SITUATION ÉCONOMIQUE


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QUELQUES DONNÉES CLÉS 

  • Bien qu’étant riche en ressources naturelles, la Birmanie est l’un des pays les plus pauvres d’Asie, principalement en raison du déni des libertés fondamentales de la population et d’un conflit persistant avec les minorités ethniques.
  • En 2013, environ 21% du budget global du pays est alloué aux dépenses militaires contre 4,4% pour l’éducation.
  • 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, un tiers des enfants birmans souffrent de malnutrition et 1 enfant sur 10 n’atteint pas l’âge de 5 ans. Plus de 25% de la population n’a pas accès à l’eau potable.
  • Les revenus issus de l’exploitation de gaz représentent une manne financière très importante pour le régime birman. A titre d’exemple, dans un rapport datant de 2010, Earth Rights International (ERI)[1] a ainsi calculé que sur une période s’étalant de 1998 à 2009, le projet Yadana aurait généré un total de plus de 9 milliards de dollars, dont plus de la moitié, soit environ 4,6 milliards de dollars, aurait été directement récupéré par le régime militaire birman et placé à Singapour, et auraient notamment permis à la junte militaire l’acquisition illicite de technologie nucléaire ou de missiles balistiques[2].
  • Plus de 20 projets de barrages hydroélectriques de grande envergure sont en cours de construction à travers le pays. Tous ont en commun d’être financés et construits par des pays voisins (principalement Chine et Thaïlande) et tous produiront de l’électricité pour ces mêmes pays, alors qu’environ 50% de la population de Birmanie n’a pas accès à l’électricité.
UN SYSTÈME ÉCONOMIQUE OPAQUE ET CORROMPU, UNE LIBÉRALISATION EN TROMPE-L’ŒIL

Tous les indicateurs économiques et sociaux placent la Birmanie parmi les pays les plus pauvres de la planète. Les problèmes économiques et la pauvreté de la population ont pour cause la mauvaise gestion économique des dirigeants militaires qui se sont succédés au pouvoir depuis les années 60. Violations flagrantes des Droits de l’Homme, déni des libertés fondamentales, monopoles économiques gouvernementaux, politiques commerciales inappropriées, corruption généralisée, recours au blanchiment d’argent, absence de règles juridiques et d’une justice indépendante, règles opaques, non-respect de la propriété privée ou encore absence totale de transparence et de responsabilité… Le tableau dressé est catastrophique, à l’image de la situation économique du pays. Un meilleur système de gouvernance est ce dont les citoyens ont le plus besoin pour sortir de l’extrême pauvreté dans laquelle le pays est plongé après un demi-siècle de dictature.

La Birmanie dispose d’atouts économiques importants, et en premier lieu de ressources naturelles, diversifiées et abondantes. Les revenus issus de l’exploitation de gaz représentent à eux seuls plusieurs milliards de dollars, soit une manne financière très importante[1]. Cependant, cet argent n’est pas utilisé pour le développement du système de santé, considéré comme l’un des pires au monde[2], ni pour celui de l’éducation, mais a été détourné par le régime à son propre profit grâce notamment à un système de double taux de change[3]. Ce système a spolié l’ensemble de la population des revenus de tous les investissements réalisés en devises étrangères, et a permis aux autorités militaires de réaliser des détournements d’argent d’une ampleur inédite.

Cependant, depuis le 1er avril 2012, la Birmanie a adopté un système de taux de change contrôlé, une étape essentielle vers l’unification de ses multiples taux, unanimement dénoncés comme paralysant son développement économique et son intégration sur le marché mondial. La valeur extérieure de la monnaie nationale, le kyat, sera, à partir de maintenant, déterminée par les conditions de l’offre et la demande sur le marché des changes, il s’agit d’un taux de change flottant. Le Fonds monétaire international (FMI) a effectué une mission début 2012 en Birmanie, et continue d’aider le pays à réformer ce système de change. En parallèle, le gouvernement de Thein Sein a annoncé plusieurs mesures pour favoriser l’investissement étranger : exonération fiscale de cinq ans, possibilité d’investir sans partenaire local, facilités pour la création de joint-ventures, et baux de longue durée pour la location des terrains.

