Le viol et les violences sexuelles

Le viol et les violences sexuelles

Depuis plus de 50 ans, des conflits armés opposent les forces armées birmanes aux forces armées des minorités ethniques. La situation des femmes birmanes y a été des plus catastrophiques.

Tout au long des conflits armés en Birmanie, les femmes ont été menacées, enrôlées dans l’armée, utilisées comme boucliers humains ou porteuse pour les militaires, torturées, victimes d’humiliations, de violences sexuelles et de viols collectifs. Au cœur de la stratégie de la junte militaire, elles servaient à divertir les soldats et à diffuser la peur au sein des minorités ethniques.

LES FEMMES DES MINORITÉS PARTICULIÈREMENT EXPOSÉES AUX VIOLENCES SEXUELLES

Les femmes sont encore plus exposées que les hommes aux violences sexuelles. En effet,  lorsqu’elles sont arrêtées, elles sont systématiquement interrogées par des hommes, lorsqu’elles sont forcées à travailler (portage), elles dorment à proximité des militaires, lorsque ce sont leurs maris qui sont parti comme travailleur forcé, elles sont seules et vulnérables et lorsqu’elles ont fui les violences de leurs villages ou ont été déplacées de force, elles se retrouvent dans des camps de fortune caractérisés par l’insécurité.

Paulo Sergio Pinheiro, rapporteur spécial du Haut-Commissariat aux Réfugiés, sur la Situation des droits humains au Myanmar déclare en 2006 : « Les femmes et les filles des minorités ethniques sont particulièrement menacées de viols ou de harcèlement par les acteurs étatiques. En conséquence, leur liberté de mouvement se voit constamment restreinte dans la mesure où la peur les empêchent de voyager seules ».

Une femme témoigne, dans le rapport de l’AAPP : « L’officier me gifla plusieurs fois pendant que d’autres me donnaient des coups de poing dans le dos. Après, il me menaça en disant « Et n’oublie pas que tu es vierge ». Je fus encore plus terrifiée par de telles paroles que par les coups qu’il me donnait.[1]« .

Beaucoup de femmes en Birmanie, pour différentes raisons sociales, culturelles et personnelles, souhaitent rester vierges avant leur mariage. De telles menaces de viol sont d’autant plus traumatisantes, qu’elles font écho aux risques évidents de stigmatisation sociale, à la sortie de prison. C’est la raison pour laquelle il est très difficile de connaître le nombre de femmes ayant été violées en centre de détention ou en prison. Peu de femmes témoignent à ce sujet.

@Timothy Syrota

CARACTÉRISTIQUES DES VIOLENCES COMMISES PAR L’ARMÉE BIRMANE

Le rapport “License to Rape” publié en 2002, dénonce 45 cas de viols commis par les militaires birmans dans l’Etat Shan, alors sous le commandement du Général Thein Sein. Le nombre réels de viols commis à cette période, seraient bien supérieur.

De 4 ans à 80 ans, des femmes de tous âges sont violées. Les femmes les plus exposées demeurent celles dont un membre de la famille est soupçonné d’avoir des liens avec les rebelles. Il n’est pas rare que les viols soient commis devant la famille des victimes ou devant des villageois, ce qui montre bien le sentiment de parfaite impunité des militaires et leur volonté d’avoir un impact sur des communautés entières. La cruauté de ces violences sexuelles dépasse l’entendement : les militaires introduisent parfois des couteaux ou des armes dans le vagin de leurs captives et mutilent certaines parties de leur corps.

Dans 83% des cas rapportés dans ce rapport, les viols sont commis par des officiers, qui n’hésitent pas ensuite à ordonner à leurs troupes de « finir le travail ». En effet, sur l’ensemble des viols répertoriés dans Licence To Rape, 61% sont en réalité des viols collectifs.

Dans 25% des cas recensés dans Licence to Rape, les femmes survivantes sont tuées par balle, étouffées, battues à mort, poignardées ou encore brûlées vives pour les empêcher de rapporter les faits. De toute façon, les chances de poursuivre les agresseurs sont minces et la peur d’y perdre la vie dissuade tout témoin de se manifester.

En outre, les victimes de viol ne sont pas toujours soutenues par leurs communautés. C’est notamment le cas de Chang Chang, qui, attaquée et violée dans son village par un groupe de militaires birmans, a été battue par son professeur et exclue de sa communauté et de son école, pour les avoir tous recouvert de honte.  Arrêtée par la police pour « diffamation » contre les soldats responsables du viol, elle fut ensuite condamnée à un an de prison pour « prostitution » [2].

LA PRATIQUE DU VIOL COMME ARME DE GUERRE

Depuis que Thein Sein est devenu président, les rapports dénonçant les viols et les violences sexuelles commis par les forces gouvernementales ont augmenté. La moitié des femmes violées par les soldats de l’armée birmane dans les Etats Kachin et Shan, auraient également été torturées, mutilées et tuées.

