Etat des lieux du processus de paix en Birmanie

Etat des lieux du processus de paix en Birmanie

26 avril 2017

Depuis le passage d’une junte militaire à un gouvernement civil en 2011, suivi cinq ans plus tard par la victoire aux élections du parti historique d’opposition – la Ligue Nationale pour la Démocratie, dont la leader est Aung San Suu Kyi -, les initiatives pour la paix se sont développées. L’objectif majeur – affiché – de la LND est de rétablir la paix en Birmanie. Un défi colossal quand on sait que depuis près de 70 ans, groupes ethniques armés et forces armées gouvernementales s’affrontent. Les minorités ethniques revendiquent l’autodétermination et plus de droits que ceux qui leurs sont accordés par la constitution de 2008, constitution écrite par les militaires et pour les militaires.

Bien sûr, il aurait été naïf de croire que le pays serait en paix en seulement une année. Cependant, il était raisonnable d’envisager une amélioration plutôt qu’une intensification des conflits, avec de nombreuses offensives de la part de l’armée birmane.

Les conférences de Panglong pour le XXIe siècle : un nouveau cycle du processus de paix ?

Au centre de la campagne de la Ligue National pour la Démocratie, il y avait le processus de paix. Daw Aung San Suu Kyi n’a pas tardé à le mettre en pratique en lançant la Conférence de Panglong pour le XXIe siècle, en résonnance à la Conférence du même nom de 1947 organisée par son père – le Général Aung San, alors président du gouvernement birman – qui avait mené à la création de l’Union Birmane un an plus tard.

La première rencontre de la Conférence pour la paix s’est ainsi tenue en août 2016. Elle a réuni autour d’une table le gouvernement civil, le Parlement, l’Armée Birmane, 17 groupes ethniques armés, des diplomates ainsi que le secrétaire général des Nations Unies. Les promesses d’équité, à travers cette dynamique insufflée par la LND fraichement élue, avaient suscitées de nombreux espoirs.

© Burma Partnership

La première conférence avait plutôt vocation à être introductive, une étape symbolique forte ayant pour objectif de définir les bases d’un nouveau processus afin de garantir le droit des minorités ethniques. Malgré cela, les déceptions ne se sont pas fait attendre : trois groupes ethniques armés exclus des négociations par l’armée qui leur demande – contrairement aux autres – de déposer les armes afin de participer à la conférence, de donner des statuts d’observateurs aux uns et de participants aux autres, d’offrir une accès restreint à la société civile et une participation réduite des femmes issues de minorités.

Quelques mois plus tard, en dépit des promesses d’un processus inclusif, Daw Aung San Suu Kyi annonce que tous les groupes ethniques armés doivent signer l’Accord National de Cessez-le-feu avant de prendre part aux négociations. Pourtant, cet accord qui devient alors la base de ce nouveau cycle du processus de paix a été instauré en 2015, sous la présidence de Thein Sein, héritier de la junte militaire. Pour l’instant, seuls huit groupes ethniques armés en sont signataires. Ainsi, il semblerait que ce « nouveau cycle » ne soit pas si nouveau.

Processus de paix relancé, conflits intensifiés

L’absence de résultats concrets, mais surtout l’intensification des conflits entre les forces gouvernementales armées et les groupes ethniques armés de l’Alliance du Nord[1], soulèvent des questionnements sur l’efficacité du processus de paix, et particulièrement sur le crédit que lui accorde l’armée birmane. En effet, celle-ci a multiplié ses offensives malgré les négociations en cours, sans hésiter à utiliser de l’artillerie lourde même à proximité des populations civiles.

Au nord du pays, dans les États Kachin et Shan, les conflits font rages et provoquent le déplacement de nombreux civils. Certains traversent la frontière pour se réfugier en Chine, d’autres trouvent refuges dans des camps de déplacés internes, et se retrouvent dans des conditions particulièrement difficiles. L’armée birmane entrave l’accès humanitaire vers les zones de conflits malgré les populations déplacées qui nécessitent ces aides, violant ainsi les lois internationales humanitaires. Les organisations locales font donc avec les moyens du bord.

© Joint Strategy Team

À la fin de l’année 2016, 23 000 personnes ont dû fuir les conflits dans le nord du pays, en seulement trois mois. Et depuis la reprise des conflits en 2011, il y a eu près de 100 000 déplacés. La militarisation croissante de ces zones laisse présager le pire.

Comment se positionnent les groupes ethniques armés ?

La seconde conférence de Panglong pour le XXIè siècle, qui devait se tenir au mois de février, a déjà été décalée deux fois pour permettre à tous les groupes ethniques armés de signer l’Accord National de Cessez-le-feu, dont seulement huit groupes sur 21 en sont signataires.

