Exécutions extra-judiciaires dans l’Arakan : plaidoyer de la société civile birmane pour une Commission nationale des droits de l’Homme effective

Exécutions extra-judiciaires dans l’Arakan : plaidoyer de la société civile birmane pour une Commission nationale des droits de l’Homme effective

Le 16 mai 2019

Dans un communiqué du 14 mai, 24 organisations de la société civile (OSC) interpellent la Myanmar National Human Rights Commission (MNHRC) sur ses prises de position récentes. En dépit d’informations faisant état d’exécutions extra-judiciaires imputées à des militaires, la MNHRC s’est en effet bornée à reprendre à son compte la version de « légitime défense » avancée par l’armée.

Alors que les opérations de l’armée birmane (Tatmadaw) dans le nord de l’état d’Arakan continuent de se traduire par des violations des droits humains, ces OSC insistent sur la nécessité pour l’institution nationale des droits de l’Homme birmane, la MNHRC, de jouer son rôle et de mener une enquête indépendante. « Au mieux la MNHRC dissimule les crimes de l’armée, au pire elle s’en fait complice » déplorent ces organisations. Elles demandent donc à la MNHRC de conduire une enquête indépendante et transparente sur le mort de villageois dans le nord de l’état d’Arakan et d’agir pour que les parties concernées, en particulier l’armée, rendent des comptes.

Ces 24 OSC viennent d’ailleurs de constituer un groupe de travail qui plaide pour la réforme de la Myanmar National Human Rights Commission (MNHRC). Leur ambition ? Qu’elle devienne une institution effective, indépendante et transparente qui promeut et protège les droits humains conformément aux Principes de Paris adoptés en 1993 par l’Assemblée générale de l’ONU[1].

Civils arbitrairement détenus, villageois victimes d’exécutions extra-judiciaires… Ces dernières semaines, des cas de violations des droits humains imputés à l’armée birmane dans le nord de l’état d’Arakan ont fait l’objet d’une certaine couverture médiatique. Hélas, les méthodes de la Tatmadaw en zone de conflit restent inchangées, alors qu’aucune institution, nationale ou internationale, ne semble en mesure de mettre un terme au cycle infernal de l’impunité.

Le 30 avril dernier, environ 250 hommes âgés de 15 à 50 ans ont été arrêtés par l’armée dans le village de Kyauk Tan, au niveau du township de Rathaedaung, sur la base de leurs liens supposés avec l’Armée d’Arakan (AA). Ils ont été placés à l’arrêt dans une école pour y être interrogés. Le 2 mai, six d’entre eux ont été abattus par des militaires en pleine nuit, dans des circonstances qui font l’objet de récits divergents. Dans son communiqué du 6 mai, Human Rights Watch (HRW) rapporte que si l’armée a invoqué la « légitime défense », des témoins oculaires blessés par les tirs ont indiqué que les militaires avaient ouvert le feu après que l’un des villageois ait crié et tenté de s’enfuir.

Le Secrétaire Général de l’Arakan National Party (ANP) souligne que la ligne de défense de l’armée est peu vraisemblable en raison de l’extrême surveillance et des conditions de détention dont ces villageois faisaient l’objet. Il a adressé une lettre au gouvernement, à l’armée et à la MNHRC, demandant qu’une réponse effective soit apportée suite à ces exactions et que la protection des civils soit assurée.

Des médias locaux ont rapporté que des centaines de militaires ont été dépêchés sur place après les tirs, bloquant l’accès au site, notamment aux organisations souhaitant fournir une assistance médicale aux blessés. Ce n’est que dans un deuxième temps que les blessés (au moins huit) ont pu être évacués.

Dans un communiqué du 10 mai, le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme (HCDH) de l’ONU se dit « profondément préoccupé par ces exécutions extrajudiciaires, ces détentions arbitraires et au secret, ces mauvais traitements et par l’utilisation prolongée d’une école à des fins militaires ». « Et par ce qui semble être une punition d’un groupe important de villageois pour des actes de violence perpétrés par un groupe armé ». Le HCDH souligne que « jusqu’à 50 personnes sont toujours en détention au secret sans avoir accès à un avocat, à un médecin ou à toute autre forme de protection ».

