Travailleurs birmans en Thaïlande: une source de revenus pour leur pays d’origine

Travailleurs birmans en Thaïlande: une source de revenus pour leur pays d’origine

InfoBirmanie, en partenariat avec Terre des Hommes France (TDH), la Fédération Internationale Terre des Hommes (FITDH), et Foundation for Education and Development (FED) participe à un projet visant à réduire la vulnérabilité des migrants entre la Thaïlande et la Birmanie. Cet article d’InfoBirmanie est le troisième d’une série mensuelle : retrouvez tous les mois une publication thématique pour rendre compte de la situation pressante des migrants birmans en Thaïlande et du contexte de cette migration.

04/07/2019

Flux migratoires Birmanie-Thaïlande, flux monétaires Thaïlande-Birmanie 

En 2018, 26% de la population birmane vivait sous le seuil de pauvreté. Pas étonnant donc, qu’elle soit attirée par l’importante demande de main-d’oeuvre de la Thaïlande toute proche. D’après le Ministère birman du Travail, de l’Immigration et de la Population, l’ampleur du phénomène est telle qu’il y aurait au moins 3 millions de travailleurs migrants birmans en Thaïlande, fuyant non seulement le manque d’opportunités, mais aussi les conflits, les persécutions et les injustices.

Cette population migrante joue un rôle important dans l’économie birmane. En 2017, 3.5 milliards de dollars (USD) ont été renvoyés officiellement au pays, représentant 5.4% de son PIB. Le Ministère birman du Travail, de l’Immigration et de la Population estime à près de 8 milliards de dollars (USD) la part d’envois informels.

Les travailleurs migrants birmans sont ceux qui expédient le plus d’argent depuis la Thaïlande à leurs familles: en 2015, 92.4% de tous les envois d’argent de Thaïlande étaient destinés à la Birmanie. Le pays étant ancré dans un partage traditionnel et genré des tâches, ce sont les femmes qui le plus souvent reçoivent l’argent, car les dépenses concernent très largement le foyer familial. Ces femmes et leurs familles vivent la plupart du temps en milieu rural, comme 70% de la population birmane, et ce sont d’abord leurs enfants, puis leurs frères et soeurs, leurs beaux-enfants ou leurs époux qui leur envoient.

Le parcours type du baht Thaï vers la Birmanie

Pour garantir cette source de revenus à leurs proches, les travailleurs birmans en Thaïlande ne gardent que ce dont ils ont besoin pour couvrir leurs dépenses, et font passer le reste en Birmanie. En moyenne, les femmes migrantes envoient plus d’argent à leurs familles que les hommes, même si elles touchent des salaires moins élevés, sacrifiant davantage leurs conditions de vie.

80% des travailleurs migrants birmans utilisent des voies informelles qui passent par les hundi, contre seulement 20% qui privilègient les voix formelles. Pour ce faire, l’expéditeur en Thaïlande prend contact et livre la somme d’argent à un agent, qui l’apporte ensuite physiquement à la frontière pour la transférer à un autre agent en Birmanie. Ce dernier porte l’argent en mains propres à la famille, ou le livre à une agence ou à une banque locale pour que le destinataire puisse le retirer. Il existe aussi des transferts bancaires transfrontaliers entre les agents, mais c’est moins commun car il existe peu de partenariats bancaires entre la Birmanie et la Thaïlande. Ce moyen est aussi plus cher et plus surveillé par les banques qui cherchent à prévenir la fraude et le financement du terrorisme, donc toutes les parties concernées préfèrent les “livraisons à domicile” .

Cette prédilection pour l’informalité découle de plusieurs facteurs. Tout d’abord, la tradition et les relations: le système des hundi fonctionne depuis longtemps par la confiance et les cercles de connaissances et d’ethnies. Au fil des années, des stratégies pour assurer la sécurité des transferts ont été élaborées, telle que l’utilisation de codes secrets pour s’assurer de la véracité des personnes impliquées. C’est aussi un moyen avéré pour sa rapidité (le processus dure normalement moins de 24h) et ses frais d’envoi et de réception bien plus abordables que le secteur formel.

