Promouvoir une issue politique face à l’escalade de la violence dans l’Etat d’Arakan

Promouvoir une issue politique face à l’escalade de la violence dans l’Etat d’Arakan

7 août 2020 – Dans son rapport « An avoidable war : Politics and Armed Conflict in Myanmar’s Rakhine State » publié en juin 2020, l’International Crisis Group (ICG) souligne que les combats en cours dans l’Arakan sont les plus intenses que la Birmanie ait connu depuis de nombreuses années et juge cette escalade particulièrement inquiétante. Le conflit dans l’Etat d’Arakan répondant à la fois à un nationalisme virulent et à une marginalisation de la région et de ses habitants de la part du pouvoir central, ICG insiste sur l’importance
d’une solution politique afin de réconcilier la population et les autorités en place. L’impasse de la solution militaire, que ce soit pour le gouvernement ou pour l’Armée de l’Arakan (AA), est flagrante.

Zone géographiquement isolée et fragilisée par la gestion coloniale de son territoire, l’Arakan cherche – depuis la perte de sa souveraineté – à accéder à un gouvernement indépendant/autonome du reste de la Birmanie. Ces revendications constamment étouffées se sont transformées en frustrations au sein de la population arakanaise, ce qui explique la montée en puissance de l’AA, ainsi que d’un ethno-nationalisme local qui cible violemment la minorité Rohingya depuis une dizaine d’années. La région s’est par ailleurs considérablement appauvrie au fil des siècles, du fait de la colonisation et de la dictature Ne Win. Aujourd’hui, l’Etat d’Arakan connait le taux de pauvreté le plus élevé de tout le pays (78%, soit deux fois plus que la moyenne nationale).

Malgré la montée en popularité du Parti National de l’Arakan (Arakan National Party), fondé en 2014 et prônant l’autonomisation de la région, le pouvoir à Naypyidaw refuse toute autonomie à l’Etat d’Arakan. A cela s’ajoute des restrictions imposées par le pouvoir central s’agissant de commémorations régionales observées en Arakan. Cette situation débouche sur une rupture entre le peuple et ses représentants politiques et mène alors à l’explosion de violence que l’on observe depuis novembre 2018. Le sort du leader arakanais, le Dr Aye Maung, en janvier 2018 en est l’illustration. Accusé d’avoir suggéré que la voie des urnes n’était plus aussi efficace que la voie des armes, il est condamné à vingt ans de prison. Cette décision provoque la colère de la population arakanaise, doublé d’un sentiment d’abandon politique qui ne peut que nourrir le soutien à l’AA.

Le 4 janvier 2019, l’AA lance quatre attaques coordonnées à l’encontre de postes de police. En plus de cibler l’armée, elle ne rechigne donc pas à viser la police, mais également les politiques et les fonctionnaires décrétés de mèche avec le pouvoir en place. Bien qu’elle cible les tenants du pouvoir politique et administratif de l’Etat birman, l’AA semble manquer de structure (en comparaison à d’autres organisations ethniques armées dans le pays) pour instaurer une autorité purement arakanaise dans les régions qu’elle contrôle. En décembre 2019, elle annonce cependant la formation d’une « Autorité Arakanaise » (« Rakhine Authority ») afin de lever des impôts et administrer ses territoires .

Mais cette annonce est perçue par les observateurs comme relevant davantage d’un acte performatif et d’une démonstration de force plutôt que d’un réel projet politique. Cela n’empêche pourtant pas son leader, Tun Mrat Naing, de rêver à un « #ArakanDream2020 » dans le cadre d’un combat révolutionnaire qui vise à restaurer la souveraineté arakanaise en conférant un statut confédéré à l’Etat d’Arakan.

Après plus d’un an de combats intenses et malgré l’engagement des forces armées, l’AA ne semble montrer aucun signe de faiblesse et contrôle aujourd’hui la partie nord de l’Etat d’Arakan ainsi qu’une grande partie du canton de Paletwa dans l’Etat de Chin. De fait, le conflit armé s’y est généralisé, ainsi que l’insécurité, et les civils paient un lourd tribut. Dans un récent rapport, Amnesty International documente des frappes aériennes menées sans discernement par l’armée dans des villages et faisant des victimes parmi la population civile. De plus, la répression de l’armée contre les insurgés est marquée par la détention arbitraire et la torture des habitants soupçonnés de sympathiser avec l’AA.

