Législatives 2020 : la voix des migrants/expatriés birmans encore étouffée ?

Législatives 2020 : la voix des migrants/expatriés birmans encore étouffée ?


Les élections législatives générales du 8 novembre approchent à grand pas et la situation des travailleurs birmans habitant à l’étranger reste incertaine. Ces derniers, tout comme les organisations de défense de leurs droits, sont inquiets pour leur droit de vote.

Alors qu’environ 4 millions de birmans résident à l’étranger, seuls 30 000 d’entre eux ont pu se rendre aux urnes en 2015 ! Trop longtemps négligée, cette partie de l’électorat birman demande à être informée et soutenue par le gouvernement afin d’éviter sa privation d’un droit constitutionnel. Pour ne pas être exclus du scrutin, certains migrants birmans ont fait le choix de voter en avance, se levant dans la nuit pour espérer atteindre leur ambassade dans une métropole parfois située à plusieurs jours de route, et ce durant leur seul jour de repos. Pour beaucoup, ce périple est la seule manière de pouvoir faire entendre sa voix après la déception qu’a représentée leur exclusion lors de l’élection de 2015.

En 2020, les autorités ont annoncé avoir enregistré 101 526 birmans de l’étranger pour voter, après avoir reçu 109 470 demandes. Les bulletins de vote ont été envoyés aux représentations diplomatiques du pays. Cette année, les modalités du vote à l’avance se sont un peu améliorées. Le créneau d’une journée prévu en 2015 s’est allongé. Les birmans de l’étranger ont eu entre 3 et 18 jours (selon le nombre de votants) pour voter à l’avance en octobre au sein de 45 ambassades et consulats.

La Commission électorale (UEC) déclare tout mettre en œuvre pour permettre aux birmans de l’étranger de voter et travaille désormais en collaboration avec les ambassades et consulats birmans à l’étranger, notamment en Thaïlande et en Malaisie. Une campagne d’enregistrement des électeurs en dehors des frontières nationales s’est déroulée pendant l’été. Les migrants birmans ont dû remplir le « formulaire 15 » pour faire reconnaître leur droit de vote.

Mais malgré tout, la situation reste peu propice à un vote massif de cette catégorie de la population birmane. Après la situation de 2015 certains acteurs politiques se demandent d’ailleurs si les travailleurs migrants se sentent encore concernés par la tenue des élections.  En réalité, la plupart souhaite peser dans l’élection de novembre, en dépit des obstacles qui bloquent leur accès aux urnes. Un souhait d’autant plus présent après l’échec des élections de 2015. 90% des migrants concernés rencontrés par l’ONG Fondation pour l’Education et le Développement (FED) et par le Réseau pour les Droits des Travailleurs Migrants de Birmanie, déclarent n’avoir jamais pu voter. Beaucoup de jeunes âgés entre 19 et 24 ans se saisissent d’ailleurs de leur droit de vote pour la première fois cette année.

Mais de nombreux migrants birmans demeurent peu renseignés sur les démarches à suivre et limités dans leurs possibilités de déplacement. Certaines ONG de défense des droits ont donc appelé les ambassades à distribuer le « formulaire 15 » au plus grand nombre de personnes concernées. U Htoo Chit, directeur de FED – dont l’un des bureaux se situe dans le sud de la Thaïlande – a mobilisé son organisation en contactant les travailleurs migrants de la région, pour leur donner accès au formulaire et aux informations essentielles. Néanmoins, le délai pour rendre le formulaire a été jugé trop court par la société civile.

Ce n’est d’ailleurs qu’une première étape : une fois reconnu comme électeur à part entière, le citoyen birman de l’étranger doit ensuite se rendre à l’ambassade pour présenter son vote. Or la majorité des travailleurs migrants résident hors des métropoles où se situent les ambassades, comme celle de Bangkok. C’est pourquoi les organisations de la société civile ont appelé les autorités birmanes à prolonger les délais et à prévoir des bureaux de vote mobiles au plus près des travailleurs.