Deuxièmement, c’est un moyen beaucoup plus pratique tant pour les expéditeurs que les destinataires. En Thaïlande, très peu de migrants birmans ont des comptes en banque car la majorité se trouve en situation irrégulière et n’a pas les documents requis pour entamer ces démarches administratives. Du côté de la Birmanie, plus d’un tiers de la population est exclue de tout service financier formel ou informel, notamment en milieu rural, et le temps et l’effort requis pour y accéder découragent. De plus, la population birmane a très peu confiance en ses institutions financières et ses banques, après avoir traversé trois faillites. Les paiements se font donc en espèces, ce qui n’incite ni à l’investissement ni à l’épargne, mais plutôt à des dépenses immédiates. Les fonds reçus servent essentiellement à la survie de la famille, utilisés pour les produits de première nécessité, puis pour l’éducation, le logement, la santé, les dépenses pour les occasions spéciales comme les mariages, et enfin la participation à la société de consommation.

Une volonté de régulariser les flux pour le développement birman 

Ce type d’envoi d’argent est considéré dans les cercles du développement international comme un moyen de stimuler l’économie et de lutter contre la pauvreté, lorsqu’il est effectué de manière formelle. Les institutions financières birmanes bénéficieraient d’une régularisation des flux monétaires entre les deux pays, ce qui dynamiserait leur utilisation par la population. C’est pourquoi elles effectuent des partenariats avec des entreprises internationales spécialisées comme Western Union, qui a choisi de s’allier avec la banque de Myawaddy.

Cette dernière est cependant une filiale d’un grand groupe dirigé par les militaires birmans, la Union of Myanmar Economic Holdings Ltd (UMEHL). Ses profits, et par association ceux de Western Union, bénéficient donc aux militaires, accusés de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de génocide. Si des birmans dans 74 pays ont utilisé Western Union pour envoyer de l’argent chez eux, la dépendance du couloir Thaïlande-Birmanie sur le système hundi laisse penser qu’il ne contribue sans doute pas, ou peu, à l’enrichissement des membres de l’armée.

L’avenir des transferts Thaïlande-Birmanie 

Depuis peu, des initiatives pour digitaliser les transferts d’argent des travailleurs birmans en Thaïlande à leurs familles voient le jour. En mars 2019, Krunghtai Bank, Everex Holdings et Shwe Rural and Urban Development Bank ont signé une lettre d’intention, visant à introduire le premier service de transferts transfrontaliers par blockchain (monnaie numérique). Ce service permettrait aux clients de faire des transactions via leur smartphone, n’importe où et n’importe quand, tout en gardant un oeil sur leurs dépenses. En parallèle, un partenariat entre l’opérateur Telenor et Yoma Bank a créé Wave Money, très largement répandu en Birmanie pour les transferts nationaux: 1.3 milliards de dollars (USD) se sont déplacés à l’aide de ce réseau de transfert digital. Ce système a été développé par téléphone ou via des agences localisées à travers le pays dans lesquelles les clients peuvent se rendre pour effectuer leurs transactions. Au vu de la densité des flux du couloir Thaïlande-Birmanie, ils réfléchissent très sérieusement à s’y installer.

Simples et efficaces, ces initiatives pourraient en théorie révolutionner la manière dont les travailleurs migrants birmans en Thaïlande renvoient une partie de leurs salaires à leurs familles. Malheureusement, elles ignorent quelques données non négligeables… 60% des personnes qui reçoivent ces fonds sont des femmes, mais les femmes ont 29% de moins de chances de posséder un téléphone portable, ce qui entrave leur accès aux applications de services financiers. De plus, ces initiatives ne sont autorisées que si elles sont faites en partenariat avec une banque birmane, mais l’inclusion financière est particulièrement basse en milieu rural, première destination des transferts. Enfin, les usagers des smartphones et d’internet en Birmanie ignorent largement l’existence de services en ligne autre que  Facebook, y compris de produits digitaux financiers. C’est cette méconnaissance globale qui a d’ailleurs contribué de manière significative à la désinformation et au développement de la haine propagée contre les Rohingya sur les réseaux sociaux, et qui souligne la nécessité de maîtriser le numérique.

Si la Birmanie souhaite incorporer ces flux à son développement économique, de manière éthique et responsable, il faut qu’elle établisse une conception basée sur les besoins de sa population et choisisse des partenaires conscients des droits humains. Prendre en compte la réalité et la démographie des personnes qu’elle cherche à atteindre est indispensable pour leur proposer un service économique et social à l’impact positif et durable.

Clara Sherratt