Le déni des libertés fondamentales

Le déni des libertés fondamentales

Depuis 2011, la communauté internationale ne cesse de saluer le courage et de souligner les réformes entreprises par le Président birman. Pourtant, le passé de Thein Sein, son bilan après deux année à la présidence du pays ainsi que le fossé entre ses promesses et ses actions devraient rendre la communauté internationale plus sceptique et l’amener à s’interroger davantage.

Chaque transition est difficile et les réformes prennent du temps. Cependant, l’escalade de la violence, l’aggravation de la situation des droits de l’homme, l’absence de dialogue politique et de réformes favorisant la démocratie, devraient suffire à sonner l’alarme!

Dans les villes, les libertés civiles ont incontestablement progressées, toutefois, elles n’ont pas été entérinées légalement et pourraient disparaitre à tout moment. Parallèlement, des violations aux droits de l’homme pouvant être qualifiées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de nettoyage ethnique, sont commises contre les minorités.

Le processus de réformes engagé constitue-t-il une véritable transition vers la démocratie ou s’agit-il, comme beaucoup le pense en Birmanie, du passage d’un état paria à une « dictature fréquentable » similaire au régime russe ou chinois ? Les réformes mises en place par Thein Sein ont-elles été seulement consenties pour permettre au gouvernement d’échapper aux sanctions et à la pression internationale ? La communauté internationale n’est-elle pas en train de confondre processus de modernisation et processus de démocratisation ?

La communauté internationale ne cesse de souligner les avancées démocratiques mais ignore la réalité du terrain. Un équilibre prudent entre encouragement et pression devrait remplacer cette approche qui considère que, comme cela a été promis, tout va bien en Birmanie.

DES LIBERTÉS GARANTIES PAR LE DROIT INTERNATIONAL

Les articles 19 et 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme garantissent le droit à la liberté d’expression, ainsi que le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.

Le droit international relatif aux droits humains dispose que toute restriction à ces libertés doit être expressément prévue par la loi, nécessaire et proportionnée, et imposée uniquement pour servir des objectifs spécifiques et légitimes, tels que décrits dans les traités internationaux relatifs aux droits humains. De plus, le droit de réunion pacifique ne saurait dépendre de l’autorisation du gouvernement. L’interdiction de participer à des activités organisées par des associations qualifiées d’« illégales », alors qu’il peut tout simplement s’agir d’associations non enregistrées auprès des autorités, fait peser sur l’exercice de la liberté d’association des restrictions à la fois étendues et disproportionnées, laissant l’État seul juge pour décider des activités que la société civile peut mener ou non. Un tel pouvoir discrétionnaire est contraire aux normes internationales relatives aux droits humains [1].

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET LIBERTÉ DE LA PRESSE

Le gouvernement birman a permis des avancées notables pour la liberté de la presse. L’autorisation de publication pour les journaux privés, témoigne notamment de la volonté des dirigeants de mettre un point final à la propagande militaire. En revanche, de nombreuses dispositions liberticides sont contenues dans le nouveau projet de loi sur l’impression et la publication et beaucoup de lois limitant la liberté de la presse sont toujours en vigueur.

Le projet de loi présenté le 4 mars 2013 au Parlement, prévoit en effet qu’une publication pourrait être déclarée “illégale” dans un certain nombre de cas, notamment sous des accusations aussi vagues que des “écrits dangereux pour la réconciliation nationale ou blessants pour les religions”, “la perturbation de la primauté du droit”, et la “violation de la Constitution et des autres lois existantes”. L’acte 17 prévoit également que “nul ne pourra vendre, publier, imprimer, distribuer, exporter ou importer des journaux déclarés illégaux, en conformité avec l’Acte 8”. De lourdes peines sont prévues pour les journalistes contrevenants, jusqu’à six mois d’emprisonnement, assortis d’une amende pouvant atteindre 12 000 dollars pour une publication sans autorisation.

