Manuel (non) électoral d’une junte aux abois

Manuel (non) électoral d’une junte aux abois

Un sombre pouvoir qui s’enracine dans tous les pans d’une société – éducation, économie, religion.. qu’il cannibalise en quête de contrôle et de pouvoir. C’est ce qu’est la junte birmane, un cartel en uniforme militaire à l’appétit insatiable. Mais aussi violente et impitoyable soit-elle, la junte voit aujourd’hui sa survie menacée après presque cinq ans de résistance.

Ces non-élections sont une bouée de sauvetage lancée à l’international, une campagne de “bloodwashing” que ses alliés, tels que la Russie, la Biélorussie et la Chine ne manqueront pas d’appuyer. C’est aussi un moyen pour le dictateur, Min Aung Hlaing, de resserrer les rangs autour de sa personne, entre deux purges.

Mais ce ne sont pas des élections qui débuteront en Birmanie le 28 décembre 2025

Vous doutez encore ? Voici les ficelles du numéro de marionnettiste en 18 points.

  1. Prendre le contrôle de la commission électorale

Lors du coup d’Etat militaire du 1er février 2021, la junte prétexte une fraude électorale et prend le contrôle de la Commission électorale de l’Union (UEC). Elle prend le contrôle de l’UEC, en charge l’organisation et du contrôle des élections en Birmanie et arrête plus de 150 de ses membres. Si certains seront rapidement libérés, d’autres se verront condamnés à plusieurs années de prison. Dès le lendemain du coup, elle place à la tête de l’UEC Thein Soe, un proche de l’armée,  chargé par le passé d’organiser la mascarade électorale de 2010, ainsi que plusieurs autres fidèles de l’institution militaire. 

  1. Dissoudre les partis politiques d’opposition

En 2023, la junte dissout 41 partis politiques, dont la LND- Ligue Nationale pour la Démocratie d’Aung San Suu Kyi. Ces partis représentaient 70% des votants et 90% des sièges soumis au vote en 2020 ! Ces dissolutions ont été accompagnées de multiples persécutions contre les membres des partis d’opposition. 

Dans le même temps, l’UEC sous contrôle militaire, change les règles d’enregistrement des partis politiques et s’arroge le droit de dissoudre tout parti contre lequel elle trouve des preuves de fraude électorale ou de pratiques illégales. Les décisions de l’UEC de rejeter ou de révoquer l’enregistrement d’un parti ne peuvent faire l’objet d’aucun recours.

  1. Donner  l’illusion du multipartisme…

L’enregistrement d’un parti politique sous la junte répond désormais à de nouvelles règles très strictes et impose une distinction entre les partis dits locaux autorisés à présenter des candidats uniquement dans leurs régions ou État et nationaux. Pour devenir un parti à l’échelle nationale il faut désormais un bureau dans un tiers des 330 township, plus de 50 000 partisans enregistrés et 100 millions de kyats (environ 50 000$) !

Résultat ? 57 partis enregistrés, mais seulement 6 autorisés à concourir au niveau national. Le parti de l’armée, USDP, a donc peu de concurrence, au point qu’il a plus de candidats que les 50 autres partis et certaines conscriptions lui sont d’office acquises faute de candidat concurrent !  “système démocratique multipartite discipliné” selon Min Aung Hlaing (MAL).

  1. … et d’inclusion !?

Vous l’avez compris, ces non-élections ne sont pas inclusives et pourtant ! La junte met en avant un nombre record de femmes candidates qui serait dû à l’imposition du système de représentation proportionnelle qui selon l’UEC “a encouragé davantage de femmes à se lancer dans la politique”. 

La Tatmadaw, composée des fils les plus loyaux et les plus vertueux de la nation, doit continuer à être une armée populaire et une force patriotique, protégeant la nation et ses citoyens contre les dangers et les menaces tout en préservant ses traditions honorables” | extrait d’un discours de campagne de Daw Than Than Nu, présidente du Democratic Party

Quoi de mieux pour une junte militaire que des femmes en civil pour défendre son honneur et se refaire une image. C’est ceux qu’on appelle du Pinkwashing.

  1. Changer le mode de scrutin : s’assurer la victoire

Les précédentes élections s‘étaient tenues sur un scrutin majoritaire à un tour, mais la junte à changé ce système en intégrant une part de siège réservé à une proportionnelle par district. Les petits partis locaux ont de fait beaucoup moins de chance d’obtenir des sièges et laissent un boulevard au parti de l’armée – l’USDP – l’un des seuls partis nationaux autorisé à concourir et disposant des moyens démesurés, aura donc mécaniquement plus de sièges, auxquels s’ajoutent les 25 % déjà garantis par la Constitution de 2008.

  1. Le recensement : un outil de surveillance

Qui dit élection, dit souvent recensement pour établir les listes électorales.

