Accaparement des terres : reportage dans la région de Bago

Accaparement des terres : reportage dans la région de Bago

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L’arrivée au pouvoir de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) en 2015 n’a pas mis fin à la pratique massive des confiscations de terre qui frappe la population birmane depuis des décennies, pour le plus grand bénéfice de toute une myriade d’acteurs politiques et économiques, au premier rang desquels l’armée.
Un rapport édifiant publié le 21 octobre par Displacement Solutions («Land Grabbing as an internationally wrongful act : a legal roadmap for ending land grabbing and housing, land ans property rights abuses, crimes and impunity in Myanmar») montre que la question de la terre en Birmanie demeure une source majeure de conflits et d’inquiétudes, qui tend à s’aggraver.
Il souligne également que les élites du pays tentent de légitimer les confiscations menées par la venue d’investisseurs étrangers dans le cadre de la «loi». Mais qu’en réalité, on trouve d’un côté l’enrichissement illicite, le vol et la corruption et de l’autre le déplacement, l’appauvrissement et la destruction de l’environnement. On parle ici de millions d’hectares confisqués.
Les « droits au logement, à la terre et à la propriété » sont en état de menace et d’insécurité permanente pour la grande majorité des 54 millions de birmans. Dans les cas les plus extrêmes, les confiscations de terre relèvent des crimes les plus graves en droit international. Les minorités ethniques (Rohingya, Shan, Karen, Kachin et plusieurs autres minorités) sont particulièrement exposées. Plus largement, entre 30 et 50 % de la population rurale du pays ne dispose pas de droits formels sur la terre.
Adeline Crausaz, correspondante bénévole pour Info Birmanie, part à la rencontre de villageois de la région de Bago, livrés à eux-mêmes et le plus souvent invisibles. Leur vécu illustre ce que des millions endurent à travers le pays, sans pouvoir se tourner vers une quelconque instance chargée de rendre justice.
31 octobre 2019

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Lettre ouverte à Hikmet Ersek, PDG de Western Union

Lettre ouverte à Hikmet Ersek, PDG de Western Union

Info Birmanie s’associe à cette initiative de International Campaign for the Rohingya (ICR), basée aux Etats-Unis

31 octobre 2019 – 33 organisations de la société civile demandent à Western Union de mettre un terme à sa relation d’affaires avec l’armée birmane, mise en cause par les enquêteurs de l’ONU pour génocide, crimes contre l’Humanité et crimes de guerre.

Western Union est en relation d’affaires avec une banque détenue par l’armée birmane, que celle-ci utilise comme l’un de ses agents à travers le pays. La Banque Myawaddy est en effet une filiale de la Union of Myanmar Economic Holdings Ltd (UMEHL), un puissant conglomérat d’affaires des militaires. Les profits de cette banque bénéficient à l’armée.

La Mission d’établissement des faits de l’ONU sur la Birmanie a appelé la communauté internationale « à couper tout lien avec l’armée birmane et le vaste réseau d’entreprises qu’elle contrôle et sur lequel elle s’appuie », car « toute activité d’une entreprise étrangère impliquant l’armée et ses deux conglomérats (UMEHL et MEC) l’expose à un haut risque de contribuer ou d’être en lien avec des violations du droit international des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ». « A minima, ces entreprises étrangères alimentent la capacité financière de l’armée.»

Western Union est en relation d’affaires avec une armée responsable du viol de milliers de femmes, tandis que les meurtres se comptent par milliers. Il existe pourtant de nombreuses entreprises sans aucun lien avec l’armée et qui incarnent une alternative pour les activités de Western Union en Birmanie. Rien ne peut justifier d’alimenter les caisses d’une armée réputée pour sa brutalité.

Nous louons le fait que le PDG de Western Union ait pris position en faveur des réfugiés. Mais en s’alliant avec une armée qui a contraint plus de 700 000 Rohingya à prendre le chemin de l’exil au Bangladesh, Western Union risque de ternir sa réputation et celle de ses plus hauts responsables.

