Article rédigé par Lorène, volontaires auprès de Center for Youth and Social Harmony
Center for Youth and Social Harmony a été fondée en mai 2013 par six jeunes leaders activistes avec l’idée de promouvoir une harmonie religieuse et ethnique afin de participer à la diminution des discriminations en Birmanie. Seuls deux des six activistes fondateurs, font encore partie de l’association aujourd’hui : Thet Swe Win et Zwe Nay Naung qui ont été rejoints par Naing Oo formant ainsi le bureau exécutif de la nouvelle association : CYSH-Synergy. Provenant de milieux très différents ces trois leaders se sont réunis afin de participer à la construction de la paix et de la cohésion dans leur pays.
À ses débuts, les activités de l’association étaient surtout destinées aux jeunes birmans. La priorité de CYSH était alors que ces derniers apprennent à se respecter indépendamment de leurs religions et de leurs ethnies. Au fil du temps, CYSH a décidé de diriger son action vers l’ensemble de la population birmane pour maximiser l’impact de ses projets mais aussi dans le but de promouvoir une meilleure compréhension entre générations. « Il y a, en Birmanie, une vraie division générationnelle. Les jeunes ne respectent plus leurs aînés mais ces derniers sont également déçus par le comportement des jeunes et ne leur font plus confiance. Il y a un cruel manque de dialogue » précise Thet Swe Win.
Ce qui n’a pas changé en revanche, c’est l’âme militante de l’association. Engagée dans de nombreux réseaux, CYSH ne craint pas d’affirmer ses positions même lorsque celles-ci vont à l’encontre de celles du gouvernement en place. En ce sens, l’association participe et organise fréquemment des manifestations, pétitions et autres formes de revendications. Par exemple, après avoir visité les camps de réfugiés Rohingya au Bangladesh, Thet Swe Win a décidé de créer une pétition en ligne condamnant l’action de groupes bouddhistes extrémistes. C’est par ce type d’action que l’association fait valoir son opinion en Birmanie et dans le monde.
CYSH agit directement auprès de la population. En effet, l’association s’est rendu compte que les tensions ethniques et religieuses étaient très présentes à Rangoun et dans ses townships. Connaissant bien la région ils ont décidé de s’y attarder et de mener leurs actions dans cette zone. CYSH y organise ainsi des événements, ateliers de sensibilisation, concerts ou encore des discours publics sur l’harmonie religieuse, le rétablissement de la paix et la prévention de conflits. Les membres de l’association ont remarqué que lorsqu’un conflit éclatait entre deux personnes de confession différente, chacune des parties se tournait vers une « mauvaise autorité ». Il s’agit en général de personnes appartenant à des groupes extrémistes. Ce phénomène aggrave le conflit et peut conduire à une réelle confrontation entre les différentes communautés religieuses « Des membres de l’ancien groupe Ma Ba Tha ont diffusé la rumeur selon laquelle Thingankyun township allait être envahi par les Rohingya. Cette rumeur a causé de réelles tensions entre bouddhistes et musulmans. La population était perdue et ne savait plus qui écouter » raconte Naing Oo. « À cette époque, dans le township de Thingankyun, des membres de groupes bouddhistes extrémistes entraient dans les maisons de musulmans en pensant y trouver des Rohingya. Il régnait vraiment un climat de peur».C’est dans ce cadre et afin d’éviter ce genre de situation que CYSH intervient.
En plus de son action autour des tensions, l’association CYSH s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large. Les deux récents projets dans lesquels l’association est très impliquée concernent surtout les Rohingya et l’Etat d’Arakan.