La pratique du viol comme arme de guerre par les forces armées birmanes a été documentée par de nombreuses organisations issues des minorités, ainsi que par les Nations Unies depuis 1996. Des documents de l’organisation prouvent notamment que les violences sexuelles ont été commises par les militaires, pour « punir » les minorités ethniques soupçonnées de soutenir les groupes armés de ces régions. Ces violences sont ainsi commises, volontairement, dans le but de terroriser, briser et soumettre les populations.

Pendant les attaques de l’armée birmane contre l’Armée indépendante Kachin (KIA) en 2011,  des viols ont été perpétrés à l’encontre de femmes mais aussi de fillettes de moins de 10 ans. La documentation existant sur ces faits, mentionne que les soldats avaient « pour ordre » de commettre ces viols.

Les violences sexuelles commis par les militaires birmans, font partie des crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui  justifieraient la mise en place d’une commission d’enquête des Nations Unies. L’utilisation du viol comme arme de guerre est une politique d’Etat qui devrait engager la responsabilité du gouvernement birman devant la justice internationale. Pourtant, le gouvernement birman nie ces accusations et les auteurs de ces crimes, jouissent encore d’une impunité totale.

QUE PEUT-ON FAIRE POUR METTRE UN TERME A CES EXACTIONS ?

Mécanismes nationaux

La Commission National des Droits de l’Homme (National Human Rights Commission)

En septembre 2011, les autorités birmanes ont mis en place une Commission Nationale des Droits de l’Homme, très certainement en réponse à la menace de voir s’établir une enquête internationale sur les violations des droits de l’homme perpétrées en Birmanie. Cette Commission Nationale a été sévèrement critiquée, et ce, pour plusieurs raisons. L’une des plus importantes est la constitution même de cet organe: elle est formée de quinze membres, tous nommés par le Président Thein Sein (qui était alors Premier Ministre) et qui sont pour la plupart, d’anciens diplomates ayant passé leur carrière à nier auprès des instances internationales les violations des droits de l’homme commises par le régime militaire. De plus, le mandat de cette commission n’est pas clair et son fonctionnement est soumis à la Constitution de 2008 qui prévoit l’immunité des militaires et représentants du gouvernement pour toute violation des droits de l’homme.

Très peu d’information a été diffusé au public concernant cette commission, et le processus de dépôt de plainte est complexe et peut également se révéler risqué pour les personnes souhaitant y avoir recours. En dépit de tout cela, plusieurs acteurs de la communauté internationale dont l’Union européenne ont exprimé la confiance qu’il porte à cette nouvelle institution nationale. Bien qu’il soit peu probable que cette Commission Nationale des Droits de l’Homme ait été mise en place par les autorités birmanes avec la sincère volonté d’enquêter sur les nombreuses violations des droits de l’homme qui ont lieu dans le pays, une pression doit néanmoins être exercée sur elle afin qu’elle effectue véritablement ce travail d’investigation, seule ou en collaboration avec les institutions internationales.

Le 14 février 2012, Win Mra, le président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme de Birmanie a déclaré qu’une enquête sur les allégations de violations des droits de l’homme dans les régions ethniques serait prématurée.  «Le processus de réconciliation nationale est politique» a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse au Ministère des Affaires étrangères thaï, ajoutant: «une enquête dans les zones de conflit ne serait pas appropriée pour l’instant.»[3]

Si la Commission des Droits de l’Homme de Birmanie se révèle être une façade permettant aux autorités du pays de ne pas avoir à véritablement enquêter sur les abus commis en Birmanie, les appels à la mise en place d’une enquête internationale devront être réitérés[4].

Mécanisme internationaux

L’établissement d’une commission d’enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité[5]

Les Nations unies documentent les violations des droits de l’homme perpétrés en Birmanie et la manière dont elles pourraient être considérées comme étant en violation du droit international depuis plus de 20 ans.

En mars 2010, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la Birmanie a appelé à la mise en place d’une Commission d’enquête des Nations unies sur les potentiels crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Quelques mois plus tard, alors qu’aucune action n’avait été entreprise en ce sens, le Rapporteur spécial a réitéré son appel en déclarant: « Echouer à rendre compte des responsabilités en Myanmar ne pourra que conforter et renforcer les auteurs de crimes internationaux et remettre à plus tard un processus de  justice attendu depuis déjà trop longtemps.»

Le mouvement pour la démocratie appelle également à la mise en place d’une commission d’enquête, et les organisations de promotion des droits de l’homme à travers le monde soutiennent cet appel, y compris les groupes de soutien à la Birmanie et des organisations telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch.

Les appels répétés des Nations unies à l’attention des autorités birmanes afin que cessent les violations des droits de l’homme et que ces violations fassent l’objet d’investigation ont été ignorés. En 2011, les autorités birmanes ont brisé plusieurs accords de cessez-le-feu passés avec les groupes armés des Etats shan et kachin, donnant lieu à une augmentation des graves violations des droits de l’homme commis dans ces régions.

Bien que le gouvernement ait entrepris un dialogue et des négociations de paix avec ces groupes armés, les abus à l’encontre des civils continuent d’être perpétrés en toute impunité par les soldats de l’armée birmane.

