Violation des droits de l’homme contre les femmes

Violation des droits de l’homme contre les femmes

Arrestation arbitraire, torture, humiliation, travail forcé, violence conjugale, enlèvement, prostitution, mariage forcé  etc. : les femmes sont les premières victimes de la pauvreté, de l’insécurité et des trafics en Birmanie.

ARRESTATIONS ARBITRAIRES, TORTURE ET HUMILIATIONS

En Birmanie, sous la junte militaire, les femmes étaient, comme les hommes, traquées en raison de leurs idées politiques. « Toute personne suspectée d’être un dissident politique peut être arrêtée, détenue et interrogée par les renseignements militaires, sans aucun mandat d’arrestation », faisait état un rapport de l’Association d’Aide aux Prisonniers Politiques de Birmanie (AAPP) sur la torture dans les centres de détention et les prisons en Birmanie, publié en décembre 2005. Participer à une manifestation non-violente pour la démocratie pouvait conduire à des années de prison. Le seul fait d’être l’épouse d’un homme recherché par les milices des renseignements suffisait à être emprisonnée à sa place.

L’opposante Aung San Suu Kyi, la fille du général Aung San, héros de l’indépendance birmane, symbolise cette politique. Elle a passé plus de 15 années privée de liberté, pour des motifs uniquement politiques. Sous la pression de la communauté internationale, elle a finalement été libérée en 2010, après plus de sept années consécutives en résidence surveillée.

Dans les centres d’interrogation, les suspects étaient harcelés et torturés jusqu’à l’épuisement. Thida Htway se souvient :« Je fus interrogée pendant 8 jours consécutifs, au cours desquelles je ne reçus que 3 repas et de l’eau en quantité insuffisante. J’étais interrogée sans arrêt, je ne pouvais dormir. Je n’avais que très rarement le droit d’aller aux toilettes. Je devais rester debout pendant les heures d’interrogation. J’étais traitée comme une ennemie, je recevais des coups de bâton et même des chocs électriques ».[1]

Depuis la dissolution de la junte militaire en 2011, les violations des droits de l’homme commises par les forces armées sont toujours récurrentes. Les Nations Unies ont rapportés en 2013, de nombreux cas de tortures, notamment dans les prisons. Il n’y a aucune raison de penser que ces traitements sont réservés aux hommes.

Le 23 juillet 2013, environ 70 prisonniers politiques ont été libérés, dont plusieurs femmes. Info Birmanie salue cette initiative mais s’inquiète du nombre alarmant de nouvelles arrestations d’activistes depuis le début de l’année, ainsi que du nombre de militants emprisonnés en attendant leur procès.

Il est difficile d’évaluer le nombre de prisonniers de conscience encore enfermés à l’heure actuelle. Pour la Ligue nationale pour la démocratie de l’opposante Aung San Suu Kyi, ils seraient encore une centaine, tandis que pour l’association Anciens prisonniers politiques (AAPP), ils seraient environ 150.  Parmi ceux-ci, combien de femmes sont-elles retenues dans des conditions préoccupantes? Personne ne semble le savoir…

TRAVAIL FORCE

Le travail forcé, largement pratiqué sous la junte militaire, a été pour les femmes, un véritable fléau. Les soldats, lors de patrouilles de routine ou pendant les offensives militaires, se rendaient dans les villages et forçaient des adultes ou enfants à suivre leur unité pour accomplir différentes besognes : construction de routes, transport de l’approvisionnement des soldats, entretien de plantations au profit des autorités etc.

Travail forcé pour le nettoyage de site touristique
Travail forcé pour le nettoyage de site touristique

Les personnes « sélectionnées » étaient contraintes de suivre les soldats, pendant parfois des mois ou des années. Payer une « compensation » pouvait permettre d’échapper à ce travail forcé, mais elle était souvent beaucoup trop élevée pour les ménages.

Les militaires enrôlaient essentiellement des hommes, en conséquence, dès que l’armée arrivait dans un village, les hommes partaient se cacher pour éviter d’être choisi. Les femmes et les enfants se retrouvaient ainsi seuls, et vulnérables face aux soldats. 6% des cas de viols ont eu lieu alors que les maris des victimes étaient partis comme travailleurs forcés, le plus souvent comme porteurs et sur de longue période.

« Quand les soldats de la 5ème compagnie du 154ème BIL sont entré dans le  village de Nar Lein, les hommes ont couru se cacher de peur d’être forcés à faire les porteurs, laissant les femmes seules. Le capitaine Kyaw Myint a remarqué une jeune fille de 14 ans seule dans sa maison. Il a ordonné à ses soldats de monter la garde à l’entrée, l’a emmenée dans la chambre où il l’a giflée et violée » [2].

