“Amazing Thailand: it begins with the people”

“Amazing Thailand: it begins with the people”

InfoBirmanie, en partenariat avec Terre des Hommes France (TDH), la Fédération Internationale Terre des Hommes (FITDH), et Foundation for Education and Development (FED) participe à un projet visant à réduire la vulnérabilité des migrants entre la Thaïlande et la Birmanie. Cet article d’InfoBirmanie est le quatrième d’une série mensuelle : retrouvez tous les mois une publication thématique pour rendre compte de la situation pressante des migrants birmans en Thaïlande et du contexte de cette migration.

24/07/2019

La Thaïlande, destination de rêve pour les visiteurs et pour le PIB

« Surprenante Thaïlande : ça commence avec les gens» nous dit le slogan du pays à destination de ses visiteurs…

La Thaïlande est une destination touristique très prisée. Ses plages paradisiaques, son climat doux, sa nature exubérante et ses paysages “instagrammables” en font la première destination asiatique. En 2018, le pays recevait plus de 38 millions de visiteurs dont 10,5 millions de chinois, soit 27,5% du nombre total. A côté de cela, les 2 millions environ de touristes européens semblent négligeables. Pour autant, il ne faut pas oublier leur impact. L’industrie du tourisme est extrêmement lucrative pour la Thaïlande et représente près d’un cinquième de son PIB.

Pour stimuler cette activité, le pays dépend beaucoup de sa main d’oeuvre migrante interne et de celle de ses pays voisins, telle que la Birmanie. La proximité de ce pays avec d’incontournables sites touristiques thaïlandais comme Chiang Mai, Ranong ou Phuket facilite l’emploi de ressortissants birmans.

Là où le client est roi, le birman est exclu des lois 

Afin de garantir aux visiteurs de belles vacances, les hôtels emploient des travailleurs migrants birmans comme serveurs, jardiniers ou personnel de ménage. Une étude suédoise datant de 2015 effectuée auprès de 29 travailleurs migrants (18 dans 7 hôtels et 11 chez 6 fournisseurs d’hôtels), a établi que la moitié des employés des hôtels et la grande majorité de ceux employés par un fournisseur ne recevaient pas le salaire minimum. Hors-saison, certains d’entre eux sont mis à temps partiel, n’en touchant plus que la moitié. Cela ne suffit pas à couvrir leurs dépenses vitales, d’autant plus que 25 d’entre eux renvoient de l’argent à leurs familles restées en Birmanie. En haute saison, les travailleurs dans les hôtels et chez les fournisseurs, particulièrement des laveries ou des boulangeries, dépassent régulièrement les horaires légaux de travail, avec des journées pouvant durer de 10 à 19 heures, bien évidemment sans attribution de pauses ni de jours de repos.

Si ces migrants travaillent avec acharnement, il n’est pas dit qu’ils perçoivent les congés payés auxquels ils ont droit : trois d’entre eux pouvaient prendre des congés, mais une seule d’entre eux était payée. Lorsqu’ils sont en incapacité de travailler, leur absence est déduite de leur salaire ou de leurs jours de repos et ils ne reçoivent pas  d’indemnisation en cas  d’accident du travail.

Cette situation n’est pas la même pour tous : leurs homologues thaïlandais gagnent mieux leur vie et ont plus de droits, bénéficiant d’un statut régulier qui leur permet de posséder un véritable contrat de travail ainsi que de s’assurer. Cette discrimination à  l’égard les birmans affecte aussi leurs conditions de vie. La plupart des birmans interrogés étaient logés dans des petites cabanes en métal surpeuplées, dans des endroits inondables, infestés de moustiques et de sangsues, sans accès à l’eau potable. Obligés d’utiliser l’eau polluée d’un lac, partageant toilettes et cuisine et interdits d’utiliser les toilettes réservées à leurs collègues thaïlandais, ils étaient confrontés à une hygiène de vie déplorable et à une rude  cohabitation.