Ye Tint, le directeur général des relations publiques du ministère de l’Information, a déclaré le 4 mars : “Il n’y a aucune raison (que le projet de loi) affecte la liberté de la presse et des médias. Si aucune information ne concerne la sécurité de l’État, alors il n’y aura pas de problème[2] et récemment les autorités ont interdit la vente du Time Magazine, sous toutes ses formes.TIME couverture wirathuCe geste témoigne de la volonté inchangée du gouvernement de contrôler l’information et de s’octroyer le droit de pratiquer une censure préalable chaque fois qu’il le jugera nécessaire.  Juste après l’interdiction du magazine, Thein Sein a déclaré : « Je crois fermement que le droit à la liberté d’expression devrait être exercé à la lumière du climat politique délicat et selon un objectif constructif. »[1], pour justifier sa politique de censure.

La Birmanie est classée au 151ème rang sur 179 du classement 2013 de la liberté de la presse.

Pour en savoir plus :
-Lire le rapport spécial : “La crise dans l’Etat d’Arakan et les nouvelles menaces sur la liberté d’information”, publié par Reporters sans frontières le 28 juin 2012.
-Le classement 2013 de RSF sur la liberté de la presse

 

LIBERTÉ DE MANIFESTER

Une nouvelle loi promulguée début 2012 autorise les manifestations pacifiques. Toutefois, l’utilisation de cette loi est détournée et permet l’arrestation de centaines d’activistes. Les conditions de protestation prévues sont très strictes et tout événement doit être autorisé par les autorités locales. Elles peuvent par exemple arrêter un rassemblement composé de deux personnes.

LIBERTÉ DE RELIGION

Depuis l’arrivée de la junte militaire au pouvoir, les minorités ethniques non-bouddhistes sont victimes d’une politique discriminante, liée notamment à leur religion.  Les églises chez les Karens et les mosquées chez les ethnies musulmanes ont souvent été les cibles d’attaques et plus largement, tout a été fait pour que leurs cultures soient étouffées.

Les Etats-Unis ont intégré la Birmanie à la liste des « pays particulièrement préoccupants »  sur ce plan, car les violations contre la liberté de religion y sont flagrantes et systématiques.

En 2012, dans son rapport « Menaces contre notre existence », la Chin Human Rights Organisation, a rassemblé des documents montrant le déni systématique de liberté de religion auquel est confrontée l’ethnie chrétienne Chin.

Enfin, le président Thein Sein, a laissé se développer un sentiment de haine contre les Rohingyas et n’a pris aucunes mesures pour stopper les violences contre l’ensemble des musulmans de Birmanie. Les violences anti-musulmanes se sont ainsi propagées dans le pays, entrainant le déplacement de milliers de personnes ainsi que des centaines de meurtres.rohingya-noAlors qu’une jeune femme a récemment été condamnée à une peine de prison pour s’être cognée à un moine dans une rue très fréquentée, les représentants bouddhistes sont libres de propager la haine contre les musulmans. Les moines les plus virulents sont même soutenus par le gouvernement.

DROIT DE PROPRIÉTÉ 

La confiscation des terres est devenue un des problèmes endémiques en Birmanie. Le gouvernement central confisque d’immenses étendues de terres à travers le pays, provoquant le déplacement et la destruction des moyens de subsistance des agriculteurs et des populations vivant dans ces zones. Aucune étude approfondie n’a encore été menée pour évaluer l’ampleur réelle de ce problème très répandu.

La généralisation du problème et les mécontentements grandissants, ont conduit à la création par le gouvernement, d’une Commission chargée de traiter les plaintes pour expropriation, dont le nombre augmente régulièrement. En réponse à ces protestations, le ministre de la défense, le Lieutenant General Wai Lwin a annoncé devant le Parlement, que l’armée était prête à rendre 18,300 acres (7.412 hectares), sur plus de 297,000 acres à travers le pays [3]. L’armée serait donc prête à rendre seulement 6% des terres confisquées lorsque la junte était au pouvoir.

L’effort consenti par le gouvernement est nettement insuffisant pour les paysans et l’ensemble des personnes ayant perdu leurs propriétés, leurs emplois et leurs moyens de subsistance au profit du gouvernement, des militaires et des entreprises. Cette réponse n’est pas non plus cohérente avec la politique gouvernementale actuelle, qui, tournée vers les investisseurs étrangers et l’ouverture du pays, continue de confisquer des terres.