Le HCDH rappelle aussi que « l’incident » de l’école du village de Kyauk Tan n’est pas « un cas isolé ». « Le 22 avril dernier, trois hommes de l’ethnie rakhine, qui figuraient parmi 27 personnes arrêtées au niveau de Mrauk-U, également à la suite de l’attaque perpétrée par l’armée Arakan le 9 avril, ont été abattus en détention. Les autorités ont réfuté les allégations selon lesquelles ils auraient été abattus, mais les corps ont été incinérés peu de temps après leur mort et avant que leurs familles ne soient informées. »

L’annonce de la mise en place par l’armée d’un comité d’officiers chargé de mener l’enquête suscite le scepticisme. Les exemples passés montrent que les investigations de la Tatmadaw ne servent qu’à blanchir leurs crimes.

Dans ces conditions, l’ONU plaide pour une enquête crédible, impartiale et indépendante sur les « incidents » rapportés, alors que d’autres exactions sont susceptibles d’avoir lieu sans qu’on en soit informé. L’accès au nord de l’état d’Arakan demeure en effet restreint depuis les opérations militaires menées contre les Rohingya en octobre 2016, puis à compter d’août 2017. Celles-ci n’ont d’ailleurs pas pris fin et des Rohingya continuent d’être pris pour cible.

« Tout en plaidant pour un accès humanitaire à toutes les zones de conflit, y compris dans le nord de l’État de Rakhine, le HCDH rappelle que la poursuite des violations des droits de l’Homme, des punitions collectives et de l’impunité ne fera qu’alimenter le conflit entre la Tatmadaw et l’armée d’Arakan. « La paix est fondée sur la justice et sans elle, aucun progrès ne peut être réalisé.»

Au-delà de la mobilisation en réaction à ces récentes exactions, le plaidoyer mené par la société civile birmane pour la mise en place d’une institution nationale des droits de l’Homme effective et indépendante en Birmanie se doit d’être relayé.

Contact : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

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Communiqué du 14 mai 2019 de 24 organisations de la société civile birmane : « la MNHRC doit se positionner sur les exécutions extra-judiciaires de villageois Rakhine »

Contacts presse :  

Moe Thway, Generation Wave : moethway@gmail.com (0095) 09979238220

Thet Thet Aung, Future Light Center Thet2aung2012@gmail.com (0095) 09794932344

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[1] La MNHRC a été accréditée « B » par l’Alliance Globale des Institutions Nationales de Droits de l’Homme (GANHRI) en 2015, soulignant son application seulement partielle des Principes de Paris. Le sous-comité d’accréditation s’inquiétait alors du degré d’indépendance de la Commission vis-à-vis du gouvernement, de la faible diversité de ses membres, ainsi que de sa volonté et de sa capacité limitée pour opérer dans un contexte de conflit armé et de régime autoritaire. En 2020, la MNHRC sera de nouveau évaluée.

 

Amnistie de Wa Lone et Kyaw Soe Oo : ce que dit la France

Amnistie de Wa Lone et Kyaw Soe Oo : ce que dit la France

CP 9 mai 2019 – Wa Lone et Kyaw Soe Oo ont finalement bénéficié d’une grâce présidentielle après avoir passé plus de 500 jours en détention et vu tous leurs recours juridiques rejetés. Une mobilisation mondiale d’envergure a soutenu sans relâche ces deux journalistes birmans, qui retrouvent donc à présent le chemin de la liberté.

Comme le souligne Reporters Sans Frontières (RSF), «la libération des deux journalistes ne doit pas faire oublier que les journalistes d’investigation birmans devront désormais travailler avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête » et la grâce présidentielle « comporte une large part d’ambiguïté : le pouvoir civil fait in fine montre de sa clémence, mais la condamnation des journalistes sur le fond n’en reste pas moins confirmée, créant une dangereuse jurisprudence et permettant ainsi aux milieux militaires et nationalistes de préserver la face.»  

Au lendemain de cette libération, deux experts des droits de l’Homme des Nations Unies sont venus rappeler qu’ils demeurent « extrêmement préoccupés » par l’état de la liberté de la presse et de la démocratie en Birmanie et que le pays a beaucoup à faire pour garantir un « minimum d’espace démocratique », en particulier dans la perspective des prochaines élections générales de 2020.