Pour les travailleurs birmans, plage et piscine ne sont donc pas au programme dans ces “coins de paradis”, qui cachent plus d’une sombre réalité…

Le tourisme sexuel et la capitalisation sur les fantaisies orientalistes

L’industrie du sexe thaïlandaise a gagné en notoriété entre les années 1950 et 1970 lors de la guerre du Vietnam. A l’époque, les soldats américains allaient à Pattaya pendant leurs permissions, créant une des premières infrastructures de tourisme du sexe et attirant des femmes et femmes transgenres de Thaïlande et des pays voisins comme la Birmanie. Lors du retrait des troupes, le tourisme est devenu un secteur clé du développement économique thaïlandais et le pays a donc soutenu son expansion dans toutes ses formes, y compris le tourisme sexuel. Même si la prostitution est aujourd’hui illégale en Thaïlande, le gouvernement fait peu pour limiter les structures qui proposent des services aux “touristes sexuels”. Le Ministère du Tourisme décourage ce genre d’activités en partageant des vidéos de sensibilisation à bord des avions à destination du pays et en distribuant des brochures aux professionnels du tourisme. Ils organisent aussi des formations locales afin de prévenir l’exploitation sexuelle des enfants dans cette industrie.

Cependant, la grande visibilité du travail du sexe dans les lieux touristiques et l’apparition d’établissements proposant ce genre de services sur les listes des “top” choses à faire en Thaïlande sur les sites internet illustre que l’exotisation des corps (surtout de femmes) asiatiques par les touristes, soutient un commerce très lucratif. La plupart des travailleuses du sexe ont des postes dans le secteur du divertissement, tels que les bars, les boîtes, les karaokés, les casinos et les salons de massage, et proposent des services de nature sexuelle hors-site afin de contourner les règlements qui régissent ce secteur d’activité. S’il existe une prostitution professionnelle et voulue, ainsi qu’une “demande” pour les prostitués hommes et garçons, ce sont surtout de jeunes birmanes, y compris mineures, victimes de trafic d’êtres humains, qui alimentent le marché du sexe et le tourisme qui y est lié en Thaïlande.

Avec ou sans consentement, ce domaine reste extrêmement problématique. Il nourrit et développe des stéréotypes à l’égard des femmes thaïlandaises, birmanes et des autres pays d’Asie du sud-est et maintient des relations de pouvoir inégales. Le touriste, venant en Thaïlande expressément pour profiter d’une activité illégale ne court aucun risque, étant même le bienvenu en prévision de ses dépenses qui dynamisent l’économie. A l’inverse, la travailleuse du sexe est criminalisée, stigmatisée et son statut déjà doublement précaire de migrante et prostituée est d’autant plus mis en danger.

“Mais alors, on ne peut plus partir en vacances en Thaïlande?”

La contribution, même inconsciente, à un tourisme qui exploite les migrants birmans, entre autres, peut être limitée. A titre individuel, voyager de manière responsable et respectueuse est indispensable. Privilégier une organisation indépendante et informée, au lieu de passer par des compagnies de tours et de voyages, est extrêmement important.

En effet, les hôtels et les filiales choisis pour l’étude suédoise avaient des accords commerciaux avec des tours-opérateurs comme Thomas Cook pour vendre leurs séjours. Ces entreprises, et elles ne sont sûrement pas les seules, n’ont pas pris les mesures adéquates pour contrer l’exploitation des travailleurs chez leurs partenaires ni le long de la chaîne de travail, ce qui constitue une violation claire des principes relatifs aux entreprises et droits de l’Homme de l’ONU. Tant que les entreprises n’effectuent pas le processus d’identification, de prévention et de résolution des risques liés au tourisme en Thaïlande, il faut être prudent face à leurs offres alléchantes et se demander: quel est le prix humain de nos vacances?

Clara Sherratt

Sanction de Min Aung Hlaing : les Etats-Unis donnent le ton

Sanction de Min Aung Hlaing : les Etats-Unis donnent le ton

CP 17 juillet 2019 – Les Etats-Unis viennent de placer le Commandant en chef de l’armée birmane Min Aung Hlaing sous sanction, ainsi que trois autres hauts-gradés et les membres de leurs familles, devenant ainsi le premier gouvernement à viser la plus haute hiérarchie militaire pour sa responsabilité dans les violations massives des droits de l’Homme commises à l’encontre des Rohingya.