La junte a trouvé une autre utilité à ce recensement très partiel: un outil de contre-insurrection et de surveillance permettant à l’armée ou ses substituts de rentrer dans chaque maison dans les zones sous sa coupe. Son formulaire de recensement comptait 68 questions destinées à traquer les militants d’oppositions, les participants aux mouvement des désobéissances civiles mais aussi les jeunes éligibles à la conscription forcée.

Sur les 330 cantons que compte le pays, moins de la moitié ont été entièrement couverts par le recensement, selon les propres chiffres de la junte !

7. Scrutin national sur un demi territoire ?

Un recensement partiel pour des non-élections nationales ? Cela vous paraît étrange et vous avez raison. 

Moins de la moitié du pays, au sens géographique, votera sur ce scrutin que l’armée prétend pourtant national. Les non-élections ne seront pas organisées dans 56 cantons, tandis que le vote n’aura lieu que dans les zones urbaines de 10 autres cantons et 161 autres circonscriptions et 2 770 villages sont également exclus.

Un situation qui reflète le contrôle réel de la junte sur la pays, et ce malgré ses tentatives de conquêtes militaires des derniers mois appuyées par son allié chinois.

  1. Priver certains du droit de vote…

De nombreux déplacés internes se trouvent dans des zones hors du contrôle de la junte et ne voteront pas. Mais les exclusions au vote ne se font pas uniquement sur des bases territoriales, elles sont aussi ethniques:  les Rohingyas, les Tamouls, les Gurkhas et les Chinois, sont entre autres, exclus du vote. La junte n’a pas communiqué sur le vote ou non des prisonniers, notamment des plus de 22 000 prisonniers politiques documentés.

  1. …pour en forcer d’autres

Alors que la junte interdit le vote a certains, elle en oblige d’autres à voter par la menace et la force. Des étudiants d’université dans l’Etat Shan ont été forcés de voter par anticipation et de montrer une preuve de vote pour pouvoir continuer leurs études. Des déplacés internes dans les régions de Sagaing et Mandalay ont aussi été forcés de voter par anticipation si elles souhaitent garder leurs abris et l’accès à l’aide humanitaire. Les birmans hors du pays, dont beaucoup ont fui, rejettent massivement le scrutin mais se voient forcés de signer des formulaires de vote anticipé lors d’actes administratifs tel que le renouvellement de passeport, dans certaines ambassades.

Nous ne pouvons que redouter que les votes forcés et la violence de la junte continuent de s’intensifier jusqu’à la fin du scrutin.

  1. Utiliser les célébrités pour sa propagande

La junte a régulièrement recours à l’utilisation de célébrités birmanes dans sa propagande, et les non-élections ne font pas exception. De grotesques clips promotionnels et films de propagande ont massivement été diffusés. Un réalisateur, un comédien et un acteur arrêté pour avoir critiqué l’une de ces productions dans laquelle un médecins demandait à des combattants anti-junte de déposer les armes pour participer aux élections ; une actrice n’ayant pas répondu à une demande du “ministère de l’information” pour participer à des activités de “promotion des élections  a été arrêtée et interrogée. En parallèle, la junte a déchu de leur nationalité des artistes et célébrités birmanes exilés s’étant exprimé contre les non-élections.

  1. Détruire tous médias indépendants… 

La Birmanie est la troisième plus grande prison au monde pour les journalistes, derrière la Chine et la Russie, selon Reporters sans frontières. La junte n’a pas attendu la campagne de ses non-élections pour réprimer le journalisme en Birmanie, contrôler l’information dans le pays et couper l’accès aux reste du monde, mais dans le contexte électoral renforce son autoritarisme. 

L’accès à internet ne s’est pas amélioré, Facebook – très utilisé en Birmanie- est toujours inaccessible sans l’utilisation d’un VPN, punis de 3 ans de prison. La campagne électorale intra-Birmanie est donc insipide, sans média indépendant, sans débats, sans interviews journalistiques, avec des candidats d’oppositions faisant les louanges de l’armée sur la TV, la radio et le journal sous contrôle de l’armée.

  1. ..et criminaliser toutes critiques.

Soucieuse de garder une apparence institutionnelle et légale, la junte a étoffé son arsenal législatif répressif d’une nouvelle loi supposée “protéger” les élections. Les peines vont de trois ans de prison à la peine de mort pour toutes infractions entrainant la mort d’une personne. Plus de 60 personnes sont actuellement détenues et plus de 200 sont poursuivies sur la base de cette loi. 

Certains sont poursuivi pour des posts ou des “likes” sur les réseaux sociaux, deux jeunes ont été condamnée à 49 et 42 ans de prison pour avoir collé des posters dénonçant les non-élections et l’association de soutiens aux journalistes indépendants basés en Birmanie (AAMIJ) est poursuivi pour avoir publié sur l’implication d’un candidat dans le trafic de drogue.

  1. Fin de l’état d’urgence, vraiment ?

Suite au coup d’Etat, incapable de “tenir” le pays face à la résistance du peuple birman, la junte a multiplié les extensions de l’état d’urgence – un état d’exception juridique incompatible avec des élections. La junte a donc mis fin à l’état d’urgence le 31 juillet 2025 dans les deux tiers du  pays. 

