« Le génocide n’est pas quelque chose qui arrive de façon spontanée »

« Le génocide n’est pas quelque chose qui arrive de façon spontanée »

L’ONG Fortify Rights a publié ce 19 juillet un rapport solide qui accuse l’armée birmane d’avoir planifié un « génocide » à l’encontre des Rohingya.

« Une préparation systématique du génocide », voilà comment l’ONG Fortify Rights qualifie les actions de l’armée birmane à l’encontre de la minorité musulmane Rohingya, dans l’état d’Arakan. Confiscations d’objets tranchants, entrainement des civils non Rohingya et suppression des clôtures de protection autour des domiciles ; voilà ce que met en avant le rapport de cette organisation indépendante de défense des droits humains.

Deux ans d’enquête

Le 25 août 2017, des membres de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA), ont attaqué des bases militaires birmanes, tuant 12 personnes dans les rangs de l’armée. A la suite de quoi les militaires ont riposté de manière totalement disproportionnée à l’égard des civils – en grande majorité apatrides – issus de la minorité musulmane Rohingya. Le rapport indique que ces attaques ont été commises par au moins 27 bataillons de l’armée birmane, comprenant jusqu’à 11 000 soldats et au moins trois bataillons policiers, soit 900 personnes. Si les chiffres sont pharamineux, ce n’est pas anodin. Fortify Rights présente l’attaque du 25 août comme une opportunité pour l’armée birmane de mettre en œuvre un génocide contre les Rohingya ; un génocide préparé dans l’ombre depuis longtemps : « les autorités birmanes ont fait des préparatifs systématiques pendant des semaines, voire des mois, avant les attaques du 25 août, pour organiser des crimes de masses contre des civils Rohingya ». Caractérisé par des meurtres, des viols et des incendies criminels ; la répression a forcé plus de 700 000 Rohingya à fuir vers le Bangladesh voisin.

D’octobre 2016 à juin 2018, l’organisation Fortify Rights a multiplié les interviews et basé son rapport sur des témoignages de survivants Rohingya, de membres du groupe rebelle armée de l’ARSA, mais également des sources militaires et policières birmanes. En tout, 22 responsables des forces de l’ordre, dont le chef de l’armée Minh Aung Hlaing sont mis en cause dans la persécution des Rohingya. En juin, Amnesty international avait déjà sorti un rapport accusant 12 militaires haut hauts gradés d’une « offensive systématique et orchestrée ». De leur côté, les Etats-Unis, le Canada et plus récemment l’Union Européenne ont annoncé des sanctions contre sept responsables militaires birman accusés d’avoir participé la campagne contre les Rohingya.

Armement des communautés locales

Les 254 entretiens approfondis révèlent que l’armée birmane a confisqué des couteaux et des armes – tout type d’ustensile ménager tranchant – pouvant être utilisé pour se défendre à la suite d’attaques d’avant-postes de police par l’ARSA en octobre 2016. Par ailleurs, des clôtures ont été démoli autour des maisons Rohingya, des armes ont été fourni aux arakanais non musulmans, un couvre-feu discriminatoire instauré à destination des musulmans de l’état d’Arakan et l’accès à des groupes humanitaires a été suspendue pour les communautés Rohingya appauvries. Le document indique également une militarisation accrue, démesurée par rapport à la menace. Fortify Rights rappelle que ces « préparatifs » sont passés par un travail de propagande anti-Rohingya, déjà amorcé sous la junte militaire au pouvoir jusqu’en 2011, puis poursuivie sous les gouvernements quasi-civil et civil.

Si jusqu’à présent, on entend plutôt parler de nettoyage ethnique, on peut lire dans le rapport qu’il y a « des motifs raisonnables de croire que les crimes perpétrés dans trois comtés du nord de l’état d’Arakan constituent un génocide et des crimes contre l’humanité ». Le cofondateur et directeur générale de Fortify Rights, Matthew Smith, a déclaré dans une conférence de presse à Bangkok le même jour de la publication du rapport que « le génocide n’est pas quelque chose qui arrive de façon spontanée ». Déjà en décembre 2017, le Haut-Commissaire aux Droits de l’Homme pour les Nations Unies Zeid Ra’ad Al Hussein avertissait que les éléments suggéraient qu’on ne pouvait exclure que des actes de génocides avaient été commis ». En février 2018, c’était au tour de Yanghee Lee – Rapporteuse spéciale des droits humains en Birmanie aujourd’hui privée d’accès dans le pays sur décision du gouvernement – d’avertir que la situation des Rohingya en Birmanie portaient « les marques d’un génocide ».