Ces hauts-gradés sont désormais privés d’entrée sur le territoire américain, ce qui marque un premier pas. Dans son communiqué du 16 juillet, le Département d’Etat américain souligne en particulier que le gouvernement birman n’a pris aucune mesure pour faire rendre des comptes aux auteurs des crimes les plus graves en droit international et s’inquiète de la persistance des violations des droits humains commises par l’armée à travers le pays. Pour illustrer le climat d’impunité dont bénéficient les militaires et leur hiérarchie, il mentionne la libération scandaleuse, sur ordre de Min Aung Hlaing, des rares militaires à avoir été condamnés pour le meurtre de Rohingya. Ces militaires n’auront effectué que quelques mois de prison, alors que les journalistes de Reuters qui ont documenté leurs crimes ont passé plus de 500 jours derrière les barreaux.

Au sein de l’Union Européenne, l’élargissement de la liste des militaires birmans sous sanction et l’inclusion des plus hauts-gradés (*) font encore débat. La décision des Etats-Unis vient appuyer ceux qui en appellent à ce que l’Union Européenne aille plus loin.

Au lendemain de cette décision, nous demandons à la France, comme nous l’avons déjà exprimé, d’œuvrer pour que le Commandant en chef de l’armée birmane, en particulier, soit visé par les sanctions de l’Union Européenne. Il en va de la crédibilité de notre engagement dans la lutte contre l’impunité. 

Contact : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

 

(*) Parmi les 4 hauts-gradés placés sous sanction, les brigadiers Than Oo et Aung Aung figurent déjà sur la liste des individus sous sanctions de l’UE, qui ne comprend pas par contre les deux plus-hauts gradés de l’armée birmane: Min Aung Hlaing et Soe Win.

Coupure d’internet en Birmanie : où est la voix de la France ?

Coupure d’internet en Birmanie : où est la voix de la France ?

CP 16 juillet 2019 – Depuis trois semaines, neuf townships dans les états d’Arakan et Chin restent coupés du monde parce que les autorités birmanes ont décidé de couper l’accès à internet de toute une zone de guerre. Les personnes déplacées par les combats sont particulièrement affectées par cette coupure et Radio Free Asia, dans son édition du 5 juillet et du 9 juillet 2019, rapporte des informations inquiétantes relatives aux pratiques de l’armée birmane dans le cadre de son opération en cours contre l’Armée de l’Arakan (AA). Loin des regards, les informations sont parcellaires, mais alarmantes.

La décision des autorités birmanes a entraîné de nombreuses réactions au sein de la société civile, birmane et internationale. Au niveau de l’ONU, la Rapporteuse spéciale sur les droits humains en Birmanie, Mme Yanghee Lee – qui reste interdite d’accès dans ce pays – a particulièrement exhorté les autorités à lever cette mesure liberticide et dangereuse. Des réactions gouvernementales ont suivi : l’Ambassade de Suède a publié une déclaration le 26 juin et le Département d’Etat américain a également réagi.

Nous avons attendu la réaction de la France mais, de manière tout à fait étonnante, c’est la Chambre de commerce française en Birmanie qui s’est exprimée dans un communiqué commun des Chambres de commerce européennes publié le 10 juillet dernier :

« En tant que chambres de commerce représentant des investisseurs européens responsables, nous nous inquiétons de la coupure internet au niveau de neuf townships affectés par le conflit dans les états Chin et d’Arakan depuis le 21 juin 2019. Cette coupure affecte plus d’un million de personnes dans ces townships ; elle a un impact négatif sur l’économie locale et la société. Nous demandons aux autorités birmanes de considérer également cette coupure internet sous l’angle de son impact possible sur la réputation de la Birmanie au niveau de la communauté internationale et de l’image du  pays en tant que destination pour un investissement responsable. A la lumière, en particulier, des préoccupations en matière de droits de l’Homme exprimées par l’ONU et les gouvernements concernés, nous espérons que l’accès internet sera rapidement rétabli.»

Mis en perspective avec le silence de la France, ce communiqué interroge, et trouble. La France a-t-elle délégué sa communication à sa Chambre de commerce ? La situation est-elle à ce point dégradée que nous ne pouvons plus exprimer des préoccupations légitimes face à l’évolution de la situation des droits de l’Homme en Birmanie ? Le levier de l’image pour l’investissement est-il le seul qui soit désormais audible par les autorités birmanes ? Et si oui, cela justifie-t-il d’y recourir et/ou d’en faire notre seul argument ? Sommes-nous préoccupés par les perspectives d’investissement (responsable) ou par la situation des droits humains dans ce pays ?