Alors que quelques prisonniers politiques ont bénéficié de la « mansuétude » de l’Etat birman, des dizaines demeurent derrière les barreaux, tandis que des journalistes, activistes ou simples citoyens continuent d’être visés par des poursuites judiciaires pour avoir évoqué des sujets « interdits ».

A la veille de la Journée mondiale pour la liberté de la presse célébrée le 3 mai, 190 organisations de la société civile birmane demandaient à leur pays de garantir la liberté d’expression et de la presse, de libérer tous les prisonniers politiques, parmi lesquels Wa Lone et Kyaw Soe Oo, et de réformer les lois répressives utilisées pour faire taire les critiques.

Après avoir salué la libération des deux journalistes de Reuters, la France s’est bornée à réaffirmer « son soutien à la transition démocratique en Birmanie et aux efforts du gouvernement civil en vue de faire progresser l’État de droit et le respect des droits de l’Homme.»

Dans le contexte répressif que nous connaissons, nous pensons que la France doit, à l’instar d’autres chancelleries occidentales, se faire l’écho de ces préoccupations : s’inquiéter de la situation des autres prisonniers politiques, de l’utilisation de lois répressives et de l’impunité persistante dont bénéficient les auteurs des violations des droits humains que Wa Lone et Kyaw Soe Oo ont justement contribué à documenter.

Contact Presse : Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

Vulnérables et exploités: la situation des migrants birmans travaillant dans l’industrie de la pêche en Thaïlande

Vulnérables et exploités: la situation des migrants birmans travaillant dans l’industrie de la pêche en Thaïlande

InfoBirmanie, en partenariat avec Terre des Hommes France (TDH), la Fédération Internationale Terre des Hommes (FITDH), et Foundation for Education and Development (FED) participe à un projet visant à réduire la vulnérabilité des migrants entre la Thaïlande et la Birmanie. Cet article d’InfoBirmanie est le premier d’une série mensuelle : retrouvez tous les mois une publication thématique pour rendre compte de la situation pressante des migrants birmans en Thaïlande et du contexte de cette migration. 

24 avril 2019

Entre 1987 et 1996, la Thaïlande a connu un essor économique sans précédent, concentrant d’abondants flux migratoires provenant des pays voisins pour répondre à la demande accrue de main d’oeuvre. Le rapport 2019 sur l’immigration en Thaïlande publié par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) montre que le phénomène s’accentue: le nombre de résidents étrangers en Thaïlande est passé de 3.7 millions en 2014 à 4.9 millions en 2018, dont 3 millions venant de la Birmanie selon le Ministère du Travail, de l’Immigration et de la Population birman. D’après le Ministère du Travail thaïlandais, environ 150 000 d’entre eux travaillent dans l’industrie lucrative de la pêche. En 2017, ce secteur d’exportations représentait 5,9 milliards de dollars USD. Mais il peine à trouver une main d’oeuvre consentant à assurer sa productivité.

Des conditions de travail qui choquent à l’international

Au cours des cinq dernières années, cette industrie a en effet été fortement critiquée par les médias. Elle a été accusée de violations de droits humains susceptibles d’entraîner des sanctions de la part de ses plus gros clients. Ainsi, en  2014, les Etats Unis ont déclassé la Thaïlande dans leur répertoire de pays à surveiller quant au trafic d’êtres humains. Un an plus tard, en 2015, la Commission Européenne a infligé un « carton jaune » à la Thaïlande, l’avertissant sur sa pratique de pêche illicite, non-déclarée et non-réglementée. Ces deux acteurs avaient alors estimé que les conditions de travail déplorables et les nombreux abus rapportés à bord des bateaux de pêche thaïlandais ou dans les centres de triage et de transformation de fruits de mer remettaient en cause les échanges et accords entre leurs pays.