De leur côté, le gouvernement et l’armée ont fermement démenti les accusations de génocide et de crimes contre l’humanité. Une enquête militaire sur la conduite des soldats a d’ailleurs publié ses conclusions en novembre 2017, exonérant l’armée de toutes les atrocités alléguées. Pourtant, le gouvernement refuse de coopérer avec les observateurs des droits humains, mais aussi avec la mission d’établissement des faits mise en place par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies en mars 2017 pour « établir les faits et les circonstances des allégations récentes de violations des droits humains par les militaires et les forces de sécurité et les abus commis en Birmanie, particulièrement dans l’état d’Arakan ». Le seul acte de justice mené par le gouvernement birman a été de reconnaître coupables des soldats pour l’exécution extrajudiciaire de 10 hommes Rohingya dans le village d’Inn Din, dans le nord de l’Arakan, après la découverte d’une fosse commune. Ils ont été condamnés à 10 ans de prison « avec travaux forcés ». Un coup d’épée dans l’eau, quand on sait qu’au moins 6 700 Rohingya ont été tué en seulement trois semaines après le 25 août 2017.

Info Birmanie se joint à Fortify Rights et appelle le Conseil de sécurité de l’ONU à porter le dossier devant la Cour pénale internationale (CPI). « L’impunité de ces crimes ouvrira la voie à plus de violations et d’attaques à l’avenir. Le monde ne peut pas rester les bras croisés et regarder un autre génocide se dérouler, mais en ce moment, c’est exactement ce qu’il se passe », regrette Matthew Smith. L’échec de la communauté internationale pour répondre efficacement aux violences d’octobre 2016 a encouragé les forces de sécurité a programmé une seconde offensive dans le but d’expulser les Rohingya de Birmanie. Les preuves recueillies par Fortify Rights démontrent des motifs raisonnables de croire que l’armée birmane, la police et les civils arakanais non musulmans ont agi avec une intention génocidaire à l’égard des Rohingya.

L’inaction de la communauté internationale doit immédiatement cesser. La France, en tant que membre du Conseil de Sécurité, doit user de son influence et renforcer ses actions afin d’encourager les membres du Conseil à soutenir une saisine de la Cour Pénale Internationale.

Les sanctions mises en place par l’Union Européenne le 25 juin dernier à l’encontre de sept officier de l’armée birmane et de la police des frontières responsables de violations des droits humains sont loin d’être suffisantes, il est urgent de renforcer la pression. Les sanctions doivent absolument viser les 22 responsables de l’armée et des forces de police[1] cités dans ce rapport, à commencer par le Commandant en chef des armées le Général Min Aung Hlaing.

 

Rapport de Fortify Rights

[1] À cette liste de 22 responsables de l’armée birmane et des forces de police issue du rapport de Fortify Right s’ajoute la liste d’Amnesty International de 12 responsables de l’armée birmane et des forces de police publié dans le rapport « Nous allons tout détruire. La responsabilité de l’armée dans les crimes contre l’humanité commis dans l’état d’Arakan (Myanmar) », p155. Neuf responsables identifiés par Amnesty International sont également cités par le rapport de Fortify Right. Trois ne le sont pas, et devraient également être visés par des sanctions de la part de l’Union Européenne (BGP officer Tun Naing, Major Aung Myo Thu, Major Thant Zaw Win).

Troisième conférence de Panglong : symbole et contreverse

Troisième conférence de Panglong : symbole et contreverse

La troisième Conférence de Panglong du XXIe siècle s’est achevée lundi 16 juillet à Nay Pyi Taw par un accord autour de 14 principes de base adopté dans le cadre de l’accord de paix de l’Union. 

Ils étaient dix. Dix groupes ethniques armés non étatiques ont participé à cette dernière édition du sommet de la paix dans la capitale birmane. Reportée quatre fois, cette troisième session s’est finalement tenue le 11 juillet à Nay Pyi Taw, mais au vu des difficultés rencontrées, ne serait-ce que pour réunir les participants, pas étonnant que cette édition soit marquée par la controverse. Dans ce contexte plusieurs groupes  ethniques armés considéraient cet événement en amont comme purement symbolique.