Dans ce cadre, CYSH participe à un projet relatif au Rapport final de la commission consultative sur l’Etat d’Arakan dirigé par Kofi Annan. Ce rapport, à vocation consultative, a été lancé par une commission indépendante sur demande de la Secrétaire d’État Aung Saan Suu Kyi. Après avoir enquêté pendant 1 an sur la situation, le commission Annan a publié un rapport final faisant état de ses observations. Ce rapport contient de nombreuses recommandations visant à améliorer la vie de la population de l’Etat d’Arakan. L’objectif du projet auquel participe CYSH est de sensibiliser la société civile sur le rapport final et de récolter son opinion pour créer un document rassemblant le point de vue de la société civile sur le rapport Annan, mais surtoutses recommandations. En réunissant plusieurs organisations composées de bouddhistes et musulmans, y compris des Rohingya, ce projet a également permis la création d’un réel espace de discussion sur un sujet que peu de personnes osent aborder en temps normal. Ainsi, dans un climat de bienveillance, chacun peut échanger librement et exposer son point de vue ce qui permet aux différentes parties d’appréhender les désirs et les craintes de chacun. Ce dialogue inclusif est apparu comme nécessaire et les associations organisatrices sont persuadées que ce n’est qu’avec ce type de processus que la situation pourra évoluer. Enfin, pour CYSH, ce projet permet de responsabiliser différents acteurs face à la situation de l’Etat d’Arakan et de mettre en lumière les positions de la société civile.
CYSH est également très impliquée dans un second projet s’intitulant « Empathy mission to Bangladesh ». Ce projet consiste à emmener des moines bouddhistes, médias et leaders d’organisations de la société civile au Bangladesh. CYSH, qui s’est déjà rendu au Bangladesh et dans les camps de réfugiés de Cox Bazar, considère que ce genre de séjour développe la compréhension de la situation actuelle. Une information objective n’étant pas toujours accessible en Birmanie, il est difficile pour la population birmane d’avoir une vision claire concernant les récentes attaques du groupe ARSA[i] ou encore les représailles des militaires. CYSH souhaite lever le voile sur cette zone d’ombre. Dans le cadre de ce projet, il est prévu que le groupe birman constitué par CYSH rencontre et échange avec la société civile bangladaise. Le but serait qu’à la suite de ce séjour, chaque acteur revienne en Birmanie avec un message de paix à partager et à diffuser.
Enfin, l’association CYSH a récemment fait parler d’elle à propos de son combat pour la défense des Rohingya. Ce combat est beaucoup porté par le directeur de l’association, Thet Swe Win. C’est également lorsqu’il a commencé à s’investir dans cette lutte que des divergences au sein de l’association sont apparues. Thet Swe Win est un bouddhiste Bamar, il se sent cependant plus que concerné par la cause des Rohingya. Il a fait de cette cause son combat de tous les jours et il n’en craint pas les conséquences. Car actuellement en Birmanie, il peut être dangereux d’affirmer défendre les Rohingya. Thet Swe Win a ainsi reçu plusieurs menaces les visant lui, et sa famille.
Alors que c’est Aung San Su Kyi qui lui aurait donné l’envie de se battre pour la défense des droits de l’Homme dans son pays, Thet Swe Win se sent trahi. Il considère qu’elle a récemment déçu toute une génération en laissant un peuple, son peuple, se faire massacrer. C’est ainsi que Thet Swe Win a mené son association CYSH vers ce même combat. Il est révolté de voir que depuis quelques années les associations se disant de défense des droits de l’Homme ne défendent pas tous les hommes. « La société civile en Birmanie est devenue très divisée, plus personne ne se fait confiance », affirme-t-il en précisant que presque aucun de ses amis ne partagent son point de vue. « Même les leaders les plus progressistes se taisent sur le sujet… et deviennent de plus en plus nationalistes ». CYSH constitue ainsi une des rares associations non musulmane et non Rohingya luttant pour défendre les droits des Rohingya.
En travaillant avec les populations, les parlementaires, les politiques, les activistes, les jeunes et les plus âgés, sur des questions d’éducation, de tolérance religieuse et ethnique, de développement durable et bien d’autres, CYSH a su trouver sa place au sein du large réseau d’organisations de la société civile présent en Birmanie. L’association s’est imposée comme un acteur clé tant par sa vision globale de défense des droits de l’Homme que par son action locale. Elle participe ainsi de manière effective à la promotion de la paix et de la démocratie en Birmanie.
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[i] L’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA) a revendiquée les attaques du 8 octobre 2016 et du 25 août 2017 à l’encontre des forces de sécurité gouvernementales birmanes. S’en sont suivis deux opérations d’envergure de « nettoyage » de l’armée birmane, qui ont entraîné près de 800 000 personnes à se fuir les violences pour se réfugier au Bangladesh, dont la plupart sont des Rohingya.