Mais si l’état d’urgence a officiellement disparu, elle l’a simplement remplacée par l’application de la loi martiale dans de nombreux cantons du pays, qu’elle prolonge tous les 90 jours. Cet autre état juridique d’exception permet notamment au commandant en chef des armées de s’arroger les pouvoirs et responsabilités des municipalités. 

  1. Rebranding : des sanctions ? Pas en mon nom !

Au lendemain du coup, la junte s’est elle-même nommée “SAC-State Administration Council”. Le 31 juillet 2025 elle s’est renommée “SSPC- State Security and Peace Commission” se libérant de nombreuses sanctions internationales, européennes, canadiennes et américaines !

Le même jour, elle signe un contrat avec l’entreprise de lobby et relation public américaine DCI-Group de 3 millions de dollars puis embauche McKeon Group dans l’objectif de “développer les relations diplomatiques” avec le gouvernement américain. L’Europe est aussi une cible de lobby de la junte comme le montre son rendez-vous avec le cabinet de conseil bruxellois AREOPA avec le “ministre” de l’industrie de la junte. 

A l’heure actuelle, si l’ensemble des membres du SSPC sont sous sanction européenne et ainsi que des membres de l’UEC, aucune des deux entités ne l’est en tant que tel ! Qui a dit que le “rebranding” n’était pas efficace !

  1. Des élections, mais pour élire qui ?

Les non-élections doivent aboutir au renouvellement de 75% des deux chambres parlementaires nationales, l’équivalent de notre parlement et de notre sénat -25% des sièges sont réservés à l’armée – ainsi qu’au renouvellement des assemblées régionales ou étatiques. Le/la président.e n’est pas élu au suffrage universel direct, mais par les parlementaires. Le/la président.e nomme ensuite les ministres et le gouvernement, sous réserve d’approbation parlementaire ; les militaires conservant un veto via leurs 25% de sièges garantis. 

En toute logique, les différents partis politiques devraient donc annoncer leur candidat.e au poste présidentiel, permettant aux électeurs de savoir pour qui ils votent. Aucun parti n’a annoncé son ou sa candidate au poste suprême, tous attendent la décision du dictateur, Min Aung Hlaing -MAL,  dont la volonté de concentration des pouvoirs autour de sa personne ne fait aucun doute ; des non-élections aux résultats décidés sans bulletins. 

  1. Voter sur une machine électronique ? 

La junte a décidé de mettre en place un vote via une machine électronique, dans un pays où il est rare d’avoir l’électricité en continue sans générateur c’est plutôt surprenant ! Les raisons avancées sont la modernisation du pays, la facilité à dépouiller les votes et la sécurisation des bulletins qualifiés d’infalsifiable. 

Les machines ne seront pas disposées dans des isoloirs et les électeurs seront accompagnés d’assesseurs leur expliquant le fonctionnement de l’appareil : tant pis pour la confidentialité du vote ! Le vote blanc n’est pas une option, il n’existe pas sur cette machine. Pire, alors que la junte développe la surveillance électronique de masse, à collecter des données biométriques lors du recensement et impose une nouvelle carte d’identité biométrique que les votant devront scanner dans la machine, il est à craindre qu’elle puisse identifier les électeurs n’ayant pas voter pour son parti et les dissidents.

  1. Feuilletonner l’information pour rendre illisible le scrutin et s’offrir des titres de presse

Cela fait des mois que la junte communique sur les élections, pourtant nous ne connaissons toujours pas le calendrier de ces dernières ! Y aura-t-il deux ou trois tours ? On ne sait pas ! 

L’information sur les conditions du scrutin est volontairement rendue complexe et illisible avec de multiples communiqués incomplets. Résultat : il est compliqué de contrer le discours électoral de la junte et elle s’offre régulièrement des dépêches de presse à l’international mentionnant en gros titre “les élections birmanes”, renforçant de fait l’illusion que les non-élections à venir sont des élections et donc démocratiques !

  1. Une date pour avoir l’attention du monde : le 28 décembre !

Cerise sur le gâteau du numéro de marionnettiste de la junte, le premier tour se tiendra le 28 décembre. Alors que vous aurez l’estomac en pleine digestion entre les fêtes de noël et du nouvel an, que nombre de politiques et de fonctionnaires nationaux et  internationaux seront en congés, la junte actionnera son ultime outil de légitimation : les non-élections. 

Elle s’assure ainsi un minimum d’attention et de couverture internationale, laissant un boulevard à son discours, ses manipulations et sa violence extrême. Pour rappel, des gens sont tués et emprisonnés pour ces non-élections depuis des mois et rien n’indique que cela prendra fin lors de l’ouverture du vote du premier tour.


Pour plus d’information vous pouvez notamment consulter le site de  l’ANFREL – Asian Network for Free Electionset la plateforme Sham Elections Trackers