En Birmanie, le gouvernement instrumentalise les conflits armés pour influer sur le résultat des élections.

Alors que le gouvernement birman vient de signer un accord de cessez-le-feu national avec la moitié des groupes armés ethniques, les organisations de la société civile birmane craignent que les conflits armés soient instrumentalisés lors des élections de novembre, au profit du parti au pouvoir.

Myanmar Armed Forces

La Commission Électorale birmane (UEC) a annoncé début octobre que dans 102 villages de l’Etat Karen le scrutin n’aurait pas lieu « pour des raisons de sécurité ».  Près de 10 000 citoyens karens ne pourront donc pas voter. Les annonces de ce type ont malheureusement été fréquentes ces dernières semaines alors même que le gouvernement préparait la signature d’un accord de paix avec les groupes armés ethniques. Au début du mois d’août 2015 par exemple, la Commission Électorale a déclaré que le vote serait annulé dans les régions de Wa et Mong La, de même, la sous-commission électorale de l’Etat Karen a décidé de révoquer le droit de vote de 20 000 personnes, principalement issues de l’ethnie Mon, car des « groupes insurgés » auraient empêché le bon déroulé du processus de vérification des listes électorales.

Les observateurs font déjà le parallèle avec l’élection de 2010 au cours de laquelle l’UEC avait annulé le vote dans plus de 3400 villages dans les États Kachin, Karen, Karenni, Mon et Shan ce qui avait conduit à une participation électorale très basse (environ 30%) dans certaines régions du pays.

L’UEC ne s’est pas encore prononcée sur toutes les zones concernées par les annulations de scrutin, ni sur les critères d’annulation des élections. Alors que les conflits armés se poursuivent entre l’Armée birmane et les groupes armés ethniques, beaucoup plus de personnes pourraient donc être exclues des élections de novembre.

Une règle électorale inquiète également les minorités ethniques : si la participation est inférieure à 51% dans une circonscription, l’élection est annulée. Les autorités pourraient ainsi exclure des élections certaines zones de conflits armés, pour tenter d’invalider les votes de circonscriptions entières. En effet, si le vote est annulé pour des raisons de sécurité dans une partie d’une circonscription, l’élection risque d’être invalidée sur tout le territoire si la participation électorale n’y atteint pas, au total, 51%.

Plusieurs partis politiques ethniques ont exprimé leurs inquiétudes quant aux annulations de scrutins, estimant qu’il pouvait s’agir d’une stratégie politique pour exclure les électeurs des régions ethniques où les partis proches du pouvoir ont peu de chance de remporter la victoire. Un rapport de Transnational Institute montre en effet que les annulations de vote pourraient les empêcher d’obtenir une représentation politique équitable.

Outre l’exclusion des électeurs, les alliés du parti au pouvoir tentent de limiter les campagnes électorales des partis de l’opposition. Zakhung Ting Ying, un parlementaire de l’Etat Kachin et président d’un groupe armé kachin contrôlé par l’Armée Birmane a par exemple réclamé que la Ligue Nationale pour la Démocratie arrête toute campagne électorale dans trois régions de sa circonscription. Pour Human Rights Watch, « les milices privilégient leurs propres intérêts électoraux aux dépens des droits de vote des habitants des zones rurales et des minorités ethniques en particulier. » Elles perpétuent ainsi la domination des militaires dans ces régions ainsi que les violations des droits qui l’accompagne.

Malheureusement, l’instrumentalisation des conflits armés est seulement l’une des stratégies utilisées par le gouvernement pour garder en partie le contrôle des élections de novembre. Charles Santiago, Président du groupe de parlementaires de l’ASEAN pour les Droits de l’Homme estime qu’au total, jusqu’à 10 million de personnes – soit environ 20% de la population birmane – ne seront pas en mesure de participer aux élections et que « cela pourrait soulever de sérieux doutes sur la légitimité du vote ». L’utilisation des tensions interreligieuses, les manigances et connivences politiques, la corruption, la gestion des inondations, les votes des birmans à l’étranger, les listes électorales et le manque d’indépendance de l’UEC sont autant d’autres moyens utilisés par le gouvernement pour influer sur le résultat des élections.

Le 13 octobre, le président de l’UEC a même proposé de reporter les élections nationale à plus tard, arguant que les conséquences des inondations de cet été pourraient empêcher un grand nombre de personne de voter. Cette tentative – probablement destinée à gagner du temps – n’a pas aboutie puisque face aux réactions de la communauté internationale, l’UEC a fait volte-face dès le lendemain en confirmant les élections le 8 novembre. La communauté internationale doit continuer de faire pression sur le gouvernement birman pour que les élections de novembre soient libres et équitables et notamment exiger de l’UEC une gestion transparente et indépendante  des élections, ce qui est malheureusement loin d’être le cas à moins de 3 semaines des élections.