Lettre ouverte de 403 OSC du Myanmar à Total et Chevron

Lettre ouverte de 403 OSC du Myanmar à Total et Chevron

Total et Chevron doivent cesser leur versement de revenus à la junte militaire

Lettre ouverte de 403 organisations de la société civile du Myanmar

A l’attention de Patrick Pouyanné, Président du conseil et directeur général de Total, et de Michael Wirth, Président du conseil et directeur général de Chevron

le 20 avril 2021

Objet: Total et Chevron doivent cesser leur versement de revenus à la junte militaire

Messieurs Patrick Pouyanné et Michael Wirth,

Nous – 403 organisations de la société civile du Myanmar – vous écrivons en relevant votre absence de réponse à notre lettre du 24 février, adressée à la joint-venture entre Total et Chevron, dans laquelle nous vous demandions d’arrêter de verser des revenus à la junte militaire. Depuis cette date, Total a continué à autoriser des versements provenant de l’acheteur thaïlandais PTT au profit de comptes contrôlés par la junte militaire, et a aussi publié une déclaration arguant qu’il lui incombait de payer des taxes et de fournir uniquement des paiements en nature. Total s’est également réfugié derrière les conséquences humanitaires qu’engendrerait un arrêt de la production, alors même que personne ne le lui avait demandé. Dans le même temps, plus de 700 d’entre nous ont été tués, et plus de 3000 d’entre nous ont été détenus arbitrairement, alors que l’armée continue de commettre des atrocités de masse à travers le pays. Chevron, quant à lui, est resté muet.

Lorsque le régime militaire a mené son coup d’Etat le 1er février, il a essayé de s’accaparer illégalement les pouvoirs de l’Etat, dont les institutions desquelles dépend le partenaire de votre coentreprise, la Myanma Oil and Gas Enterprise (MOGE), à savoir un des services relevant du Ministère de l’Electricité et de l’Energie. Bien que la junte n’ait pas été reconnue comme étant le gouvernement du Myanmar, elle a bel et bien pris le contrôle de tous les comptes bancaires gouvernementaux. Vous le savez pertinemment, et malgré cela, vous continuez à leur verser des centaines de millions de dollars. Vous savez que la junte utilisera ces fonds pour se procurer des armes et mener des opérations brutales qui nous tuent quotidiennement, comme elle l’a fait depuis que vous vous êtes associés en 1992, juste après leur précédent coup d’Etat.

Contrairement aux déclarations de votre compagnie, qui maintient que vous n’octroyez que des versements en nature, Total continue de remettre des factures à PTT, relai de la MOGE, tout en sachant que les comptes bancaires de la MOGE ont été illégalement saisis par la junte militaire. Total et Chevron paient des royalties en espèces et ont validé la distribution de dividendes de la Moattamma Gas Transportation Company à hauteur de 41 millions de dollars en 2017-2018. Total a par ailleurs rapporté à l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) avoir fourni à la MOGE des paiements en espèces relatifs au projet Yadana à hauteur de 259 millions de dollars. Tout cela est contraire aux prétentions selon lesquelles vous êtes essentiellement des spectateurs impuissants.

Total a déclaré devoir verser des recettes fiscales à la junte militaire en vertu de la loi nationale du Myanmar, faisant fi du fait qu’elle n’était qu’une « protection » pour un gang armé. Les recettes fiscales de vos compagnies reviennent au Ministère des Finances, de la Planification et l’Industrie (MOFPI); le ministre du MOFPI, U Soe Win, a été arbitrairement arrêté le 1er février, tandis que la junte a nommé Win Shein à sa place, ce dernier contrevenant à l’article 170 du Code pénal du Myanmar (usurpation d’identité d’un fonctionnaire) ainsi que l’article 171 (port d’un costume d’agent public). Vos paiements, qu’il s’agisse de taxes ou de revenus, sont illégaux au regard d’une multitude de lois du Myanmar (notamment l’article 405 du Code pénal ainsi que la loi anti-corruption).

Total a également déclaré continuer sa production pour des raisons humanitaires et ne pas pouvoir l’arrêter. Mais nous ne vous avons jamais demandé de cesser la production. Pourtant, vos compagnies se cachent derrière ce prétexte fallacieux pour ignorer nos appels pour que vous arrêtiez de soutenir financièrement l’armée. La production ne cesserait que si l’armée le décide, ce que nous pensons peu probable compte tenu du fait que le Myanmar exporte la quasi totalité de son gaz vers la Thaïlande et la Chine et qu’elle doit maintenir de bonnes relations avec ces pays. Dans tous les cas, nous nous risquerons à des coupures de courant pour un avenir sans oppression de la part d’une armée qui nous a fait grâce d’un système de santé classé à la dernière place mondiale. Vous suggérez que l’arrêt de la production bouleverserait notre quotidien, sans tenir compte du fait que le coup d’Etat l’a déjà fait. Nous avons besoin que vous cessiez de faire de ce chaos notre avenir à travers votre soutien au régime militaire, un soutien tel que celui apporté par Total et Chevron dans les années 2000 lorsque vous avez réussi à faire pression pour obtenir des exemptions sur les sanctions.

Nous remarquons que vous êtes soucieux de la sécurité de votre personnel. Vos employés sont nos frères et soeurs et beaucoup d’entre eux nous ont rejoints dans la lutte contre la junte militaire. Ils veulent des mesures tangibles de Total et de ses partenaires dans la joint-venture. Tous les jours, nous risquons d’être arrêtés, torturés et tués à nos domiciles. La poursuite de votre soutien financier à l’armée alimente l’insécurité de toutes et de tous.

Quelles que puissent être la légalité et la logistique liées à la cessation des paiements, l’inquiétude principale de votre compagnie devrait être la responsabilité qui vous incombe de respecter les droits humains et d’éviter de contribuer à la commission de crimes contre l’Humanité. Nous sommes confrontés à l’armée tous les jours et nous savons que nous sortirons vainqueurs de cette révolution. Votre compagnie doit arrêter de saper notre combat pour la justice et pour un avenir, tant pour nous-mêmes que pour nos enfants.

Nous vous appelons à :

  • diriger tous les paiements de revenus vers des comptes protégés, jusqu’à ce qu’un gouvernement légitime et démocratique puisse prendre le pouvoir ;
  • soutenir des sanctions ciblées contre la MOGE plutôt que de faire pression pour l’obtention d’exemptions, comme vous avez pu le faire par le passé.

Pour plus d’informations :

Daw Khin Ohmar, khinohmar@progressive-voice.org