« Nous n’en attendons pas beaucoup car il n’y a que quelques questions à discuter », a déclaré Nai Hong Sar, vice-président de l’état Mon, avant le rassemblement. « Au niveau politique, nous devons encore discuter des questions importantes … nous ne pouvons pas encore discuter des questions de sécurité. »

Score : 14

En tout, 14 principes ont été inclus dans l’accord de paix de l’Union. Cela porte le total des principes à 51, après que 37 principes de base aient été convenus lors de la deuxième conférence de Panglong. Sur les quatorze principes, sept concernent des questions sociales, quatre concernent des arrangements politiques, deux concernent la terre et l’environnement en mettant l’accent sur l’économie.

Avec 51 points ancrés à ce jour, le poids des négociations à venir reste important. Avant le début de la troisième conférence de Panglong, l’UPDJC avait convenu différents principes à soumettre pendant l’événement. Les représentants des groupes etniques armés ont déclaré qu’ils étaient déçus que le gouvernement et l’armée aient rejeté plusieurs de leurs propositions de sujets de discussion. La réforme constitutionnelle et le partage des ressources restent des questions épineuses. La conseillère d’état Aung San Suu Kyi a reconnu lundi que les négociations sur le secteur de la sécurité seraient parmi les plus délicates, et qu’elles devraient être abordées lors de la prochaine rencontre. 

« Nous avons constaté lors de la conférence que certains accords pouvaient être conclus, mais d’autres non. Tous les groupes participants à la sessions ont des histoires et des rêves différents. Il y a de grands défis dans ce processus qui demande de la patience. Il est important de parvenir à un accord sur le secteur de la sécurité dans le processus de paix. Pour arriver à cette situation, nous devons essayer de reconsidérer avec audace notre cadre politique, notre structure et notre conception. » 

« La Tatmadaw ne me représente pas »

Si les médias étatiques parlent d’un « succès retentissant », l’événement n’a pas été sans heurts. Le discours prononcé par le commandant en chef de l’armée, le général Min Aung Hlaing, à l’ouverture de la conférence, a été vivement contesté. 

« Le son des canons deviendra silencieux si tous les groupes qui ont un véritable désir de paix rejoignent l’accord [Accord de cessez-le-feu national]. Tous les [groupes ethniques armés] doivent contrôler leurs propres hommes, au lieu de donner des raisons sans fondement [aux conflits actifs] », a déclaré Min Aung Hlaing, se référant aux groupes qui n’ont pas encore signé l’accord de cessez-le-feu national.

Le colonel Khun Okkar, à la tête de l’Organisation de libération nationale Pa-O, a déclaré à Frontier que le chef de la Tatmadaw soulignait le pouvoir de l’armée dans son discours d’ouverture. Mais sa rhétorique plus dure pourrait aussi indiquer un durcissement de l’attitude envers le processus de paix.

«Dans certaines régions, les groupes ethniques armés ne peuvent pas représenter l’ensemble de la population nationale, soit 52 millions d’habitants et les partis politiques ne représentent qu’une moyen de les soutenir. Notre Tatmadaw, en tant que Tatmadaw du peuple, née d’un peuple ethnique, est une organisation qui représente l’état et le peuple », a indiqué Min Aung Hlaing.

Cette déclaration a suscité une nouvelle controverse, notamment sur les réseaux sociaux où on pouvait lire : « La Tatmadaw ne me représente pas ». Officiellement, les membres de la Tatmadaw sont des fonctionnaires qui doivent rendre des comptes aux politiciens vainqueurs des élections, mais on sait que le pouvoir de l’armée reste considérable en Birmanie. 

Dans l’observatoire de l’Alliance du Nord

Du côté de la FPNCC*, l’alliance de sept groupes ethniques armés dirigés par l’Armée Wa espérait que ses propositions quant à l’accord national de cessez-le-feu soumises lors de la seconde conférence de Panglong seraient discutées en cette troisième session. Le Général Gun Maw de la KIA a déclaré que la FPNCC avait décidé qu’il était prématuré de signer l’accord national de cessez-le-feu et que toute décision dépendrait des discussions sur les propositions d’amendement proposées par la FPNCC. 

Par ailleurs, le commandant en chef adjoint de la Tatmadaw, Soe Win, s’est entretenu avec des représentants de trois groupes non signataires qui n’ont jamais signé d’accord de cessez-le-feu bilatéral avec la Tatmadaw: l’Armée nationale de libération de Ta’ang, l’Armée d’Arakan et  la Kokang-based Myanmar National Democratic Alliance Army.

