La Commission Électorale continue de délivrer ce mercredi 11 novembre, 15h heure locale, les premiers résultats partiels des élections législatives du 8 novembre.
Le décompte des votes avance au compte-gouttes, actualisé toutes les 3h environ, mais ces résultats partiels confirment les premières estimations qui donnent la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) largement vainqueur du scrutin. A l’heure actuelle, 45% des 1171 sièges en lice ont été attribués. La LND a déjà remporté 211 des 231 premiers sièges du Parlement National (chambre haute et chambre basse) sur les 498 en lice. La LND a dès lors remporté 234 des 274 sièges des assemblées régionales sur les 644 en lice.
Rappelons que seul 75% des sièges du Parlement seront pourvus au suffrage universel direct car la Constitution attribue obligatoirement 25% des sièges aux militaires.
Les premières circonscriptions tombées se trouvent dans les régions de Rangoun et Mandalay, la deuxième ville du pays, traditionnellement favorable à la LND. Mais les derniers résultats tombés mardi matin montrent que la LND domine même dans des régions comme celle du delta de l’Irrawaddy, traditionnellement moins sensible à son discours.
Si les chiffres sont encore partiels, la tendance est claire et le parti d’Aung San Suu Kyi revendique d’ores et déjà une victoire écrasante. Selon un important réseau d’observateurs la LND emporterait 75% des voix aux législatives de dimanche dernier.
Les premiers revers pour le parti au pouvoir qui dit concéder sa défaite et accepter la victoire de la LND
Les héritiers de la junte toujours aux commandes en Birmanie ont commencé mardi à reconnaître leur défaite face à l’opposante Aung San Suu Kyi. Le parti au pouvoir issu des la junte, l’USDP, a reconnu ses premiers revers : le président de la chambre basse du Parlement, Shwe Mann, s’est incliné face au candidat de la LND dans la région de Phyuu, dans le centre du pays. Le président du parti, Htay Oo, et plusieurs poids lourds du parti se sont fait balayer.
Un haut responsable du parti au pouvoir a reconnu l’échec de son parti : « Notre parti a totalement échoué. La LND est victorieuse. C’est le destin de notre pays », a déclaré Kyi Win, ancien colonel, lançant un signal fort dans un pays sans tradition d’aveu d’échec de la part du pouvoir.
L’USDP ne s’attendait manifestement pas à une défaite si lourde – tout comme en 1990, lors des premières élections « libres» -, pensant, à tort, que la population serait plus sensible aux discours extrémistes de Ma Ba Tha.
Premières irrégularités et fraudes constatées
Alors que les observateurs électoraux de l’Union Européenne ont déclaré que le scrutin s’est déroulé dans de bonnes conditions, et qu’il a été « généralement bien géré », il est important de ne pas occulter les irrégularités et les lacunes constatées. Le processus de vote par anticipation a clairement manqué de transparence, et les observateurs se sont fait refuser l’accès aux bureaux de vote dans les zones de cantonnement militaire. Malgré des soupçons de triche par les militaires, l’écart des premiers résultats entre la LND et l’USDP est tel que les manipulations n’étaient pas en mesure de contrebalancer la vague en faveur de la LND. Un tel écart ne permettra pas à l’USDP de truquer les votes restant à dépouiller, malgré plusieurs cas de fraudes et d’irrégularités déjà constatées dans plusieurs régions, pour revenir dans la course.
C’est notamment le cas à Kyaungkon, à l’Est de Mandalay, où des tricheries ont été constatées alors que la LND et l’USDP étaient au coude à coude, ces derniers se retrouvant avec un cumul de voix très excessif alors qu’ils étaient derrière un jour plus tôt.
Aung San Suu Kyi quant à elle jugé les élections « en grande partie libres », tout en déplorant quelques « intimidations résiduelles ». Alexander Graf Lambsdorff, chef de la délégation d’observateurs européens, s’est refusé à qualifier ce scrutin historique de « libre », insistant sur le fait que « cette élection n’est pas finie », tant que les résultats définitifs ne sont pas publiés.
La Commission Electorale favorable au pouvoir qui tarde à donner les résultats
Les interrogations se sont multipliées aujourd’hui face à la lenteur de la Commission Electorale à donner les résultats du vote, pour lequel 80% des plus de 30 millions d’électeurs se sont déplacés.
La LND accuse la Commission Electorale de ce retard intentionnel, en disant qu’elle veut « peut-être jouer un tour ». L’accusation soulève des inquiétudes sur les intentions de l’USDP, dont les membres contrôlent la Commission Electorale. Le gouvernement est accusé de tricher dans les circonscriptions les plus reculées : les votes par anticipations qui devaient être apporté avant la fermeture des bureaux de vote sont arrivés plus tard, parfois même après le dépouillement des voix, et ont changé la donne des résultats. Certains votes par anticipations n’ont d’ailleurs été pris en compte que 2 jours après.
La lenteur et les irrégularités de la Commission Electorale permettraient à l’USDP de récupérer quelques sièges et ainsi de se rapprocher de la majorité (avec les 25% des sièges des militaires).
Les principaux enjeux post-électoraux
Si le score de 70% pour la LND se confirme, cela permettrait à Aung San Suu Kyi d’avoir une majorité absolue malgré la présence d’un quart de députés militaires, non favorables à son parti. Cette victoire qui s’annonce écrasante ne doit pas masquer les réalités post-électorales et le poids conséquent des militaires malgré la large défaite de l’USDP qui s’annonce.
Outre le quart des sièges qui lui est garanti à la Chambre basse, le chef d’état-major de l’armée attribuera les trois ministères ayant les plus gros budgets : l’Intérieur, la Défense et la Sécurité des frontières. La constitution lui donne aussi le droit de s’arroger des pouvoirs exécutifs dans certaines circonstances. L’impossibilité pour la LND de gérer ces domaines risque fortement de maintenir actif les attaques de l’armée birmanes contre des civils issus des minorités ethniques, mais aussi l’arrestation et l’emprisonnement d’activistes politiques. Dès le lendemain de l’élection, des affrontements ont d’ailleurs de nouveau éclaté dans l’Etat Shan, où les forces armées birmanes aériennes ont attaqué un village, quartier général de l’Armée Shan du Nord (SSA-N).
L’enjeu derrière les législatives est l’élection par le Parlement du chef de l’Etat début de 2016. Aung San Suu Kyi sait d’ores et déjà qu’elle ne peut occuper cette fonction, la Constitution interdisant l’accès à la présidence à quiconque ayant des enfants de nationalité étrangère. Restent à Aung San Suu Kyi des marges de manœuvre dans les domaines de la diplomatie, de la santé ou de l’éducation, des secteurs en ruine après des décennies de dictature militaire, des domaines négligés malgré l’ouverture du pays depuis quatre ans.