Suite aux pressions internationales, la junte a conclu en 2007, un protocole d’entente avec le Bureau International du Travail (BIT), pour permettre aux victimes de travail forcé de demander réparation. Les victimes pouvaient dès lors adresser leurs plaintes au BIT-Rangoun, qui menait ensuite des enquêtes sur le terrain et cherchait à obtenir une compensation et des excuses.

Entre 2010 et 2012, le bureau de Rangoun a reçu  506 plaintes, soit plus du double des trois années précédentes. Cela s’explique par une meilleure sensibilisation des populations, mais aussi par une augmentation du recours au travail forcé dans les régions touchées par les conflits armés. Faute d’être très efficace, ce mécanisme a tout de même permis de mettre une certaine pression sur les généraux. [3]

La Birmanie a finalement signé en 2012, un accord avec l’Organisation internationale du travail (OIT) s’engageant à mettre un terme au travail forcé d’ici à 2015. En attendant, le travail forcé continue, notamment avec le recrutement d’enfants soldats. Il est parfois remplacé ou complété par l’extorsion d’argent ou la confiscation de terres, au bénéfice des militaires.

LA TRAITE DES FEMMES

Le trafic d’être humain constitue un problème majeur en Birmanie, qui touche particulièrement les femmes. Les organisations birmanes et thaïlandaises, comme la Kachin Women’s Association (KWAT), ont réalisées un travail de documentation considérable à ce sujet.

La pauvreté désespérante, l’insécurité, les violations des droits de l’homme, le coût de l’éducation et le manque de perspectives, poussent les jeunes birmanes à quitter leur village et à tenter leur chance ailleurs.

Dans ces conditions, les trafiquants n’ont aucune peine à leur faire croire qu’elles pourront trouver un travail et une situation plus stable, en dehors de la Birmanie. Dans beaucoup de cas, les filles sont vendues par des membres de leur famille à des trafiquants, pour éponger leurs dettes. Elles sont ainsi amenées, pleines d’espoir en Chine, en Thaïlande ou au Pakistan où elles seront finalement forcées à travailler dans l’industrie du sexe ou condamnées au mariage forcé. Au moins un quart des victimes aurait moins de 18 ans.

Bien que la Birmanie soit signataire depuis le 30 mars 2004 du Protocole de prévention, suppression et punition du trafic des personnes – en particulier des femmes et des enfants – le régime ne s’est toujours pas attaqué aux racines du problème.

@vision du monde
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MARIAGE FORCE 

En Chine, la politique de l’enfant unique instauré en 1978, et la préférence des familles pour les garçons, a entrainé un réel déficit de femme. Aujourd’hui, selon les estimations, pour 120 naissances de garçons, seules 100 filles viendraient au monde. D’après l’Académie chinoise des sciences sociales, 24 millions d’hommes pourraient, dès 2020, être dans l’incapacité de trouver une épouse. Le nombre d’homme célibataire chinois représente ainsi, pour les trafiquants, une source de profit colossale qui risque d’être lucrative pour encore longtemps.

Les jeunes femmes Kachin du nord-est de la Birmanie sont les proies privilégiées des trafiquants. Ils n’ont aucun mal à les enlever et à leur faire passer les frontières ou à convaincre les plus pauvres, de vendre  les femmes et fillettes qui leur font confiance.

Une fois en Chine, les femmes sont maquillées et revêtent de beaux vêtements, pour être négociées sur le marché. Ces femmes se vendraient entre 800 et 6000 euros, en fonction de leur âge, de leur physique, mais surtout de leur potentiel à enfanter.

Les femmes achetées participent à des taches agricoles et domestiques harassantes, mais sont surtout sous pression : elles doivent mettre au monde le plus vite possible un enfant, et plus précisément un garçon. Lorsque ce n’est pas le cas, elles peuvent être revendues, torturées, ou mises à la porte.

PROSTITUTION 

En Birmanie, la prostitution constitue un délit passible de trois ans de prison. Pourtant, l’industrie du sexe y est florissante et les conditions sanitaires déplorables.

Le rapport de la KWAT révèle un trafic important de femmes à des fins de prostitution. Les femmes Kachin sont souvent trafiquées dans les villes de la frontière chinoise et dans le sud-ouest du Yunnan, dans des bordels situés près des zones d’exploitation minière. Environ 10% sont des trafics domestiques pour des karaoké ou des salons de massages ( faisant office de bordels ) dans l’Etat kachin, l’Etat Shan ou vers la capitale, Rangoun.

Les femmes sont souvent tenues à l’écart de toute communication, obligées de travailler dans des conditions d’esclavage, sans toucher de salaire, jusqu’à ce qu’elles remboursent leur « dette » (le prix auquel elles ont été achetées par le proxénète).