Les conditions de travail très choquantes dans les chaînes de travail de l’industrie de la pêche  ne sont pas surprenantes compte tenu de la vulnérabilité des travailleurs migrants exploités. Arrivant souvent en Thaïlande par le biais d’intermédiaires travaillant avec les capitaines de bateaux ou les directeurs de centres de triage, les migrants sont contraints de travailler dans cette industrie. Leurs dettes envers les passeurs les forcent à accepter des conditions de travail inhumaines, proches de l’esclavage moderne. Ils touchent bien moins que le salaire minimum légal, lorsqu’ils sont payés, et leur rémunération leur est parfois confisquée durant des mois afin de les empêcher de partir. Lorsqu’ils possèdent des passeports et justificatifs administratifs, ceux-ci leurs sont retirés, les rendant à la merci des passeurs, de leurs employeurs et de la police locale qui profitent de leur situation d’irrégularité afin d’en soutirer de l’argent.

Dans cette industrie, les travailleurs migrants n’ont pas accès aux services publics basiques de santé. Ils doivent aussi payer leur matériel de protection alors qu’ils travaillent dans des conditions dangereuses et subissent des journées de 10 heures minimum. Bien évidemment, ils ne sont pas rémunérés pour leurs fréquentes heures de travail supplémentaires et ne peuvent pas se plaindre. En effet, ils ne sont informés de leurs droits ni oralement, ni dans les contrats qu’ils signent parfois sans même les comprendre. Par ailleurs, les travailleurs migrants n’ont pas confiance dans les mécanismes de plaintes et ont peur d’être victimes de représailles, tel que le signalement de leur situation irrégulière aux autorités.

L’innocence des enfants en proie à l’exploitation

Alors que le travail des enfants de moins de 15 ans est interdit en Thaïlande, de nombreux rapports en décèlent l’existence dans les centres de gestion des pêches. Dès l’âge de 11 ans, ces enfants endurent les mêmes conditions de travail que les adultes. Malgré leur vulnérabilité redoublée par l’intersection entre leur jeune âge et leur statut de migrant, ces enfants ne connaissent pas d’aménagements. Afin de contourner les lois du travail, les enfants sont embauchés sans contrats, et nombreux sont ceux qui mentent sur leur âge afin de pouvoir soutenir leurs familles, ce qui rend leur protection d’autant plus difficile. D’après une étude en 2015 de l’Action pour la Coopération Contre la Traite d’Êtres Humains des Nations Unies (UN-ACT), 92% des travailleurs migrants enfants interrogés, dont une majeur partie de Birmans, déclaraient ne suivre aucune forme d’éducation et avoir très peu de temps libre.

Les chalutiers, de véritables prisons sur l’eau

Au-delà des violations des normes internationales de travail et des lois du travail thaïlandaises, les abus les plus sévères ont lieu à bord des chalutiers. Des récits extrêmement choquants ont été relayés, dénonçant les conditions générales de travail décrites ci-dessus, ainsi que le trafic d’êtres humains facilité par les passeurs qui envoient ces hommes sur des bateaux de pêche où ils passent des mois, voire des années, piégés à bord. Cette situation est rendue possible par la pratique du transbordement réalisée environ tous les 3 mois. Elle permet aux bateaux de rester en mer indéfiniment en se faisant ravitailler par d’autres bateaux et en faisant passer leurs marchandises sur des «bateaux-mères» qui rentrent au port. Au large des côtes et loin du regard des autorités, cela facilite le contournement des régulations et des opérations de contrôle. Evidemment, les chalutiers ont parfois besoin de rentrer au port pour des réparations, et il n’est pas rare que les travailleurs migrants eux-mêmes subissent un transbordement. Ils sont vendus d’un capitaine à un autre afin de les garder en mer et au travail. Ils n’en sortent quasiment jamais.

Dans d’autres cas, les travailleurs ramenés au port sont enfermés à l’arrivée, pour les empêcher de s’échapper. En 2013, 14 victimes birmanes âgées entre 16 et 46 ans ont été retrouvées par la police locale dans une zone de triage. Ces hommes venaient de passer 6 mois en mer à bord de 3 navires différents et étaient alors emprisonnés par les intermédiaires.