Pour autant, alors même que se tenait la conférence de paix, les combats continuaient dans le nord et l’est de la Birmanie. Des affrontements ont été signalés entre la Tatmadaw et deux groupes signataires de l’Accord de cessez-le-feu national : le Conseil de restauration de l’Etat Shan et l’Union national Karen.

Après la conclusion de l’accord national de cessez-le-feu national 2015, sous le gouvernement de Thein Sein; la Ligue nationale pour la Démocratie (LND) a remporté les élections. Aung San Suu Kyi a depuis lancé un « nouveau cycle du processus de paix ». Trois essions de la Confréence de Panglong du XXIe siècle se sont tenues : en août 2016 et mai 2017 et celle qui vient de s’achever. Une seconde conférence devrait avoir lieu plus tard dans l’année et deux autres restent en projet pour 2019. Deux Conférences de paix par an, c’est ce que promettait le calendrier du gouvernement de la LND, mais on constate que les organisateur luttent pour tenir leur délai et atteindre leurs cibles. 

  • Le FPNCC inclut : l’Organisation de l’indépendance Kachin (KIO), l’Armée de l’Etat Wa (UWSA), le Parti Progressiste de l’Etat Shan (SSPP), l’Armée Nationale Démocratique de Mongla (NDAA), l’Armée Nationale Démocratique du Myanmar (MNDAA), Ta, l’Armée de libération nationale (TNLA) et l’Armée d’Arakan (AA).

P.A.

 

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Depuis le 25 août 2017, le Bangladesh fait face à un exode sans précédent de plus d’un demi-million de réfugiés Rohingya, originaires de l’état d’Arakan au nord-ouest de la Birmanie. Retour sur les racines de la crise des Rohingya en Birmanie.

 

Sanctions de l’Union Européenne envers sept officiers militaires birmans :  une étape essentielle mais insuffisante

Sanctions de l’Union Européenne envers sept officiers militaires birmans : une étape essentielle mais insuffisante

CP 25 juin 2018 – sanctions UE À la suite d’une réunion des Ministres des Affaires Étrangères de l’Union Européenne (UE) qui s’est tenue ce lundi 25 juin 2018, des sanctions envers sept officiers de l’armée gouvernementale birmane et de la police des frontières responsables des violations des droits humains ont été annoncées. Ces mesures restrictives ciblées visent, entre autres, le Général Maung Maung Soe qui était chargé des opérations de « nettoyage » lancées à la fin du mois d’août 2017 qui ont entraînées la mort d’au moins 9000 Rohingya (MSF, décembre 2017) et qui ont poussé plus de 720 000 Rohingya à se réfugier au Bangladesh (UNHCR, au 31 mai 2018). Ces sanctions comprennent d’une part le gel des avoirs à l’étranger des officiers militaires visés, et d’autre part l’interdiction d’entrée au sein de l’UE.

Info Birmanie salue ces sanctions, qui démontrent que l’UE est en mesure de renforcer la pression à l’encontre de la Birmanie et qui concrétisent les conclusions du Conseil des Ministres des Affaires Étrangères de l’UE de février dernier.

Néanmoins, étant donné l’ampleur de la crise qui a déjà poussé plus de 720 000 Rohingya à fuir depuis le 25 août 2017, et alors que les Rohingya sont « pris au piège dans un système de discrimination cautionné par l’État, qui s’apparente à l’apartheid » (Amnesty International, novembre 2017), les sanctions envers les sept officiers militaires birmans sont loin d’être suffisantes et arrivent bien tardivement. Il est particulièrement regrettable que de nombreux hauts responsables militaires responsables de violations des droits humains n’aient pas été visés, alors qu’un nettoyage ethnique a été dénoncé à plusieurs reprises par les Nations Unies. C’est notamment le cas du Commandant-en-chef de l’armée gouvernementale birmane Min Aung Hlaing, responsable direct des nombreuses violations des droits humains,

L’UE doit absolument agir afin de construire un consensus international pour un renvoie de la situation de la Birmanie devant la Cour Pénale Internationale par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Pour cela, l’UE doit mener un réel travail auprès de la Chine et de la Russie qui bloquent toutes les tentatives d’intervenir concrètement. La France, en tant que membre de l’UE, mais aussi en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, doit agir pour le respect des droits humains.

Contact presse :
camille@info-birmanie.org
tel : 07 62 80 61 33

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