Le projet industriel dans la ville de Dawei (entre autres un port en eau profonde, une usine pétrochimique, une raffinerie pétrolière) a impliqué par exemple, le déplacement de force de dizaines de milliers de personnes, il se poursuit en 2013 et devrait concerner une quinzaine de villages. Ce projet n’est pas un cas isolé, plus de vingt projets de barrages hydroélectriques de grande envergure sont en cours de construction à travers le pays, et une quarantaine de blocs pétroliers et gaziers sont en phase d’exploration.

Alors que l’économie se prépare à un afflux d’investissements étrangers, les associations de défense des droits de l’homme craignent que cela ne se traduisent par une augmentation de la saisie de terres, au profit des entreprises privées, du gouvernement et de l’armée.

Pour en savoir plus :
– Sur ce type d’investissements : lire « Une augmentation des cas de confiscation de terres directement liée à l’afflux d’investissements ».
– Sur la réponse du parlement aux protestations liées aux accaparements des terres : lire le communiqué de presse « Terres confisquées sous la junte et sous le gouvernement de Thein Sein »

DROIT A LA JUSTICE :

Les victimes des abus perpétré depuis 1962, n’ont accès ni à la vérité, ni à la justice. Le gouvernement actuel n’a assumé aucune responsabilité et ne favorise pas de processus de réconciliation. Thein Sein ne reconnait pas les violations des droits de l’homme commises en Birmanie. Il a même récemment qualifié « d’inventions », les rapports des Nations Unies dénonçant les abus commis par les soldats sous son ordre.

En réponse aux documents attestant les violations des droits de l’homme dans l’Etat Kachin, le Lieutenant général Lt-Gen Myint Soe déclarait : « ne croyez pas tout ce que vous entendez ». Sans reconnaissance de l’Etat des violations des droits de l’homme commises, aucune justice ne peut être possible.

Le gouvernement n’envisage pas non plus de juger prochainement les responsables des violations reconnues sous la junte, il considère qu’il faut se tourner vers l’avenir plutôt que vers le passé et remet donc à plus tard toute action en justice concernant cette période.

Le récent comité, établi par le gouvernement chargé d’enquêter sur les violences dans l’État d’Arakan sous la présidence de Thein sein, a également été incapable de tenir pour responsables les auteurs des violences, et a recommandé de façon inquiétante une présence accrue de l’armée.

Aucune réconciliation n’est possible lorsque l’impunité prime sur la justice.

DROIT A UNE ARRESTATION ET A UN PROCÈS ÉQUITABLE

Toutes les lois répressives qui donnent au gouvernement un cadre juridique lui permettant de procéder à des arrestations arbitraires et de mettre sous silence les voix dissidentes, sont encore en place. Elles ne sont pas en conformité avec les standards internationaux et ne peuvent garantir les libertés fondamentales.

Des centaines de prisonniers politiques ont été libérés, mais des centaines d’autres sont toujours derrière les barreaux. Les nouvelles arrestations d’activistes se produisent depuis le début de l’année, à un rythme alarmant, et de nombreux militants sont emprisonnés en attendant leur procès. La majorité des prisonniers politiques libérés, n’ont pas été graciés mais seulement remis en liberté conditionnelle. S’ils sont de nouveau arrêtés, ils purgeront leur peine initiale.

Depuis le début des réformes, c’est la première fois que des militants des droits de l’homme sont condamnés à de si lourdes peines. Leur seul crime est souvent de s’être opposé pacifiquement à des projets susceptibles de nuire irrémédiablement à la vie et à la subsistance des communautés locales s’ils sont effectivement mis en place.

« Libérez des prisonniers politiques pour en envoyer d’autres en prison n’a aucun sens. Les militants des droits de l’homme continuent de payer le prix fort pour exposer et mettre en évidence les injustices », a déclaré Info Birmanie.

Pour en savoir plus :
– Sur un cas récent d’arrestations arbitraires et de condamnations: Lire le communiqué de presse: « Trois activistes condamnés à des lourdes peines de prison », 9 juillet 2013

 


[1] Sources :  Amnesty international

[2]  Sources: Reporters Sans Frontières

[3] Selon le rapport de New Light of Myanmar