La France, par la voix de son Président à l’automne 2017, avait eu des mots forts face à l’exode des Rohingya. Alors que la date commémorative de cette crise majeure approche, que la situation des droits humains se dégrade et que l’armée birmane continue de commettre des crimes en toute impunité, nous attendons de la France qu’elle fasse entendre sa voix.

Contact : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

Travailleurs birmans en Thaïlande: une source de revenus pour leur pays d’origine

Travailleurs birmans en Thaïlande: une source de revenus pour leur pays d’origine

InfoBirmanie, en partenariat avec Terre des Hommes France (TDH), la Fédération Internationale Terre des Hommes (FITDH), et Foundation for Education and Development (FED) participe à un projet visant à réduire la vulnérabilité des migrants entre la Thaïlande et la Birmanie. Cet article d’InfoBirmanie est le troisième d’une série mensuelle : retrouvez tous les mois une publication thématique pour rendre compte de la situation pressante des migrants birmans en Thaïlande et du contexte de cette migration.

04/07/2019

Flux migratoires Birmanie-Thaïlande, flux monétaires Thaïlande-Birmanie 

En 2018, 26% de la population birmane vivait sous le seuil de pauvreté. Pas étonnant donc, qu’elle soit attirée par l’importante demande de main-d’oeuvre de la Thaïlande toute proche. D’après le Ministère birman du Travail, de l’Immigration et de la Population, l’ampleur du phénomène est telle qu’il y aurait au moins 3 millions de travailleurs migrants birmans en Thaïlande, fuyant non seulement le manque d’opportunités, mais aussi les conflits, les persécutions et les injustices.

Cette population migrante joue un rôle important dans l’économie birmane. En 2017, 3.5 milliards de dollars (USD) ont été renvoyés officiellement au pays, représentant 5.4% de son PIB. Le Ministère birman du Travail, de l’Immigration et de la Population estime à près de 8 milliards de dollars (USD) la part d’envois informels.

Les travailleurs migrants birmans sont ceux qui expédient le plus d’argent depuis la Thaïlande à leurs familles: en 2015, 92.4% de tous les envois d’argent de Thaïlande étaient destinés à la Birmanie. Le pays étant ancré dans un partage traditionnel et genré des tâches, ce sont les femmes qui le plus souvent reçoivent l’argent, car les dépenses concernent très largement le foyer familial. Ces femmes et leurs familles vivent la plupart du temps en milieu rural, comme 70% de la population birmane, et ce sont d’abord leurs enfants, puis leurs frères et soeurs, leurs beaux-enfants ou leurs époux qui leur envoient.

Le parcours type du baht Thaï vers la Birmanie

Pour garantir cette source de revenus à leurs proches, les travailleurs birmans en Thaïlande ne gardent que ce dont ils ont besoin pour couvrir leurs dépenses, et font passer le reste en Birmanie. En moyenne, les femmes migrantes envoient plus d’argent à leurs familles que les hommes, même si elles touchent des salaires moins élevés, sacrifiant davantage leurs conditions de vie.

80% des travailleurs migrants birmans utilisent des voies informelles qui passent par les hundi, contre seulement 20% qui privilègient les voix formelles. Pour ce faire, l’expéditeur en Thaïlande prend contact et livre la somme d’argent à un agent, qui l’apporte ensuite physiquement à la frontière pour la transférer à un autre agent en Birmanie. Ce dernier porte l’argent en mains propres à la famille, ou le livre à une agence ou à une banque locale pour que le destinataire puisse le retirer. Il existe aussi des transferts bancaires transfrontaliers entre les agents, mais c’est moins commun car il existe peu de partenariats bancaires entre la Birmanie et la Thaïlande. Ce moyen est aussi plus cher et plus surveillé par les banques qui cherchent à prévenir la fraude et le financement du terrorisme, donc toutes les parties concernées préfèrent les “livraisons à domicile” .

Cette prédilection pour l’informalité découle de plusieurs facteurs. Tout d’abord, la tradition et les relations: le système des hundi fonctionne depuis longtemps par la confiance et les cercles de connaissances et d’ethnies. Au fil des années, des stratégies pour assurer la sécurité des transferts ont été élaborées, telle que l’utilisation de codes secrets pour s’assurer de la véracité des personnes impliquées. C’est aussi un moyen avéré pour sa rapidité (le processus dure normalement moins de 24h) et ses frais d’envoi et de réception bien plus abordables que le secteur formel.