Si la réforme du taux de change aura sans aucun doute un impact positif notable, et les mesures annoncées par Thein Sein sont séduisantes pour la communauté des affaires, elles ne suffiront pas, à elles seules, à guérir la Birmanie de tous ses maux. De profonds changements structurels doivent encore se matérialiser. Comme le note l’Ambassade de France à Rangoon, la politique économique est chaotique. « Les quelques mesures d’ouverture (loi sur les zones économiques spéciales précitée pour les investisseurs étrangers, libéralisation du secteur financier) (…) ne réduisent en rien la complexité et l’imprévisibilité de l’évolution de l’environnement des affaires et des transactions internationales (…), ne suffisent à garantir un environnement des affaires stable et ne peut protéger contre l’arbitraire des autorités »[4]. La Birmanie est l’un des pays les plus corrompus du monde, à la fois aux niveaux national et local. Elle compte aussi parmi les pays les moins transparents sur le plan de la culture des affaires. L’ONG Transparency International a classé la Birmanie 180 sur les 183 pays étudiés dans son indice de perception de la corruption (CPI) de 2011.

La soi-disant vague de privatisation annoncée en 2010 par les autorités et qui visait des pans entiers de l’industrie birmane s’est révélée être une simple vente aux enchères, permettant aux magnats de l’économie proches du régime de s’accaparer d’importants secteurs économiques : gestion des ports, distribution d’énergie… Dans un contexte où le capitalisme de connivence est roi, les inquiétudes sont fortes quant à la manière dont les investissements étrangers contribueront au développement social du pays. Jusqu’à présent, la croissance économique du pays n’a d’aucune façon profité à la population, du fait de l’absence de politique de partage des richesses, et plus globalement l’absence d’un état de droit.

UNE PRIVATISATION INDUSTRIELLE DE FAÇADE OU COMMENT MAQUILLER  » LE CAPITALISME DE CONNIVENCE « 

Depuis 2009, le régime militaire s’est engagé dans un processus  de privatisation de pans entiers de l’industrie birmane, notamment  dans le domaine de l’énergie. Cette privatisation se fera essentiellement au profit de quelques oligarques très proches du  régime, en particulier Tay Za, le PDG de Htoo Trading. En décembre  2009, Htoo Trading a remporté le contrat pour la construction de deux barrages pour usines hydro-électriques. Fin janvier 2009, le ministère de l’énergie a annoncé la privatisation des 256 stations essence à travers le pays. Peu auparavant, Tay Za avait créé une structure ad-hoc permettant de superviser cette privatisation, et dont le fils du numéro 3 de la junte est le vice-président. En janvier toujours, une filiale de Htoo Trading a également commencé à vendre des cartes SIM pour téléphones portables, pour lesquels cette entreprise a les droits exclusifs. Beaucoup d’observateurs notent que ce transfert de propriété de l’État –  à des prix bradés – ira en majeure partie aux mains d’investisseurs privés affiliés aux généraux. Ces entreprises peuvent ainsi mettre la main sur des secteurs industriels ou tertiaires pour lesquels aucune concurrence n’est admise : la libéralisation du marché birman se révèle être un leurre, et ce seront une nouvelle fois les citoyens birmans qui en pâtiront.

Début 2010, le régime a lancé une série de privatisations massives de ses entreprises publiques. D’après le Ministre adjoint de l’industrie, Khin Maung Kyaw « tout en nous transformant en nation démocratique, nous allons privatiser 90% des entreprises industrielles publiques […] Cette réforme a été effectuée dans d’autres pays démocratiques».

LIENS DIRECTS ENTRE DÉVELOPPEMENT D’INFRASTRUCTURES, EXPLOITATION DES RESSOURCES NATURELLES ET VIOLATION DES DROITS DE L’HOMME ET DE L’ENVIRONNEMENT

Plus de vingt  projets de barrages hydroélectriques de grande envergure sont en cours de construction à travers le pays, et une quarantaine de blocs pétroliers et gaziers sont en phase d’exploration. Tous ces projets ont en commun d’être financés et construits par des pays voisins (principalement la Chine et la Thaïlande) et l’énergie produite sera intégralement exportée vers ces mêmes pays, alors qu’environ 50% de la population de Birmanie n’a pas accès à l’électricité. Le mécontentement populaire grandit contre les projets de grande envergure menés aux quatre coins du pays par les voisins asiatiques. Ces investissements n’ont généré que peu d’emplois, tout en imposant aux populations locales un fardeau social et environnemental considérable.

Ainsi le projet Shwe[5] a engendré une confiscation généralisée des terres pour laisser place au pipeline. Les paysans se retrouvent sans emploi et spoliés de leurs moyens de subsistance, et les zones de pêche leur sont désormais inaccessibles, renforçant une migration interne déjà très forte. La construction de barrages va affecter directement pas moins de 100 000 personnes[6], contraints de quitter leurs terres pour laisser place aux zones de retenues des eaux. Le projet industriel dans la ville de Dawei (entre autres un port en eau profonde, une usine pétrochimique, une raffinerie pétrolière) implique le déplacement de 20 000 résidents.