Journées de travail interminables, rémunération lamentable, blocage indéfini en mer,  carences et malnutrition, manque d’hygiène et d’intimité… Le temps passé à bord par les pêcheurs est insupportable, tant les conditions sont extrêmes. Les violences physiques et psychologiques sont un lieu commun. De nombreux pêcheurs relatent avoir été battus à coups de poings et pieds, mais aussi avec des pierres à affûter, des barres de fer, des queues de raie et des bouts de bois. Les membres de l’équipage procèdent aussi à des techniques d’humiliation culturelle, en posant par exemple leurs pieds sur les têtes des pêcheurs, une insulte très grave dans les traditions bouddhistes d’Asie du Sud Est. D’après un rapport du Projet Inter-Agence des Nations Unis sur la Traite d’Êtres Humains (UNIAP), 59% des migrants travaillant à bord des bateaux de pêche thaïlandais interrogés disaient avoir assisté au meurtre d’un pair. Pour supporter cela, beaucoup sombrent dans l’alcool et les drogues. Cela les expose à de nouveaux périls, dans un contexte de vie et de travail propice aux accidents : une mer imprévisible et parfois agitée, des ponts glissants et l’utilisation de machines dangereuses.

Depuis 2014, la Labour Rights Promotion Network Foundation (LPN) se dédie au sauvetage d’hommes retenus à bord de bateaux ou réfugiés sur des îles indonésiennes. D’après leurs chiffres de 2017, ces remarquables activistes ont rapatrié 2968 pêcheurs chez eux, dont 1000 birmans, surprenant leurs proches qui les croyaient morts ou disparus depuis longtemps. Une fois rentrés, la LPN les aide à se réintegrer, à accéder à la justice et à leur rémunération. Une tâche qui s’avère difficile, mais que la fondation entreprend avec persévérance et détermination.

De vaines tentatives de protection de la part des gouvernements thaïlandais et birman

Face à la médiatisation de ces atrocités, la communauté internationale a pris position. Le gouvernement thaïlandais a rapidement réagi, tentant de mettre en place des dispositifs de surveillance, de contrôle et de gestion, afin de mieux réguler l’industrie de la pêche. Cependant, ces mesures ont eu peu d’impact et ont dans certains cas empiré la situation. En effet, pour remédier à ces problèmes, le pays a procédé à la régularisation en masse des travailleurs immigrés avec la « pink card », ou permis de travail, dont 114 558 dans l’industrie de la pêche. Malheureusement, cette carte a rendu les travailleurs encore plus dépendants de leurs employeurs, en reliant leur statut légal à leur travail. Pour changer d’emploi, ils doivent demander la permission à leur employeur, ce qui accroît les risques d’abus de position. De plus, la focalisation du gouvernement sur la problématique de la migration se traduit par des vérifications inefficaces sur les lieux de travail, dans les ports et à bord des navires. En effet, les fonctionnaires se contentent de vérifier la cohérence entre les papiers des travailleurs et les déclarations des employeurs, au lieu de procéder à un contrôle des conditions de travail. Lorsque les autorités se décident à interroger les travailleurs, souvent sans interprète, ils ne se sentent pas en confiance pour donner leur avis, d’autant que ces entretiens se font très souvent à portée de voix de leurs employeurs. Une compréhension très étroite de ce qui constitue le travail forcé (qui ne fait d’ailleurs pas l’objet de loi spécifique en Thaïlande) et une incapacité à former les fonctionnaires pour mieux le combattre limitent donc l’impact de ces politiques.

Depuis ces premières vagues de réformes, le même rapport 2019 de l’OIM note une très légère amélioration des conditions de travail dans l’industrie de la pêche. Par exemple, les travailleurs interrogés ayant signé un contrat ont augmenté de 6% en 2013 à 43% en 2018, bien que seulement 14% d’entre eux y aient accès. Un déclin notable de la violence physique rapportée à bord des bateaux, de 10% en 2013 à 2% en 2018, et une augmentation générale des salaires, constituent aussi des avancées rassurantes pour les pays concernés tels que le Cambodge. Alors que ce pays refusait jusqu’alors de déployer ses ressortissants vers cette industrie, de récents protocoles d’accord avec la Thaïlande prévoient maintenant d’y envoyer des travailleurs. Le gouvernement Birman lui, a signé un tel accord avec la Thaïlande dès 2016, où il s’engageait à envoyer 42 000 travailleurs sur des chalutiers, leur promettant un salaire de 12 000 Baht par mois (bien supérieur au minimum légal), ainsi que des visas de deux ans et l’accès à la sécurité sociale. Afin de faciliter cette forme de migration régulière, la Birmanie a ouvert des « One Stop Service Centres » ainsi que des bureaux pour recueillir les plaintes. La Fondation pour l’Education et le Développement (FED) salue ces accords inter-gouvernementaux, qui insistent sur la protection des droits des pêcheurs. Cependant, elle met en garde contre l’envoi de travailleurs inexpérimentés, qui pourraient se trouver dans de situations dangereuses à bord. Malgré sa mise en oeuvre, le Bureau du Travail Birman a déclaré le 2 avril avoir envoyé seulement 90 travailleurs sous ces accords. Souhaitable en théorie, ce chiffre montre que c’est une procédure en réalité très longue, coûteuse et bureaucratique. Ainsi, en 2017, 91% des migrants birmans interrogés par l’OIM en Thaïlande avaient préféré utiliser les voies migratoires irrégulières, ce qui souligne les limites d’un tel programme.