Nous exhortons Western Union à mettre un terme à son partenariat avec la banque Myawaddy. Nous lui demandons également de s’engager à ne pas entrer en relation d’affaires avec la moindre entreprise détenue ou liée à l’armée et d’exercer la vigilance requise pour s’assurer qu’elle ne sera plus jamais engagée dans une telle relation.

Contact : Sophie Brondel, coordinatrice d’Info Birmanie 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

Version originale de la lettre ouverte

Contacts presse de la lettre ouverte : 

Tun Khin, Président, Burmese Rohingya Organisation UK (BROUK)
Mobile (UK): +44 (0)7888714866 tunkhin80@gmail.com 
www.brouk.org

Mark Farmaner, Directeur, Burma Campaign UK
Mobile (UK): +44 (0794) 1239640 Twitter: @MarkFarmaner
mark.farmaner@burmacampaign.org.uk www.burmacampaign.org.uk

Simon Billenness, Directeur exécutif, International Campaign for the Rohingya, Campaign Director, No Business With Genocide
Mobile (US): 617-596-6158 Twitter: @Rohingya_ICR simon.billenness@rohingyacampaign.org www.rohingyacampaign.org

Signataires :

Action Committee for Democracy Development
ALTSEAN-Burma
Association of Human Rights Defenders and Promoters- HRDP
Association Suisse Birmanie (Swiss Burma Association)
Burma Campaign UK
Burma Task Force
Burmese Rohingya Organisation UK (BROUK)
CodePink
Collectif HAMEB
Dana Investment Advisors
Free Burma Campaign (South Africa)
Friends Fiduciary Corporation
Fund Our Future
Global Witness
Independent Old Catholic Church, Office of Ecumenical, Interfaith, and Global Engagement
Info Birmanie
Institute on Statelessness and Inclusion
International Campaign for the Rohingya
International Center for Rights and Justice
International Interfaith Peace Corps
Investors Against Genocide
Justice For All
Karen Organization of America
Never Again Coalition
No Business With Genocide
Odhikar
Partners Relief and Development UK
Pax Christi Metro New York
Progressive Voice
SharePower Responsible Investing
Swedish Burma Committee
Unitarian Universalist Service Committee
US Campaign for Burma
Nord de l’état Shan : EDF doit se retirer de Shweli 3 / Stop aux projets de barrage dans les zones de conflit

Nord de l’état Shan : EDF doit se retirer de Shweli 3 / Stop aux projets de barrage dans les zones de conflit

Alors qu’Amnesty international publie un nouveau rapport sur l’ampleur des violations des droits humains subies par les populations civiles dans le cadre des conflits actifs en cours dans le nord de l’état Shan, Info Birmanie relaie la campagne qui vient d’être lancée par Burma Campaign UK.

Celle-ci demande à EDF de se retirer du projet de barrage Shweli 3 et de s’engager à ne pas participer à des projets de barrage dans les zones de conflit en Birmanie, tant qu’il n’y aura pas de cessez-le-feu effectif et de négociations politiques garantissant qu’ils n’entraînent pas davantage de conflits et de violations des droits humains.

Voici la campagne de UK Burma Campaign :

« Le barrage Shweli 3 est situé dans le nord de l’état Shan, dans une zone sous le contrôle de différentes organisations ethniques armées. Une fois les travaux préparatoires lancés, des bataillons de l’armée birmane sont arrivés dans la région et ont déclenché des conflits qui ont forcé des centaines de civils à fuir leur domicile. Le projet Shweli 3 s’approche désormais de la phase de développement et de construction, ce qui fait craindre davantage de conflits et d’abus.

La « Ta’ang Students and Youth Union » (TSYU) affirme que « la mise en œuvre du barrage Shweli 3 va mettre en danger les vies de la population locale, prolonger la guerre et compromettre tout processus de paix. » Des douzaines d’organisations de la société civile ont appelé à un moratoire sur les barrages et les projets de développement d’envergure dans les états ethniques dans le contexte actuel, en raison des liens qui existent entre ces projets et les conflits / les violations des droits humains.