L’exploitation des ressources naturelles se fait essentiellement dans les régions où vivent les minorités ethniques. Depuis plus d’un demi-siècle, l’accès à ces ressources est la principale cause des conflits[7] qui opposent les autorités militaires aux groupes armés issus de ces minorités. Dans ce contexte où exploitation des ressources naturelles rime souvent avec violences, il est primordial que l’afflux d’investisseurs européens ne contribue pas à attiser d’avantage ces tensions.

Ces inquiétudes sont partagées par l’envoyé spécial des Nations unies, M. Quintana, qui déclarait lors de son audition devant le conseil des Droits de l’Homme le 12 mars 2013 qu’« étant donné la vague de privatisations l’an dernier, l’augmentation attendue des investissements étrangers et l’ambition du gouvernement d’accélérer le développement économique, il est à craindre un accroissement des confiscations de terres, des déplacements forcés et diverses violations des droits économiques, sociaux et culturels ».

D’un point de vue environnemental, Les forêts sont surexploitées en raison de la grande valeur commerciale du teck qui est exporté, la plupart du temps clandestinement, vers la Chine et la Thaïlande, avec la complicité des autorités et des responsables locaux. La déforestation engendre des dommages irréversibles sur la faune et la flore, et l’exploitation déraisonnée des gisements de minerais et de jade, sans aucun respect des normes internationales de protection de l’environnement, ont causé dans plusieurs régions du pays des dommages environnementaux colossaux.

La violation continue des Droits de l’Homme par les autorités locales et l’armée demeurent des obstacles majeurs à un développement économique responsable. La mise en œuvre de réformes institutionnelles d’envergure, tant au niveau national que régional et local, est donc indispensable afin de minimiser les risques sociaux et environnementaux. Il est nécessaire de s’assurer que le développement économique du pays se fait au profit de l’ensemble de la population et non à son détriment.

LES SANCTIONS ÉCONOMIQUES ET FINANCIÈRES INTERNATIONALES

La Position Commune Européenne

En 1988, suite aux soulèvements populaires réprimés dans le sang par le régime militaire birman, les pays membres de l’Union européenne ont mis en place un certain nombre de mesures à l’encontre de la junte. Celles-ci comprenaient l’arrêt de toute aide au développement à destination du régime ainsi qu’un embargo sur les armes. En 1996, l’ensemble de ces mesures ont été englobées dans une politique étrangère conjointe  connue sous le nom de « Position commune européenne ». A l’origine, cette position était renouvelée tous les six mois. Aujourd’hui, elle est revue chaque année en avril mais peut-être révisée à tout moment.

L’Union européenne est divisée depuis longtemps sur le dossier birman. Un certain nombre de pays dont le Royaume-Uni, la République Tchèque, les Pays-Bas, l’Irlande et le Danemark sont en faveur d’une pression accrue sur la junte. D’autres pays comme la France, l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et l’Espagne ont généralement été en faveur d’un relâchement de la pression.  L’opposition de la France à un durcissement des sanctions est attribuée à la présence de Total en Birmanie. La France a souvent soutenu une augmentation de la pression à l’égard du régime au travers de mesures n’affectant pas les opérations de Total, telles que des résolutions au Conseil de Sécurité de l’ONU ou un embargo international sur les armes en direction de Birmanie.

En théorie, avec les 27 pays membres travaillant dans le même sens, la Position commune européenne pourrait s’avérer très efficace. En pratique, les divisions entre pays membres l’ont affaiblie et ont diminué son impact sur le régime militaire birman. A l’origine, une politique consistant à augmenter la pression de façon progressive si aucun changement ne survenait et à la relâcher s’il y avait des évolutions positives avait été mise en place. Celle-ci n’est plus du tout appliquée alors que l’Union européenne déclare clairement  qu’elle est prête à « réviser, amender ou renforcer les mesures adoptées en fonction de nouveaux développements sur le terrain. »

Contenu des sanctions

• Un embargo sur les armes

•Une suspension de l’aide au développement

• Une interdiction de visa pour les hauts fonctionnaires du régime, les membres de leurs      familles et certains hommes d’affaires et juges proches du régime.

•  Un gel des avoirs sur le sol européen des personnes interdites de visa

• Une interdiction d’investissement dans certains secteurs économiques (excluant le gas)

En 2008, ces mesures ont été renforcées et incluent le bois, les pierres précieuses, l’exploitation minière.