La mise en place d’une Commission d’enquête est une étape concrète qui permettrait de réduire la perpétration des violations des droits de l’homme en Birmanie.

• Une Commission d’enquête pourrait permettre de prévenir la perpétration d’abus en exposant les faits en en mettant un terme au sentiment d’impunité avec lequel agissent les autorités.

• Elle permettrait de promouvoir le dialogue avec les autorités. Ce fût le cas avec l’Organisation Internationale du Travail et le Conseil de Sécurité après le cyclone Nargis, l’expérience nous montre que lorsqu’il y a une menace crédible, le gouvernement birman est plus enclin à répondre aux préoccupations internationales.

• Etablir la vérité est une étape essentielle afin de construire les bases d’une réconciliation nationale.

• Les victimes d’abus veulent une occasion d’exposer ce qui a réellement eu lieu.

• Cette commission d’enquête pourrait être une étape importante vers la justice.

• Elle pourrait faire des recommandations telles que la mise en place de mécanismes d’indemnisation et proposer des actions si de telles violations devaient continuer.

Une Commission d’enquête peut être mise en place par le Conseil de Sécurité de l’ONU, le Conseil des Droits de l’Homme, l’Assemblée Générale ou par Ban Ki-moon, le Secrétaire Général. A l’heure actuelle, l’Assemblée générale est l’organe qui semble le plus à même de pouvoir voter une résolution comprenant la mise en place d’une Commission d’enquête. L’Union européenne rédige les propositions de résolutions de l’Assemblée générale sur la Birmanie. Il est dont essentiel que l’Union européenne fasse figurer la mise en place d’une Commission d’enquête dans la proposition de résolution.

Le soutien pour la mise en place d’une Commission d’enquête provient aussi bien de Birmanie que de l’étranger. L’actuel Rapporteur  spécial de l’ONU sur la situation en Birmanie ainsi que ses prédecesseurs soutiennent cette initiative, de même que la League Nationale pour la Démocratie, les membres de la génération 88 et de nombreuses organisations de la société civile birmane. Jusqu’à présent, seize gouvernements se sont officiellement déclarés en faveur de la mise en place d’une commission d’enquête.

Malgré ces déclarations, aucun gouvernement n’a pris les devants afin de faire de cette initiative une réalité. Les gouvernements étrangers ont exprimé leur optimisme face aux réformes entreprises par les autorités birmanes, et ce, en dépit des nombreuses preuves démontrant qu’une  répression systématique continue d’être opérée dans le pays.[6]

Avant que l’idée d’une Commission d’Enquête ne soit proposée, d’autres mécanismes internationaux avaient déjà été mis en œuvre. Ils avaient pour but de constituer un socle juridique permettant de prévenir les violences sexuelles et autres exactions, ainsi que de protéger des femmes et des enfants dans des situations de conflits armés.

Les résolutions 1325 et 1820 du Conseil de Sécurité des Nations Unies 

Le 31 octobre 2000, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité. Et en juin 2008, le Conseil de Sécurité a adopté la résolution 1820 du qui se concentre sur la violence sexuelle dans les situations de conflit et de post-conflit.

La France a voté en faveur de ces deux résolutions et doit à présent aller plus loin en engageant une discussion approfondie sur les violences sexuelles perpétrées en Birmanie et proposer des plans d’actions pour que ces attaques cessent. Parmi les cas de viols documentés l’année dernière, près de la moitié des femmes a été tuée.

Depuis que ces résolutions ont été adoptées, elles ont été complètement ignorées par l’armée birmane. Selon des organisations locales, l’armée birmane aurait même amplifié son utilisation du viol, du viol collectif et des violences sexuelles contre les femmes issues des minorités ethniques.

La France doit s’assurer en premier lieu que le Conseil de Sécurité reconnaisse l’utilisation systématique et généralisée du viol et des violences sexuelles en Birmanie, et dans un second temps agisse pour que cela cesse.

Vous pouvez trouvez ces autres mécanismes internationaux en consultant le Rapport d’Info Birmanie sur l’utilisation du viol comme arme de guerre en Birmanie.


En savoir plus:

Rapport sur l’utilisation du viol comme arme de guerre en Birmanie – Info Birmanie et Swedish Burmma Committe –  Mars 2011 (English version : Rape as a weapon of war)
Rapport Licence to Rape (en français) ou Rapport Licence to Rape (en anglais)
– Rapport « La situation des femmes de Birmanie », Association Les Amis de la Birmanie, Sarah ASTIER

 

[1] Source : People’s Forum on Burma, organisation basée à Tokyo.

[2] Rapport de la Women’s League of Burma et de la Nobel Women’s Initiative

[3] « Head of HR Commission Rules Out Conflict-zone Inquiry », The Irrawaddy, February 15, 2012

[4] Campagne de Burmapartnership

[5]  Burma Briefing – War Crimes and Crimes Against Humanity in Burma – published by Burma Campaign UK

[6]  Human Rights Watch World Report 2012