Burma Campaign UK avait déjà inscrit EDF (le 20 août 2019) sur sa « Dirty List » d’entreprises internationales liées à l’armée ou à des violations des droits humains/dégâts environnementaux en Birmanie. EDF n’a pas répondu aux courriers de Burma Campaign UK. « EDF ne tient pas compte des préoccupations et des souhaits exprimés par la population locale et poursuit son implication dans ce projet, en sachant qu’il alimentera le conflit et les violations des droits de l’Homme » affirme Mark Farmaner, Directeur de Burma Campaign UK. « EDF doit s’engager à ne pas investir dans les zones de conflits en Birmanie ».»

Pour relayer cette campagne, vous pouvez interpeller directement EDF en signant la pétition en ligne lancée par UK Burma Campaign : https://action.burmacampaign.org.uk/edf-life-threatening-dam-burma

Quelques compléments d’information :

En décembre 2015, EDF a signé un protocole d’accord relatif au projet Shweli 3 avec le gouvernement birman. Il implique un consortium composé d’EDF, d’une société japonaise (Marubeni) et d’une société birmane (Ayeyar Hinthar), dans le cadre d’un partenariat public-privé. En septembre 2018, le Ministère birman de l’Energie et de l’Electricité a signé une « Notice to Proceed » désignant ce consortium, chargé du développement de ce futur barrage Shweli 3. Interrogé en septembre 2018 par Frontier Myanmar sur le fait que le projet se situe en zone de conflit actif, le directeur d’EDF pour l’Asie avait alors déclaré « s’en remettre aux autorités de l’Etat birman pour commenter la situation politique de la région et ajouté que la sécurité de ses employés et partenaires était la priorité numéro 1 » de EDF. Questionné sur le déplacement possible de milliers de villageois dans le cadre du projet et sur leur éventuelle protestation, il avait souligné qu’EDF avait de « très hauts standards » et « portait une attention particulière à la réduction des impacts sociaux et environnementaux ». Ajoutant qu’EDF « attendait de partager son expérience en la matière avec le Gouvernement birman, qui sera chargé du dialogue avec les acteurs locaux et en sera responsable ».

Dans son récent rapport consacré aux intérêts économiques des militaires, la Mission d’établissement des faits de  l’ONU demande à tous les investisseurs et à toutes les entreprises étrangères dans les zones de conflit en Birmanie, notamment dans l’état Shan, de respecter les « Principes Directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits humains ». Les entreprises et les investisseurs étrangers ne peuvent pas faire abstraction des spécificités du contexte birman : poids politique et économique de l’armée, violations massives des droits humains en toute impunité, prévalence de conflits actifs.

24 Octobre 2019

Contact : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

 

 

Pour rentrer en Birmanie, mieux vaut être un touriste qu’un ancien exilé   

Pour rentrer en Birmanie, mieux vaut être un touriste qu’un ancien exilé  

Retour en terre natale de Sein Win, grand défenseur de la démocratie 

Le retour de Sein Win en Birmanie en août dernier est passé un peu inaperçu. Son retour marque pourtant la fin de trente ans d’exil. Pourquoi maintenant alors que la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) est au pouvoir depuis 2016 ?

L’histoire de Sein Win se dessine en parallèle de celle d’Aung San Suu Kyi, dont il est le cousin. Sein Win est l’ancien chef du “gouvernement en exil”, aussi appelé le Gouvernement de Coalition Nationale pour l’Union de la Birmanie (GCNUB). Il a longuement milité pour que la communauté internationale fasse pression sur la junte birmane. Il a participé à la création de la radio Democratic Voice of Burma (DVB) fondée en Norvège en 1992, qui a donné voix aux exilés.

Grand défenseur de la démocratie, Sein Win suit les traces de son oncle, Aung San, et de son père, tous deux assassinés le 19 juillet 1947 lors de la même attaque. Au lendemain du soulèvement de 1988*, il devient président du Parti pour la Démocratie Nationale (PDN), un allié de la LND alors naissante. C’est en 1990, lorsque la junte refuse de reconnaître les résultats des élections remportées par la LND, que le GCNUB voit le jour et adopte le statut de “gouvernement en exil”. Il est alors essentiellement constitué de membres de la LND, de représentants de minorités ethniques et d’indépendants, avec Sein Win pour Premier Ministre. Le siège du parti est établi par l’Union Nationale Karen à Manperlaw dans le sud-est de la Birmanie. Mais en 1995, l’armée birmane reprend possession de la ville. Sein Win décide alors de prendre la route de l’exil et d’établir le siège de son parti à Rockville, dans le Maryland aux Etats-Unis. En 2012, suite à la victoire de la LND aux élections législatives partielles, le GCNUB décide de se dissoudre dans un élan de réconciliation nationale.