En 2011, onze groupes armés non-signataires de cet accord se sont alliés sous l’United Nationalities Federal Council (UNFC). Depuis, quatre d’entre eux ont quitté cette coalition ethnique. Ils ne sont plus que sept, et la coalition menace de s’effriter encore davantage. En effet, la position de l’UNFC s’appuie sur la révision de plusieurs points de l’Accord National de Cessez-le-feu qui leur semblent primordiaux pour une réelle équité, afin qu’ils puissent le signer et ainsi engager des négociations avec le gouvernement birman.

Mais une rencontre à l’initiative des Wa – armée la plus puissante du pays avec entre 25 000 et 30 000 hommes –, ayant eu lieu il y a quelques semaines, menace la relative stabilité de l’UNFC. En effet, cette rencontre qui s’est tenue à Pangshang dans le nord de l’État Shan, a rassemblé des représentants de sept groupes ethniques armés dont les groupes de l’Alliance du Nord. Elle a été clôturée par une déclaration annonçant leur intention de ne pas signer l’Accord National de Cessez-le-feu de 2015, réclamant un nouvel Accord, dénonçant les bases de celui-ci. Les groupes signataires en ont profité pour renouveler leur appel à une discussion équitable pour tous les participants dans les négociations politiques et leur révocation de l’appellation d’ « organisation terroriste » qui cible les groupes de l’Alliance du Nord.

Deux des plus puissants groupes ethniques armés, la Kachin Independance Army et le Shan State Progress Party, sont membres de l’UNFC mais ont participé à la rencontre de Pangshang et ont ainsi rendu public leur refus de signer l’Accord de Cessez-le-feu alors que l’UNFC souhaite s’engager dans le processus et signer cet accord si leurs neuf demandes sont prises en compte. Il semble alors qu’au sein des groupes ethniques armés non-signataires de l’accord, deux camps se dessinent. D’un côté les groupes du nord du pays, zone ou les conflits se sont intensifiés, qui se sont regroupés à Panghsang[2]. Ils proposent de  former une délégation menée par les Wa, afin d’engager un dialogue politique en dehors du cadre de l’Accord, rejetant fermement le fait que la signature de l’accord soit un prérequis pour la participation au processus de paix. De l’autre côté cinq membres[3] de l’UNFC – géographiquement situé à l’est du pays – fidèles à la vision de la coalition, qui ont pour objectif de signer l’Accord de Cessez-le-feu si leurs demandes sont prises en compte.

Pour l’instant, la scission n’a pas eu lieu. Les camps sont marqués, mais aucune décision définitive n’a été prise. Malgré leur participation aux réunions de Pangshang, la KIA et la SSPP – par ailleurs ralliés à l’Alliance du Nord avec d’anciens membres de l’UNFC – n’ont pas quitté l’UNFC. De leur côté, même si Daw Aung San Suu Kyi avait annoncé la signature prochaine de l’accord par cinq membres de l’UNFC, ceux-ci ont immédiatement répondu que rien n’avait été officialisé. Depuis cette réponse il y a un mois, aucun mouvement vers la signature de la part de ces membres.

Pour tous les acteurs, les enjeux de ce processus sont nombreux. Pour les groupes ethniques armés, il s’agit d’une lutte pour un accès équitable aux droits pour toutes les minorités ethniques, d’une gestion autonome des ressources naturelles, de l’inclusion des armées ethniques au sein de l’armée gouvernementales et encore bien d’autres points. L’armée tente quant à elle de conserver ses propres intérêts en ralentissant ce processus et en multipliant offensives et violations des droits humains, montrant ainsi qu’elle peut continuer d’agir en toute impunité malgré la transition démocratique. Enfin, le gouvernement civil y verrait l’unique possibilité d’amendement de la constitution, car l’Accord National de Cessez-le-feu prévoit l’écriture d’une constitution fédérale. Avec des intérêts si différents, s’accorder n’est pas chose facile…

[1] L’Alliance du Nord comprend quatre groupes ethniques armés : Nord la Kachin Independence Army (KIA), la Ta’ang National Liberation Army (TNLA), la Myanmar National Democratic Alliance Army (MNDAA) et la Arakan Army (AA).

[2] Se sont réunis à Pangshang : United Wa State Army, Kachin Independance Army, Ta’ang National Liberation Army, National Democratic Alliance Army, Arakan Army, Myanmar National Democratic Alliace Army, Shan State Progress Party

[3] Le New Mon State Party, Karenni National Progressive Party, l’Arakan National Council, la Wa National Organization et la Lahu Democratic Union