Tant que l’éducation sexuelle sera taboue en Birmanie, la fête de l’eau sera un danger pour les femmes

Tant que l’éducation sexuelle sera taboue en Birmanie, la fête de l’eau sera un danger pour les femmes

La fête de l’eau (Thingyan) a commencé lundi en Birmanie. Elle marque le premier mois de l’année du calendrier birman, le nouvel an bouddhique, le début des plus longues vacances, et surtout l’une des célébrations les plus festives de l’année en Birmanie.

Thingyan symbolise la purification. Le peuple se lance de l’eau pour se laver des péchés, de la malchance et des mauvais esprits de l’année passée. Dans tout le pays, les participants se munissent de lances à incendie et de pistolet à eau pour asperger les passants et leur apporter chance et bonheur pour l’année à venir. Les maisons sont décorées de fleurs et de feuilles de palme et l’atmosphère est à la fête.

À l’origine, il s’agissait d’un festival très sobre mais les traditions ont changé. La société birmane est toujours très conservative, mais Thingyan représente l’opportunité de l’année pour se lâcher. Pendant 4 jours, les birmans, et particulièrement les jeunes, se déguisent, boivent de l’alcool, dansent dans la rue et se témoignent même des signes d’affection en public.

La fête de l’eau est très attendue par le peuple birman mais comporte des risques importants pour les femmes. Chaque année, les femmes sont victimes d’agressions sexuelles sans savoir qu’elles peuvent les dénoncer et leur bourreaux n’ont souvent même pas conscience qu’il s’agit d’un crime répréhensible. Il est donc difficile d’évaluer l’ampleur de la situation.

« Pour un groupe de seulement 2 ou 3 femmes, il est presque impossible de sortir célébrer seules Thingyan au risque d’être mises en pièces. » explique une femme de Mandalay « Chaque femme qui a déjà expérimenté Thingyan à Mandalay sait cela. ».

Les autorités ont conscience de l’augmentation de la criminalité, notamment sexuelle, pendant le festival mais selon les associations locales, elles n’adoptent pas les mesures adaptées. En 2015, pour lutter contre les agressions sexuelles, elles ont interdit la vente de contraceptifs et arrêté ceux qui en vendaient malgré l’interdiction. Cette année, plutôt que de lancer des campagnes de sensibilisation et d’éducation sexuelle dont le peuple à besoin, elles ont fait la guerre aux vendeurs de produits issus de l’industrie du sexe comme le viagra, mais aussi contre les somnifères parfois utilisés pour abuser des femmes.

Dans le pays où le mot « vagin » n’existe pas dans la langue nationale, il n’est pas étonnant que l’éducation sexuelle soit un sujet tabou. En effet, pour aborder l’organe féminin, les birmans parlent du « corps de la femme » et il presque impossible pour une femme, de parler de sexe.

La Birmanie est un pays très traditionnel où la religion a son mot à dire quant à l’acte sexuel, indéniablement lié à la procréation. De fait, l’éducation sexuelle est inexistante dans les programmes scolaires et largement absente dans la société bouddhiste. Certaines associations tentent de changer les habitudes et d’aborder la sexualité et les questions de genre mais elles font l’objet de menaces de mort de la part de groupes nationalistes extrémistes comme Ma Ba Tha et ne sont pas soutenues par les autorités.

Dans les minorités ethniques la situation est similaire, voire pire. Dans l’État Kachin par exemple, l’éducation sexuelle est faite par les leaders catholiques, considérés comme les personnes de confiance et de sagesse par la majorité de la population. Ils déconseillent les moyens de contraception et interdisent l’utilisation du préservatif. Chaque semaine, pendant l’office dominical, les prêtres encouragent les familles à avoir de nombreux enfants. La décision de garder ou non un enfant n’appartient pas aux parents mais à Dieu. Par ces paroles religieuses, les femmes, mères de famille, se sentent comme des « machines à produire des enfants » selon Htoi, responsable d’une association qui sensibilise le peuple kachin aux questions de genre. Htoi explique que les femmes kachin peuvent difficilement refuser un rapport sexuel, « c’est l’homme qui choisit quand il en a envie, la femme doit accepter sinon elle est une mauvais épouse ».

Par ailleurs, la majorité des hommes veulent épouser une femme vierge. Par contre, ils n’hésitent pas à leur promettre le mariage pour avoir des rapports sexuels avant, puis à les abandonner si elles tombent enceintes. Ces femmes deviennent alors souvent la risée de leur village. Enfin, si un homme kachin sans famille viole une femme et qu’un enfant naît de ce rapport, les leaders religieux s’arrangent pour qu’un mariage ait lieu afin de normaliser la situation. La femme n’est évidemment pas consultée.

L’éducation sexuelle en Birmanie n’est pas prête de s’imposer en Birmanie tant le sujet est tabou. L’image de la femme en tant qu’être inférieur à l’homme a encore de beaux jours devant elle. La loi sur les mariages confessionnels adoptés en 2015 va malheureusement en ce sens puisqu’elle impose aux femmes bouddhistes qui souhaitent se marier à un homme d’une autre confession, de demander une autorisation aux autorités locales et à leur famille pour pouvoir se convertir et avoir le droit de se marier.

Bien qu’Aung San Suu Kyi représente une lueur d’espoir pour les organisations de la société civile, elle n’a nommé qu’une seule femme au gouvernement : elle-même.