De 1990 à 2012, le GCNUB  a eu le statut d’association illicite en Birmanie, un statut qui date de l’époque coloniale et qui lui sera attribué jusqu’en 2018 ! Après son arrivée au pouvoir en 2016, la LND aura donc mis deux ans pour supprimer ce statut et permettre un éventuel retour à Sein Win. Jusqu’alors, les membres d’associations dites “illicites” étaient menacés d’arrestation et d’emprisonnement.

Ouverture pour les uns et contrôle pour les autres 

A l’image du retour de Sein Win rendu possible sur le tard, les conditions fixées pour le retour des anciens citoyens birmans témoignent d’une logique de contrôle. Ils doivent solliciter un « social visit visa » pour rentrer sur le territoire birman et ne bénéficient donc pas d’un dispositif allégé, tel que la délivrance de visa à l’arrivée prévue pour les ressortissants d’un certain nombre de pays.

Depuis le début du mois d’octobre, les ressortissants de six pays (Australie, Allemagne, Italie, Espagne, Suisse et Russie) peuvent  en effet entrer en Birmanie sans autorisation préalable. Les touristes originaires de ces pays peuvent désormais obtenir un visa à l’arrivée sur le territoire birman sans démarches préalables, et ainsi avoir accès aux aéroports de Yangon, Mandalay et Naypyidaw. La Birmanie, dont l’ouverture aux touristes est récente, tente par tout moyen de faire revenir les touristes occidentaux, échaudés par les violations massives des droits humains commises dans le pays et la crise Rohingya, à laquelle l’exode de 2017 a donné une visibilité sans précédent.

Mais si vous êtes un ancien citoyen birman naturalisé dans un de ces pays et que vous souhaitez vous rendre en Birmanie, la tâche ne sera pas aussi facile. Le visa touriste ne vous sera pas délivré. Il vous faudra demander le “social visit visa”, qui suppose quelques démarches supplémentaires à effectuer avant l’arrivée sur le territoire. Ce visa nécessite un “sponsor”, soit un ressortissant birman qui vous parraine lors de votre séjour dans le pays, et une garantie de sortie du territoire.

Pour certains, ce visa spécifique traduit une réelle volonté de contrôle renforcé concernant les anciens citoyens birmans, en particulier ceux qui auraient fui le pays après le soulèvement de 1988, soit ceux qui soutenaient alors Aung San Suu Kyi ! Ce contrôle viserait aussi des activistes issus de minorités ethniques ayant pu acquérir une autre nationalité.

Le caractère discriminatoire de ce visa spécifique pour anciens citoyens birmans est dénoncé. Des voix critiques déplorent que la LND semble avoir pour priorité de promouvoir les investissements et le « développement économique », plutôt que d’encourager le retour de ses propres citoyens, anciens supporters de la LND pour la plupart. Ce “social visit visa” permet de filtrer minutieusement leur entrée sur le sol birman et de vérifier les possibles connexions entre ces derniers et des opposants au pouvoir actuel.

Une politique restrictive de plus sous le gouvernement de la LND, qui ne cadre pas avec les engagements du passé.

22 octobre 2019

* Les événements politiques de 1988 en Birmanie sont un ensemble de manifestations pacifiques prônant l’établissement de la démocratie, sévèrement réprimées.  

Vos crevettes ont-elles été pêchées par des esclaves?

Vos crevettes ont-elles été pêchées par des esclaves?