Deuxièmement, c’est un moyen beaucoup plus pratique tant pour les expéditeurs que les destinataires. En Thaïlande, très peu de migrants birmans ont des comptes en banque car la majorité se trouve en situation irrégulière et n’a pas les documents requis pour entamer ces démarches administratives. Du côté de la Birmanie, plus d’un tiers de la population est exclue de tout service financier formel ou informel, notamment en milieu rural, et le temps et l’effort requis pour y accéder découragent. De plus, la population birmane a très peu confiance en ses institutions financières et ses banques, après avoir traversé trois faillites. Les paiements se font donc en espèces, ce qui n’incite ni à l’investissement ni à l’épargne, mais plutôt à des dépenses immédiates. Les fonds reçus servent essentiellement à la survie de la famille, utilisés pour les produits de première nécessité, puis pour l’éducation, le logement, la santé, les dépenses pour les occasions spéciales comme les mariages, et enfin la participation à la société de consommation.

Une volonté de régulariser les flux pour le développement birman 

Ce type d’envoi d’argent est considéré dans les cercles du développement international comme un moyen de stimuler l’économie et de lutter contre la pauvreté, lorsqu’il est effectué de manière formelle. Les institutions financières birmanes bénéficieraient d’une régularisation des flux monétaires entre les deux pays, ce qui dynamiserait leur utilisation par la population. C’est pourquoi elles effectuent des partenariats avec des entreprises internationales spécialisées comme Western Union, qui a choisi de s’allier avec la banque de Myawaddy.

Cette dernière est cependant une filiale d’un grand groupe dirigé par les militaires birmans, la Union of Myanmar Economic Holdings Ltd (UMEHL). Ses profits, et par association ceux de Western Union, bénéficient donc aux militaires, accusés de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de génocide. Si des birmans dans 74 pays ont utilisé Western Union pour envoyer de l’argent chez eux, la dépendance du couloir Thaïlande-Birmanie sur le système hundi laisse penser qu’il ne contribue sans doute pas, ou peu, à l’enrichissement des membres de l’armée.

L’avenir des transferts Thaïlande-Birmanie 

Depuis peu, des initiatives pour digitaliser les transferts d’argent des travailleurs birmans en Thaïlande à leurs familles voient le jour. En mars 2019, Krunghtai Bank, Everex Holdings et Shwe Rural and Urban Development Bank ont signé une lettre d’intention, visant à introduire le premier service de transferts transfrontaliers par blockchain (monnaie numérique). Ce service permettrait aux clients de faire des transactions via leur smartphone, n’importe où et n’importe quand, tout en gardant un oeil sur leurs dépenses. En parallèle, un partenariat entre l’opérateur Telenor et Yoma Bank a créé Wave Money, très largement répandu en Birmanie pour les transferts nationaux: 1.3 milliards de dollars (USD) se sont déplacés à l’aide de ce réseau de transfert digital. Ce système a été développé par téléphone ou via des agences localisées à travers le pays dans lesquelles les clients peuvent se rendre pour effectuer leurs transactions. Au vu de la densité des flux du couloir Thaïlande-Birmanie, ils réfléchissent très sérieusement à s’y installer.

Simples et efficaces, ces initiatives pourraient en théorie révolutionner la manière dont les travailleurs migrants birmans en Thaïlande renvoient une partie de leurs salaires à leurs familles. Malheureusement, elles ignorent quelques données non négligeables… 60% des personnes qui reçoivent ces fonds sont des femmes, mais les femmes ont 29% de moins de chances de posséder un téléphone portable, ce qui entrave leur accès aux applications de services financiers. De plus, ces initiatives ne sont autorisées que si elles sont faites en partenariat avec une banque birmane, mais l’inclusion financière est particulièrement basse en milieu rural, première destination des transferts. Enfin, les usagers des smartphones et d’internet en Birmanie ignorent largement l’existence de services en ligne autre que  Facebook, y compris de produits digitaux financiers. C’est cette méconnaissance globale qui a d’ailleurs contribué de manière significative à la désinformation et au développement de la haine propagée contre les Rohingya sur les réseaux sociaux, et qui souligne la nécessité de maîtriser le numérique.

Si la Birmanie souhaite incorporer ces flux à son développement économique, de manière éthique et responsable, il faut qu’elle établisse une conception basée sur les besoins de sa population et choisisse des partenaires conscients des droits humains. Prendre en compte la réalité et la démographie des personnes qu’elle cherche à atteindre est indispensable pour leur proposer un service économique et social à l’impact positif et durable.