En Thaïlande, ce sont 39 000 birmans qui se sont enregistrés pour voter à l’avance en octobre. Selon le consulat basé à Cheng Mai, environ 1000 birmans se sont enregistrés dans le nord du pays. En 2015, il fallait obligatoirement se rendre à Bangkok pour voter et seules quelques dizaines de migrants birmans avaient fait le déplacement. En 2020, il y a donc bien une mobilisation plus forte de cet électorat, mais toute relative par rapport aux millions de travailleurs migrants birmans en Thaïlande. Voter reste un parcours du combattant. Certains électeurs témoignent avoir mis 2 jours pour se rendre à Bangkok pour voter. Les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 viennent aussi limiter les déplacements. Les autorités birmanes ont expliqué ne pas pouvoir mettre en place de bureaux de vote mobiles au plus près des migrants en raison de la crise sanitaire. Les coûts des transports, le manque d’informations, voire la confiscation du passeport par l’employeur, sont autant d’obstacles qui font que beaucoup de travailleurs birmans ne feront pas le voyage pour voter. 

Dans les provinces du nord de la Thaïlande, ce sont 1000 migrants birmans qui se sont enregistrés pour voter à l’avance sur une estimation de plus de 60 000 travailleurs birmans. Près de 80 % des électeurs enregistrés à Chiang Mai sont originaires de l’état Shan. L’Irrawaddy a réalisé des interviews de plusieurs dizaines d’entre eux. Si leur vote balance entre la LND et la Shan Nationalities League for Democracy (SNLD), ils ont, pour la plupart, la paix comme préoccupation première après avoir fui les conflits armés en Birmanie.

Si la majorité des migrants birmans travaillent en Thaïlande, et en Malaisie, d’autres résident au Japon, en Australie, en Corée du Sud ou encore à Singapour. Le vote de ces birmans ne répond pas aux mêmes défis, car ils appartiennent généralement à une élite de travailleurs qualifiés. Ils bénéficient de ressources et d’informations, ce qui facilite leur accès au vote. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2015, seuls 600 birmans ont pu voter en Thaïlande, alors qu’à Singapour ils étaient 19 000. En 2020, plus de 32 000 birmans se sont enregistrés pour pouvoir voter à l’avance à Singapour. La presse locale rapporte cependant que 2000 d’entre eux n’ont pas reçu leurs bulletins de vote en raison de dysfonctionnements. 

Les autorités birmanes doivent résoudre le problème de l’accès à l’information et aux technologies des travailleurs migrants les moins privilégiés. Dans le cas contraire, les birmans de l’étranger perdraient de fait massivement leur droit de vote en voyant, année après année, leur voix étouffée.

En attendant des réformes décisives de la part du gouvernement, les ONG locales appellent les autorités à travailler en collaboration avec les attachés diplomatiques, mais aussi avec les responsables d’usines où sont employés les migrants. Des réunions entre les représentants diplomatiques et les travailleurs permettraient de leur faire parvenir les informations relatives aux élections à venir. En dehors de ces réunions sur le terrain, une éducation numérique à propos des enjeux électoraux est envisageable. En passant par les réseaux sociaux, il est en effet possible de sensibiliser une grande partie de la population, autrement délaissée par la communication gouvernementale.

Cette éducation est d’autant plus importante à mettre en place qu’une grande partie des travailleurs immigrés sont reconnus comme minorités ethniques et souffrent de leur invisibilisation par les autorités sur le sol birman. Dans le contexte des conflits qui déstabilisent le pays, il est essentiel de lutter contre le silence encore imposé aux birmans de l’étranger. La société civile qui défend leurs droits vient rappeler que leurs voix devraient être l’une des composantes de la légitimité, voire de la régularité du scrutin à venir, à l’heure où il est aussi question des centaines de milliers de birmans privés de vote à l’intérieur du pays.

Juliane Barboni

Le 28 octobre 2020