InfoBirmanie, en partenariat avec Terre des Hommes France (TDH), la Fédération Internationale Terre des Hommes (FITDH), et Foundation for Education and Development (FED) participe à un projet visant à réduire la vulnérabilité des migrants entre la Thaïlande et la Birmanie. Cet article d’Info Birmanie est le cinquième d’une série mensuelle : retrouvez tous les mois une publication thématique pour rendre compte de la situation pressante des migrants birmans en Thaïlande et du contexte de cette migration.

25/09/2019

Ghost Fleet, une revendication pour la justice 

Le samedi 7 septembre, Info Birmanie a eu le plaisir d’accueillir une cinquantaine de personnes à une projection-débat autour du film Ghost Fleet (Shannon Service et Jeffrey Waldon, Vulcan Productions) dans le bel espace écologiste de la Fondation GoodPlanet.

Ce documentaire alarmant, filmé entre 2013 et 2017 et sorti en 2019, suit le parcours d’un petit groupe d’activistes luttant au péril de leur vie pour l’accès à la justice et la libération de pêcheurs réduits en esclavage sur des îles isolées d’Indonésie. Basées à Bangkok, Patima Tungpuchayakul, militante abolitionniste thaïlandaise, et Chutima Sidasatian, chercheuse, consacrent leurs vies à aider ces hommes « perdus » à rentrer chez eux et obtenir justice. Info Birmanie a eu l’honneur d’obtenir un entretien avec elles entre deux actions de sensibilisation.

 Place au débat ! 

Surexploitation des pêcheurs et des océans : même combat

La brutalité de l’esclavage moderne dont témoignent ces hommes, majoritairement birmans, choque le public tandis que l’héroïsme, la patience et la persévérance de l’équipe militante du Labour Protection Network (LPN) l’inspire. Cette situation, qui semble impossible tant elle est extrême, est bien réelle, directement liée à l’état d’épuisement des océans provoqué par un besoin mondial insatiable de poissons et de fruits de mer…

D’après l’exposition Océan de la Fondation GoodPlanet, 80 % des stocks de poissons sont pleinement exploités ou surexploités, 90 % des stocks de poissons commerciaux ont disparu et 1 espèce de poisson sur 3 est menacée d’extinction. Autour des côtes thaïlandaises, la mer est vide. Les chalutiers sont contraints d’aller pêcher plus au large et d’y rester pendant de longues périodes pour trouver des bancs de poissons. Les pêcheurs refusent la généralisation de ces conditions de travail dans tout le secteur de la pêche thaïlandais, car elles les sépareraient trop longtemps de leurs familles. Pour compenser cette fuite de main d’oeuvre, les réseaux de passeurs et de trafiquants capturent de vulnérables migrants, parmi lesquels beaucoup de birmans venus gagner leur vie en Thaïlande.

Kidnappés, drogués et amenés de force à bord des bateaux, les victimes de cette pratique ne poseront plus pied sur la terre ferme pendant des mois, voire même des années. En effet, le “transbordement” permet aux chalutiers de rester en mer, d’y être ravitaillés et de transférer leurs pêches sur des bateaux-mères qui rentrent au port. Quand les chalutiers eux-mêmes doivent rentrer au port pour des réparations par exemple, un transbordement des pêcheurs peut avoir lieu. Vendus d’un capitaine à l’autre, les pêcheurs restent piégés loin des yeux des autorités et des contrôles…

Le “Labour Protection Network” en action 

Au fil des années, le Labour Protection Network a reçu de plus en plus d’appels à l’aide de la part de ces esclaves et a décidé d’agir. Abandonnés ou échappés sur des îles indonésiennes, c’est là que Patima, Chutima et l’équipe du LPN retrouvent des dizaines d’anciens pêcheurs réduits en esclavage, prisonniers depuis des années.  Certains ont tenté d’y refaire leur vie et ne peuvent quitter les familles qu’ils ont fondées en Indonésie mais ils profitent de la visite de l’organisation pour envoyer une vidéo à leurs proches en Birmanie et leur dire qu’ils sont encore en vie.