Clara Sherratt

Coupure internet en zone de guerre : motion d’urgence du parlement arakanais

Coupure internet en zone de guerre : motion d’urgence du parlement arakanais

CP 26 juin 2019Une zone de guerre, à l’accès déjà très restreint, se trouve coupée du monde depuis le 20 juin par décision du Ministère birman des transports et des communications.

En application de la loi de 2013 sur les télécommunications, ce Ministère a demandé aux opérateurs de téléphonie mobile de couper internet au niveau de huit townships dans l’état d’Arakan et d’un township dans l’état Chin.

Le Parlement de l’état d’Arakan a soumis une motion d’urgence au gouvernement central, par laquelle il demande la restauration des services internet. L’inquiétude des auteurs de la motion d’urgence, qui doit être examinée aujourd’hui, sera-t-elle entendue ?

Dans son édition du 24 juin, Radio Free Asia (RFA) relate les propos d’un des parlementaires à l’initiative de la motion, qui redoute que cette coupure d’internet entraîne encore plus de violences et de violations des droits humains : « nous sommes très inquiets et terrifiés de voir le gouvernement ordonner une coupure d’accès à l’information au lieu d’améliorer l’accès à celle-ci en temps de conflit ».

Dans un communiqué du 24 juin, 21 organisations de la société civile birmane demandent la levée de cette interdiction et en appellent à réformer la loi sur les télécommunications pour la mettre en conformité avec les standards internationaux.

Le Ministère des transports et des télécommunications a invoqué des « perturbations de la paix » et « l’utilisation de services mobiles à des fins d’activités illégales » pour justifier sa décision. Mais l’ONU rapporte plutôt, « selon des informations crédibles », que « le 19 juin, la Tatmadaw (l’armée birmane) aurait mené des attaques par hélicoptère dans le canton de Minbya, dans le centre de l’état d’Arakan. Le lendemain, l’armée de l’Arakan (AA) a tiré sur un navire à Sittwe, tuant et blessant plusieurs soldats.»

Depuis lors, RFA rapporte que de violents combats ont éclaté le dimanche 23 entre l’armée et l’Armée de l’Arakan (AA) au niveau des townships de Mrauk-U et de Kyauktaw, entraînant la fuite de centaines de civils, et des pertes dans les rangs des militaires et de l’AA, contestées par les protagonistes. Des civils, sans aucun lien avec le conflit, auraient par ailleurs été arrêtés par l’armée, dans la continuité de pratiques récentes et passées.

Amnesty International a très récemment publié un rapport documentant les crimes de guerre et abus commis par l’armée birmane depuis janvier 2019 dans l’état d’Arakan. Les populations civiles y sont de nouveau exposées à la violence des militaires, en toute impunité.

« On me dit que la Tatmadaw est en train de mener une « opération de déminage », qui, nous le savons tous maintenant, peut servir de couverture pour les auteurs de violations flagrantes des droits humains contre la population civile » s’inquiète la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la Birmanie, Mme Yanghee Lee, avant d’ajouter : « Nous ne devons pas oublier que ce sont les mêmes forces de sécurité qui ont jusqu’ici nié toute responsabilité pour les atrocités commises contre les Rohingya… il y a moins de deux ans ».

Alors que la région est déjà soumise à d’importantes restrictions d’accès humanitaire et que le travail des journalistes y est quasiment impossible, la mesure décidée par le Ministère des transports et des communications est très alarmante.

Comme le souligne Reporters Sans Frontières, ce sont plus d’un million de personnes qui se trouvent privées d’internet dans une région en proie à une escalade des combats depuis novembre 2018, et l’on peut voir dans cette « violation choquante de la liberté d’informer » « un nouveau signe de l’impasse dans laquelle se trouve la transition démocratique en Birmanie». 

Contact : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

Contacts presse du communiqué de 21 organisations de la société civile birmane : 

Daw Wai Phyo Myint – Myanmar Center for Responsible Business (MCRB)
09 795 333 831
Daw Yin Yadanar Thein – Free Expression Myanmar (FEM)
09 791 689 646
Daw Yatanar – ‘Myan’ ICT for Development Organization (MIDO)
09 450 025 616