Cependant, elles continuent d’exclure le pétrole et le gaz.

 Avril 2013 : Levée des sanctions économiques européennes

Les Ministres des Affaires Étrangères de l’Union européenne ont décidé le 22 avril 2013 de lever l’ensemble des sanctions politiques et économiques à l’encontre de la Birmanie, à l’exception de l’embargo sur les armes, afin de soutenir l’élan de réforme amorcé par le gouvernement de Thein Sein.

En prenant cette décision, l’Union Européenne démontre qu’elle ne place pas les considérations relatives aux droits de l’homme au cœur de son engagement avec la Birmanie. Les sanctions semblent en effet avoir été levées en fonction d’intérêts économiques plutôt qu’au regard d’une amélioration réelle de la situation des Droits de l’Homme et d’une évolution notable du processus politique.

En effet, en dépit d’indéniables progrès de la part du gouvernement birman, les réformes réalisées n’ont permis ni d’avancer vers une réconciliation nationale, ni de mettre un terme aux graves violations des Droits de l’Homme et à l’impunité, qui continuent à pose des problèmes majeurs dans le pays. La levée des sanctions semble, à ce titre, prématurée.

Pourtant, Le 26 avril dernier, le Conseil de l’UE, en suspendant ses sanctions, précisait clairement les progrès qu’elle s’attendait à voir en réponse. Les conclusions du Conseil statuaient:

« L’UE attend toujours la libération sans condition des autres prisonniers politiques et la levée de toutes les restrictions imposées à ceux qui ont déjà été libérés. Elle espère que le conflit prendra fin, que l’accès à l’aide humanitaire s’améliorera considérablement, en particulier pour ceux qui sont victimes du conflit dans l’État Kachin et le long de la frontière orientale et, en outre, que le statut des Rohingyas sera examiné et que leurs conditions de vie seront améliorées.»

Or, aucune de ces conditions posées par le Conseil de l’UE n’a été respectée et la situation s’est même aggravée à certains égards, notamment en ce qui concerne la minorité Rohingya.


[1] A titre d’exemple, sur la seule année 2008, Total a déclaré avoir versé aux autorités, au titre de sa participation dans le projet d’exploitation Yadana, la somme de 254 millions de dollars. Les investigations de l’ONG Earth Rights International chiffrent à plus de sept milliards la somme versée par Total aux militaires birmans entre 2000 et 2008.

[2] 191 sur 192 au classement de l’Organisation Mondiale de la Santé en 2000

http://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/BirmanieFR.pdf

[3] Depuis des années, le système fiscal birman connaît en effet un grave dysfonctionnement en raison de la coexistence de deux taux de change. L’économiste australien Sean Turnell explique en détail l’ampleur des détournements d’argent réalisés par la junte birmane grâce à un subterfuge très simple de double taux de change[3]. Les revenus gaziers, payés en devises étrangères, sont intégrés au budget national birman en utilisant la conversion officielle de 6 kyats (monnaie birmane) pour 1 dollar. Ce taux de change officiel, en vigueur depuis trente ans, surévalue la monnaie birmane, qui est de 800-1000 kyats pour 1 dollar. C’est ainsi que les revenus issus du gaz, convertis au taux de change officiel, ont un impact minime sur les finances d’Etat (moins de 1% du budget annuel birman) alors qu’ils devraient contribuer à plus de 50% au budget national s’ils étaient correctement valorisés.

[4] Ambassade de France à Rangoun : « La situation économique de la Birmanie » http://www.ambafrance-mm.org

[5] Le projet Shwe Gas comprend la construction d’un port maritime en eaux profondes, d’un terminal gazier, et d’une infrastructure d’acheminement pétrolier dans l’Etat de l’Arakan, ainsi que la pose de près de 800 km de conduits d’acheminement. Un gazoduc acheminera les réserves de gaz naturel pompées au large des côtes birmanes – parmi les plus importantes au monde -, et un oléoduc acheminera à travers le pays les réserves pétrolières provenant du Moyen Orient et d’Afrique, afin de satisfaire les besoins énergétiques de la Chine.

[6] Source : Burma Rivers Network   www.burmariversnetwork.org

[7] Les consequences sont dramatiques : nombreux déplacements de populations, la destruction de plus de 3700 villages depuis 1996, la fuite d’un demi-million de civils qui se réfugient dans la jungle pour fuir les combats, et la perpétration d’exactions graves, telles que des viols, des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et l’utilisation de civils comme boucliers humains.