Les trafiquants sont souvent puissants et protégés : ils parviennent facilement à échapper aux arrestations, notamment en raison de liens complices qu’ils entretiennent avec la police de frontière et d’autres personnages officiels, facilement corruptibles.

En 2006, les organisations comptaient approximativement 40 000 prostituées originaires de Birmanie en Thaïlande et estimaient qu’en 2016, une prostituée sur deux en Thaïlande, serait d‘origine birmane.

Il est difficile d’évoquer la prostitution en Birmanie et vers les pays voisins sans évoquer la propagation du virus du Sida. Le taux de prévalence du VIH/sida en Birmanie est estimé à plus de 1% de la population totale, c’est-à-dire l’un des plus élevé d’Asie et on ne sait pas combien de militaires sont infectés. A l’heure actuelle seul 30 000 des 250 000 personnes séropositives sont en mesure de recevoir un traitement [4].

RETOURNER DANS SA COMMUNAUTÉ

S’enfuir n’est pas chose aisée car les « maris », ou les proxénètes des femmes enlevées, n’hésitent pas à les séquestrer pour les empêcher de fuir. Même une fois en cavale, elles se retrouvent dans un pays dont elles ignorent tout, sans argent et sans soutien, elles courent le risque d’être trafiquées de nouveau, ou de se faire arrêter par la police faute de papiers d’identités.

Lorsqu’elles parviennent à retourner dans leur communauté elles font face à de gros problèmes psychologiques, et ont parfois contracté des maladies, comme le VIH. Elles sont aussi confrontées à un manque de soutien car leur histoire fait honte à leur famille et elles doivent souvent affronter la stigmatisation de leur communauté qui pense qu’elles se sont volontairement prostituées.

TRAFIC DE DROGUE : LES CONSÉQUENCES POUR LES FEMMES.

Dans les années 1990, la junte militaire a autorisée la culture de l’opium dans le nord-est du pays, en échange de la signature d’un cessez-le-feu avec la communauté Palaung. Cette décision, très stratégique, visait à s’assurer la loyauté des groupes armés de l’Etat Shan, mais aussi à récupérer une partie des bénéfices.

© Mongpawk Femme Lahu dans un champs d'opium - 2005
© Mongpawk
Femme Lahu dans un champs d’opium – 2005

Le développement florissant du commerce de l’opium, a coïncidé avec la mauvaise gestion des affaires du pays, à l’appauvrissement de la population et à un manque inquiétant d’emplois. Dans la région du nord-est de la Birmanie, la culture traditionnelle du thé, source de revenus de milliers de personnes, s’est effondrée. Les conséquences ont été dramatiques pour les femmes puisque les hommes, désespérés, se sont tournés vers la drogue, désormais abondante.

Obligées de subvenir seules aux besoins de leurs enfants et à l’addiction des hommes, la situation des femmes est devenue catastrophique : injures, menaces et violences conjugales, exploitation et recours à la prostitution, vente des enfants, des biens et du logement etc.

En 2001, le président Thein Sein, alors membre de la junte militaire, déclarait au sujet de deux trafiquants de drogue, inculpés par un tribunal américain pour leur implication dans le trafic de drogue du triangle d’or : « J’étais à Mong Ton et Mong Hsat pendant deux semaines. U Wei Xuegang et U Bao Youri du Wa Groups sont de vrais amis. ».

Selon le rapport Mondial sur les Drogues, de l’Office des Nations Unies contre la drogue et la criminalité (ONUDC) publié en 2012, la Birmanie, est le deuxième producteur d’opium dans le monde après l’Afghanistan et produit 16% de la production planétaire. Cette production vient principalement de l’Etat Shan, mais aussi de l’Etat kachin.

Entre 2006 et 2012, la production d’opium a augmenté de 50% en Birmanie. L’arrivée d’un gouvernement « civil » au pouvoir, n’a donc pas permis, malgré un désir de réforme affiché, de maitriser la production florissante de drogue. Alors que le commerce d’opium et de métamphétamines, permet aux groupes armés des minorités ethniques de financer les opérations militaires dans la région, il semblerait que le trafic de drogue en Birmanie, est encore une longue vie devant lui.

En attendant, ce sont les femmes et les enfants qui paient le prix d’une pratique qui a été encouragée par la junte militaire et qui ne semble pas prête de s’arrêter.


[1] Source : Médecins Sans Frontières

[2] Source : Rapport « Licence to rape », cas n°171

[3] Source : Amnesty International

[4] Source: « Situation des travailleurs migrants », Human Right Year Book, 2005

En savoir plus:
Rapport Licence to Rape (en français) ou Rapport Licence to Rape (en anglais)
Rapport « La situation des femmes de Birmanie », Association Les Amis de la Birmanie, Sarah ASTIER