Malgré la mise en place de dispositifs visant à protéger les travailleurs, cette filière reste globalement dangereuse et très difficile à réguler. On peut donc se demander pourquoi la Birmanie s’engage dans ces accords à envoyer sa population travailler dans un environnement effroyable, où les normes de travail et les droits humains sont continuellement violés.

Clara Sherratt

Le réalisateur Min Htin Ko Ko Gyi en prison pour avoir critiqué le poids de l’armée

Le réalisateur Min Htin Ko Ko Gyi en prison pour avoir critiqué le poids de l’armée

CP 15 avril 2019 – Le nom de Min Htin Ko Ko Gyi vient s’ajouter à la longue liste des personnes visées par des poursuites et/ou placées en détention pour avoir exprimé une opinion critique vis-à-vis du pouvoir en Birmanie.

Réalisateur de films, poète et fondateur du « Human Rights, Human Dignity International Film Festival » dans son pays, il a récemment publié des commentaires critiques sur Facebook, relatifs au poids politique de l’armée garanti par la Constitution de 2008.

Ces commentaires lui valent d’être poursuivi par le lieutenant-colonel Lin Tun, issu du commandement de la région de Rangoun, pour insulte et diffamation via les réseaux sociaux en application de la section 66(d) de la Loi sur les télécommunications, mais aussi sous l’article 505(a) du Code pénal, qui criminalise notamment les propos émis dans le but de « faire échec à l’action de l’armée ». Il risque jusqu’à deux ans de prison.

Radio Free Asia, dans son édition du 12 avril, rapporte les propos de Myint Kyaw, co-secrétaire du Conseil de la Presse de Birmanie, pour qui Min Htin Ko Ko Gyi est un critique connu des militaires et devait à ce titre être dans le collimateur de l’armée. Il estime que le plaignant pourrait avoir joué un rôle dans la décision refusant sa libération sous caution.

Min Htin Ko Ko Gyi souffre en effet d’importants problèmes de santé. Son avocat, tout en soulignant que la libération sous caution n’est pas prévue dans le cadre de poursuites sous l’article 505(a) du Code pénal, s’inquiète que le juge, qui avait le pouvoir de tenir compte de son état de santé, ne l’ait pas fait. Le vendredi 12 avril, sa demande de libération sous caution a été refusée et Min Htin Ko Ko Gyi, récemment opéré d’un cancer, a été transféré à la prison d’Insein.

La prochaine audience dans cette affaire doit avoir lieu le 25 avril.

En attendant, les lois répressives utilisées pour réprimer les voix critiques dans le but de les faire taire n’ont toujours pas été réformées. Ces poursuites donnent aussi le ton quant à la portée prévisible du chantier de réforme de la Constitution, récemment ouvert par la LND dans la perspective des échéances électorales de 2020. Il ne saurait être question de porter atteinte au pouvoir des militaires et toute opinion contraire expose à la répression.

Min Htin Ko Ko Gyi, qui paie déjà ses écrits de sa liberté, devra-t-il aussi les payer de sa santé, si ce n’est de sa vie ? Alors qu’est actuellement évoquée l’amnistie annuelle de prisonniers, notamment politiques, dans le cadre des fêtes birmanes de la nouvelle année, les « procès politiques » ne tarissent pas.