Le Conseil de sécurité de l’ONU appelle pourtant à un cessez-le-feu humanitaire au nom de la lutte contre la Covid-19. Mais l’armée birmane refuse d’intégrer l’AA dans ses déclarations de trêve unilatérale, l’AA étant désignée comme une organisation terroriste par Naypyidaw. Cette accusation tend à ostraciser l’AA et à empêcher tout dialogue entre l’organisation ethnique armée, la Tatmadaw mais également toute personne ou journaliste tentant de contacter l’organisation. La criminalisation de son existence rend complexe toute tentative d’apaisement entre les deux camps, tout en cherchant à légitimer les opérations militaires de l’armée birmane à son encontre. C’est pourquoi l’ICG préconise de mettre un terme à la stigmatisation du groupe armé qui se bat pour faire entendre les revendications d’un peuple blessé par l’indifférence politique de ses représentants.

Le conflit provoque de surcroît une crise humanitaire importante à laquelle le gouvernement doit répondre. En effet, plus de 10 000 personnes ont dû quitter leur habitation ces derniers mois à cause des affrontements, qui ont fait plus de 100 000 déplacés depuis novembre 2018. A cela s’ajoute les persécutions subies par la minorité Rohingya, qui constituent une deuxième urgence humanitaire et politique dans la région. Le conflit armé contre l’AA et la crise Rohingya représentent deux défis d’importance pour le pouvoir birman qu’on ne peut isoler, à quelques mois des élections législatives générales de novembre. Les autorités avancent d’ailleurs des problèmes de sécurité trop importants pour que celles-ci puissent se tenir sur le sol arakanais, un argument légitime mais qui sert également le régime, menacé par la popularité du mouvement nationaliste.

Ces élections pourraient apporter la preuve que la LND est en réalité un parti minoritaire dans l’Etat d’Arakan. Si cela devait avoir lieu, il serait alors de la responsabilité du gouvernement de nommer des représentants du Parti National de l’Arakan (ANP) sans mettre en avant les membres du parti au gouvernement, comme cela a été fait par le passé en dépit des résultats électoraux. Cela représenterait un premier pas, nécessaire afin de renouer avec les Arakanais, et leur redonner confiance en ce système électoral et politique qui leur a, à plusieurs reprises, fait défaut.

Le problème que connaissent aujourd’hui les autorités à Naypyidaw vis-à-vis de l’Etat d’Arakan est un problème d’ordre stratégique. La capitale semble ne prendre en compte qu’une voie, celle du conflit armé afin de régler les revendications arakanaises. Or cette dernière n’a provoqué qu’une escalade du conflit, d’où l’appel de plusieurs ONG à envisager un changement de stratégie, cette fois d’ordre politique pour travailler efficacement à la résolution de la crise.

Si le gouvernement LND annonce la tenue en août de la 4ème Conférence de Panglong pour la paix pour trois jours de discussions entre le gouvernement et les 10 organisations ethniques armées signataires de l’Accord national de cessez-le-feu (NCA) de 2015, l’AA n’en fait pas partie. Non-signataire du NCA, elle a bien demandé à pouvoir participer à la Conférence, mais les autorités ont répondu qu’elle ne sera pas conviée en raison de sa qualification d’organisation terroriste.

Avec la perspective d’une énième Conférence pour la paix, nombreux sont sceptiques face à ce qui ressemble davantage à un outil politique et communicationnel du gouvernement à l’approche des élections qu’à une véritable plateforme destinée à résoudre les ruptures profondes entre le pouvoir central et les minorités du pays. L’arrêt des combats, fut-il provisoire, reste un enjeu de taille pour la tenue et la légitimité des élections qui approchent.

un article de Juliane Barboni