Une mosaïque d’ethnies

Une mosaïque d’ethnies

La Birmanie affiche une des plus grandes diversités ethniques au monde. 135 groupes ethniques sont officiellement recensés par le gouvernement, ils totalisent une centaine de langues et de dialectes différents.

Bien qu’aucun recensement précis ne soit disponible à ce jour, des évaluations convergentes estiment que les « minorités ethniques » (appellation qui regroupe l’ensemble des groupes n’appartenant pas à l’ethnie majoritaire bamar) représentent environ un tiers de la population, des 55 millions d’habitants que compte le pays.

Outre les Bamars, les Shan, Karen, Karenni, Mon, Kachin, Chin et Rakhine (ou Arakan) constituent les minorités les plus importantes, auxquelles s’ajoutent des Chinois et des Indiens d’immigration plus récente.

Comme les bamars, beaucoup de  minorités sont bouddhistes, toutefois  certaines d’entre elles sont musulmanes (les Rohingyas, le long de la frontière avec le Bangladesh), et d’autres, à l’image d’une partie des Karens, se sont converties au christianisme durant la colonisation britannique. L’hétérogénéité de cette population et ses clivages religieux, sont à l’origine des problèmes intercommunautaires qu’a connu, et que connais encore le pays.

UNE REPARTITION GEOGRAPHIQUE AUTOUR DES FRONTIERES 

Les Bamars sont concentrés dans la plaine centrale de l’Irrawaddy, tandis que les minorités peuplent essentiellement les « zones frontières » situées à la périphérie du pays, le long des frontières avec la Thaïlande, le Laos, la Chine, l’Inde et le Bengladesh.

Ce constat doit toutefois être nuancé, car les conflits ont entrainé le déplacement de centaines de milliers de personnes à travers le pays, ce qui a contribué à modifier la configuration ethnique. Des foyers de minorités ont, par exemple, été créés dans les agglomérations de Rangoon ou de Mandalay et des camps de réfugiés se multiplient le long des frontières.

Source: stimson the worldfactbook 2011
Source: stimson the worldfactbook 2011

UNE HISTOIRE JALONNEE DE MEFIANCE RECIPROQUE ET DE CONFLITS OUVERTS 

Les problèmes de cohabitation entre les multiples groupes ethniques, et notamment entre les minorités et l’ethnie majoritaire bamar, sont très anciens. Ils ont accentué la difficulté de parvenir à une édification nationale.

L’histoire birmane est ainsi jalonnée de méfiance réciproque et de conflits ouverts, entrecoupées d’initiatives d’intégration nationale dans un cadre fédéral.

La zone qui constitue aujourd’hui l’espace national birman, a longtemps été entourée de frontières poreuses, à l’origine de flux migratoires incessants. Cette situation instable, a alimenté les rivalités entre les différents groupes. Les frontières nationales ne se sont finalement fixées que sous la colonisation britannique.

La séparation politique qui existait déjà de facto entre les différents royaumes, a été renforcée par l’administration coloniale. Celle-ci sépara le pays en deux zones de statut différent, la zone dite « ministérielle » concentrant la  majorité des Bamars, et les « zones frontières ». Au sein de l’administration coloniale, les minorités ethniques se voyaient favorisées par rapport aux bamars.

Durant la seconde guerre mondiale, les minorités ethniques et les bamars tachèrent chacun de favoriser leur indépendance en scellant des alliances différentes, ce qui accentua encore davantage les clivages entre eux. Tandis que les nationalistes bamars luttaient contre l’ancien occupant britannique en s’alliant aux japonais (avant de basculer du côté anglais peu avant la fin de la guerre), les minorités soutenaient l’effort de guerre anglais.

Entre la fin de la guerre en 1945 et l’indépendance du pays en 1948 s’engagèrent des négociations entre les Bamars, emmenés par le général Aung San « héros de l’indépendance », et les représentants des minorités ethniques. Ces tractations débouchèrent sur la signature des accords de Panglong le 12 février 1947, qui garantissaient aux minorités une pleine autonomie administrative dans un cadre fédéral, allant même jusqu’à accorder la possibilité à deux groupes (les Shans et les Karennis) de se retirer de l’Union au bout de dix ans.

Toutefois, le général Aung San fut assassiné la même année, et les accords de Panglong restèrent lettre morte pour le nouveau pouvoir bamar en place, bien que se prévalant d’une légitimité démocratique. En conséquence, certains groupes, dont les Karens avec la Karen National Union (KNU), entamèrent une guérilla, qui continue pour plusieurs groupes jusqu’à ce jour.

L’instabilité politique et militaire résultant du non-respect des accords des Panglong fut précisément la raison invoquée par les militaires pour justifier leur coup d’Etat de 1962.

La Junte, sous le commandement du général Ne Win, plaça d’emblée son règne sous le signe d’une domination bamar sans partage. Sur le plan militaire, d’abord, en intensifiant les opérations de « contre-insurrection » dans les zones peuplées par les minorités ethniques. Sur le plan politique, ensuite, en ne reconnaissant aucune langue, culture et aspirations politiques des minorités dans la constitution de 1974. En conséquence, les principales minorités s’unirent politiquement au sein du Front National Démocratique (National Democratic Front, NDF).

La révolte démocratique de 1988 contribua à changer la donne. A cette occasion, la plupart des groupes ethniques affichèrent leur soutien au mouvement démocratique emmené par la fille du général Aung San, Aung San Su Kyi, futur Prix Nobel de la Paix en 1991. Suite à l’écrasement du mouvement, la Junte modernisa son armée (appuyée dans son effort par des pays comme la Chine ou la Russie) et lança au cours des années 1990 une série d’offensives dans les zones frontières, qui révéla rapidement son écrasante supériorité militaire. Symboliquement, le Quartier Général de la guérilla Karen, Manerplaw, tombait en 1995. En position d’infériorité, de nombreux groupes signaient avec la Junte des accords de cessez-le feu, qui ne prévoyaient aucune disposition politique mais permettaient aux groupes signataires, en échange de leur sujétion, de commercer librement, notamment l’opium. Certaines organisations, quoique fortement affaiblies, refusaient de signer de tels accords.

Quoiqu’il en soit, la supériorité de la Junte dans les zones ethniques a provoqué une catastrophe humanitaire pour les populations concernées. Depuis l’arrivée du gouvernement civil au pouvoir, cette situation reste toujours très préoccupante.

Pour en savoir plus:
Sur les tensions entre groupes ethniques, liées aux négociations à mener ou non avec le gouvernement au sujet de la Constitution et les accords de paix : lire l’article (en anglais)