Dans son communiqué du 21 mars, le réseau de l’European Burma Network enjoignait notamment à l’Union Européenne de « fixer des conditions en matière d’amélioration de la situation des droits humains, tels que la libération des prisonniers politiques et la réforme des lois répressives, en retour d’un soutien au gouvernement ». Ce changement d’approche reste d’actualité.

Contact Presse : 

Sophie Brondel 07 62 80 61 33 sophie@info-birmanie.org

 

Bangladesh : des Rohingya bientôt transférés dans le golfe du Bengale avec l’assistance de l’ONU ?

Bangladesh : des Rohingya bientôt transférés dans le golfe du Bengale avec l’assistance de l’ONU ?

Le 27 mars 2019

Le Bangladesh a récemment annoncé que la relocalisation de Rohingya sur le site contesté de Bhasan Char, un îlot submersible situé à une heure des côtes, allait débuter en avril. Cette fois, les travaux d’aménagement du site sont terminés et l’agence Reuters a eu connaissance d’un document du Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations Unies, relatif aux modalités possibles de son assistance.

Lundi 25 mars, l’ONU a en effet déclaré qu’elle examinait comment assister le Bangladesh dans la mise en œuvre de ce projet, tandis que des officiels de l’ONU mettent l’accent sur la nécessité pour cette relocalisation d’avoir lieu sur une base volontaire et dans le respect des principes humanitaires.

Or, des agences d’aide internationales et la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la Birmanie, Mme Yanghee Lee, ont fait part de leurs vives inquiétudes, notamment au sujet de la possibilité pour le site de Bhasan Char de résister aux cyclones. Des centaines de milliers de personnes ont péri au Bangladesh ces cinquante dernières années, principalement dans les zones côtières. Mme Yanghee Lee, qui s’est rendue à Bhasan Char en janvier, a récemment exprimé sa préoccupation : « Même après ma visite, beaucoup de choses me sont inconnues, notamment la question de savoir si l’île est vraiment habitable ou non ». L’ONU n’a pourtant jamais pris position pour dire que ce projet n’était pas viable et promouvoir des alternatives auprès des autorités bangladaises, confrontées à une situation incontestablement lourde de défis.

Aujourd’hui, des ONG de défense des droits humains telles que Human Rights Watch et Fortify Rights s’alarment de nouveau de la mise en œuvre de ce projet et s’inquiètent face à ce qui ressemble de plus en plus à un aval de l’ONU. Comme le souligne Fortify Rights, cette relocalisation, présentée comme une solution face à la situation très difficile qui prévaut dans les camps au Bangladesh, risque en réalité d’entraîner une nouvelle crise.

Car le site de Bhasan Char, interdit aux médias, est un banc de sable apparu en 2006 dans le golfe du Bengale, régulièrement inondé selon les marées, les pluies de mousson et les cyclones. S’il faut environ une heure en bateau pour rejoindre le site, des tempêtes violentes peuvent rendre le trajet dangereux, si ce n’est impossible. Les autorités bangladaises ont pourtant investi 280 millions de dollars pour transformer les lieux, en construisant notamment une digue de trois mètres de haut et en surélevant les zones les plus basses.

Mais outre les inondations, les Rohingya craignent la séparation d’avec leurs proches, l’isolement, le manque d’accès aux services essentiels et l’impossibilité d’exercer une activité génératrice de revenus. Quelle est la marge de manœuvre de ces personnes vulnérables pour décliner cette relocalisation ? S’il manque de « volontaires », on peut craindre que la coercition devienne de mise, sous différentes formes.

Alors que l’ONU vient de s’engager dans l’évaluation de son action menée en Birmanie, la mise en œuvre de ce projet, décriée par les Rohingya eux-mêmes, s’annonce déjà comme un nouvel échec dans la réponse apportée au drame que vivent ces réfugiés. Comme le rappelle Fortify Rights, « les Nations Unies ont un lourd passif de défaillance vis-à-vis des Rohingya et cela se poursuit. Le projet, vicié à la base, entraînera de nouvelles violations des droits humains ». Les organisations et officiels qui s’élèvent contre ce projet s’accordent pourtant pour dire qu’il y a d’autres solutions au niveau du district de Cox’s Bazar. Mais elles n’ont pas été promues.