Patima et Chutima à la recherche d’hommes perdus

D’autres veulent à tout prix rentrer chez eux avec l’aide du LPN, qui prend en charge leur rapatriement. Cependant, le retour n’est pas toujours facile car la lutte continue… N’ayant jamais touché leurs salaires, victimes de tortures et de mauvais traitements à bord des bateaux, les anciens esclaves essaient de réclamer justice avec l’aide de l’association. D’après Patima et Chutima, 10 procès se sont tenus devant la cour pénale thaïlandaise, mais quasiment tous ont été abandonnés car le procureur a jugé qu’il n’y avait pas assez de preuves. La LPN a aussi soutenu plus de 400 personnes dans leurs démarches auprès du Ministère du travail mais en l’absence de témoins ou  de “preuves concrètes”, ces démarches sont fastidieuses.

Des promesses difficiles à tenir de la part du gouvernement thaïlandais… 

La Thaïlande s’est engagée à garantir que les conditions de travail dans l’industrie de la pêche respectent les standards de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme. Elle est aussi le premier pays asiatique à ratifier, en janvier 2019, la Convention sur le travail dans la pêche. Cependant, la mise en oeuvre de ces textes demeure insuffisante. Selon Patima et Chutima, aucune poursuite judiciaire contre les capitaines ou les propriétaires des bateaux de pêche n’a eu lieu parce que les crimes commis sont quasi-intraçables: loin du sol national, hors de ses eaux territoriales, les équipages hissent des pavillons différents pour contourner les juridictions. Face à cette situation, les deux militantes soulignent l’importance des lois et de la coopération régionales et internationales afin que ces exactions soient punies en justice.

“Que peut-on faire, nous?”

Un profond sentiment de révolte s’empare de ceux qui voient le documentaire, et les questions sur les moyens d’action fusent suite à la projection.

Si la société de production Vulcan n’appelle pas au boycott des fruits de mer, évoquant les 500 millions de personnes qui dépendent de cette industrie pour survivre, elle encourage vivement les consommateurs à demander d’où proviennent les produits qu’on leur vend. En effet, les produits issus de la pêche illégale, non-déclarée et non-réglementée (IUU), se retrouvent dans les rayons frais, surgelés et de nourriture animale des supermarchés en Europe et aux Etats-Unis. En montrant à l’industrie agroalimentaire que la provenance des aliments est importante aux yeux des consommateurs et en demandant une transparence quant à leur acheminement et à la chaîne de travail, Vulcan pense qu’un changement peut s’opérer. En interne, la production diffuse le film auprès des grandes surfaces aux Etats-Unis. Avec cette action de sensibilisation, elle entend les amner à une plus grande responsabilité sociale et environnementale. Elle espère aussi pouvoir diffuser le film plus largement, y compris en France, et souhaite que ce type d’initiative se poursuive au niveau mondial.

Pour Patima et Chutima, la communauté internationale doit se mobiliser, demander des comptes, et fournir un espace pour que les esclaves, anciens et actuels, puissent s’exprimer et partager leur histoire, comme l’a courageusement fait Tun Lin à l’ONU en juin dernier. Elles rappellent aussi que le LPN a besoin de dons pour continuer à sauver des vies et à mettre en oeuvre de nouveaux projets, comme celui qui sera lancé le mois prochain pour soutenir les anciens esclaves après leur retour. Ils seront accueillis dans des centres spécifiques pour les aider à surmonter le stress post-traumatique qui les handicape, et les préparer à une réinsertion professionnelle digne, sûre et loin du secteur de la pêche et de l’exploitation.

Un esclave travaillant à bord

Enfin, Patima et Chutima déplorent la logique marchande qui opère dans ce secteur et tant d’autres, et qui engendre tant de victimes d’exploitation. Lors de la dernière scène de Ghost Fleet, le Premier Ministre thaïlandais évoque le besoin urgent de réguler cette industrie, non pas pour les innombrables vies qu’elle impacte, mais pour son chiffre d’affaire annuel de 7 milliards de dollars qu’il souhaite pérenniser…

C’est au renversement de cette mentalité que Patima et Chutima dédient leurs vies : “Des hommes travaillent 20 ans sans recevoir un centime, alors qu’un poisson est vendu à plusieurs dollars. Une vie humaine vaut plus que celle d’un poisson.” 

Clara Sherratt