaw dans le sud-est de la Birmanie. Mais en 1995, l’armée birmane reprend possession de la ville. Sein Win décide alors de prendre la route de l’exil et d’établir le siège de son parti à Rockville, dans le Maryland aux Etats-Unis. En 2012, suite à la victoire de la LND aux élections législatives partielles, le GCNUB décide de se dissoudre dans un élan de réconciliation nationale.

De 1990 à 2012, le GCNUB  a eu le statut d’association illicite en Birmanie, un statut qui date de l’époque coloniale et qui lui sera attribué jusqu’en 2018 ! Après son arrivée au pouvoir en 2016, la LND aura donc mis deux ans pour supprimer ce statut et permettre un éventuel retour à Sein Win. Jusqu’alors, les membres d’associations dites “illicites” étaient menacés d’arrestation et d’emprisonnement.

Ouverture pour les uns et contrôle pour les autres 

A l’image du retour de Sein Win rendu possible sur le tard, les conditions fixées pour le retour des anciens citoyens birmans témoignent d’une logique de contrôle. Ils doivent solliciter un « social visit visa » pour rentrer sur le territoire birman et ne bénéficient donc pas d’un dispositif allégé, tel que la délivrance de visa à l’arrivée prévue pour les ressortissants d’un certain nombre de pays.

Depuis le début du mois d’octobre, les ressortissants de six pays (Australie, Allemagne, Italie, Espagne, Suisse et Russie) peuvent  en effet entrer en Birmanie sans autorisation préalable. Les touristes originaires de ces pays peuvent désormais obtenir un visa à l’arrivée sur le territoire birman sans démarches préalables, et ainsi avoir accès aux aéroports de Yangon, Mandalay et Naypyidaw. La Birmanie, dont l’ouverture aux touristes est récente, tente par tout moyen de faire revenir les touristes occidentaux, échaudés par les violations massives des droits humains commises dans le pays et la crise Rohingya, à laquelle l’exode de 2017 a donné une visibilité sans précédent.

Mais si vous êtes un ancien citoyen birman naturalisé dans un de ces pays et que vous souhaitez vous rendre en Birmanie, la tâche ne sera pas aussi facile. Le visa touriste ne vous sera pas délivré. Il vous faudra demander le “social visit visa”, qui suppose quelques démarches supplémentaires à effectuer avant l’arrivée sur le territoire. Ce visa nécessite un “sponsor”, soit un ressortissant birman qui vous parraine lors de votre séjour dans le pays, et une garantie de sortie du territoire.

Pour certains, ce visa spécifique traduit une réelle volonté de contrôle renforcé concernant les anciens citoyens birmans, en particulier ceux qui auraient fui le pays après le soulèvement de 1988, soit ceux qui soutenaient alors Aung San Suu Kyi ! Ce contrôle viserait aussi des activistes issus de minorités ethniques ayant pu acquérir une autre nationalité.

Le caractère discriminatoire de ce visa spécifique pour anciens citoyens birmans est dénoncé. Des voix critiques déplorent que la LND semble avoir pour priorité de promouvoir les investissements et le « développement économique », plutôt que d’encourager le retour de ses propres citoyens, anciens supporters de la LND pour la plupart. Ce “social visit visa” permet de filtrer minutieusement leur entrée sur le sol birman et de vérifier les possibles connexions entre ces derniers et des opposants au pouvoir actuel.

Une politique restrictive de plus sous le gouvernement de la LND, qui ne cadre pas avec les engagements du passé.

22 octobre 2019

* Les événements politiques de 1988 en Birmanie sont un ensemble de manifestations pacifiques prônant l’établissement de la démocratie, sévèrement réprimées.