Une réponse basée sur les communautés locales au tremblement de terre, est la seule réponse possible

Une réponse basée sur les communautés locales au tremblement de terre, est la seule réponse possible

Tribune de Khin Ohmar, publié en anglais sur DVB le 28 avril 2025. Traduction en français par Info Birmanie.

Le tremblement de terre dévastateur de Sagaing qui a frappé la Birmanie (Myanmar) le 28 mars a ajouté une nouvelle vague de dévastation dans un pays déjà en crise. Pour de nombreuses personnes dans le monde, ce tremblement de terre apparaît comme la dernière d’une série de catastrophes naturelles. Mais pour le peuple birman, il s’agit d’une nouvelle plaie ouverte pour une nation qui souffre déjà de la violence et de l’oppression d’une junte militaire brutale.

Toute tentative de réponse à cette catastrophe doit commencer par une constatation fondamentale : il ne s’agit pas simplement d’une urgence humanitaire, mais d’une urgence politique. Il ne peut y avoir de reconstruction efficace et éthique si l’on permet aux responsables de la souffrance de contrôler la solution tout en continuant à détruire des vies par des bombardements et des meurtres. 

Pourtant, certaines propositions – comme celle récemment publiée dans le Jakarta Post par William Sabandar – suggèrent de confier à la junte militaire un rôle central dans la reconstruction, à condition qu’elle fasse preuve de « transparence et de responsabilité ». Cette proposition, au-delà d’être naïve, est dangereuse.

L’aide ne doit pas passer par la junte

Depuis 2021, l’armée birmane mène une campagne de terreur contre la population, sous la forme d’une punition collective, pour avoir rejeté catégoriquement sa tentative de coup d’État. 

Elle a bombardé des écoles et des villages, brûlé des maisons, pris pour cible des médecins et bloqué l’accès à l’aide humanitaire utilisée comme une arme de guerre. Aucun contrôle technique ni aucune bonne intention ne peut assainir l’aide fournie par cette junte.

Nous avons déjà vu cela par le passé. Lors du cyclone Nargis en 2008, la junte de l’époque a d’abord bloqué l’aide internationale et manipulé la crise pour consolider son pouvoir, tandis que l’aide apportée à la suite du cyclone Nargis a permis aux familles et aux proches des militaires d’en tirer un profit personnel et d’accumuler des richesses. 

La différence aujourd’hui est que cette junte est une entité criminelle qui lutte contre le gouvernement légitime de Birmanie (Myanmar) et son peuple.

M. Sabandar affirme que la junte doit s’engager dans la reconstruction après post catastrophe et que la « transparence et la responsabilité » peuvent garantir l’efficacité. Mais le mouvement de résistance et la société civile birmane sont mieux informés. 

Une véritable transparence est impossible avec une junte au passé endémique de corruption qui assassine des enfants, viole des femmes, emprisonne des journalistes, bombarde des civils et emprisonne des représentants élus du gouvernement. 

Ce dont le pays a besoin, ce n’est pas d’un engagement avec la junte, mais d’une réorientation de l’aide là où elle est la plus efficace: les organisations communautaires/locales, les prestataires de soins de santé en zone ethniques et les réseaux humanitaires transfrontaliers qui opèrent sous le feu depuis des années et parviennent toujours à atteindre les personnes dans le besoin.

L’ASEAN n’est pas la solution

Les appels lancés à l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) pour qu’elle dirige l’effort de reconstruction au niveau régional font écho à une stratégie familière mais vouée à l’échec. Depuis la tentative de coup d’État illégal de 2021, l’ASEAN a évoqué à plusieurs reprises son consensus en cinq points, sans pour autant prendre de mesures significatives pour le mettre en œuvre. 

Elle a refusé de reconnaître la cause première – l’armée birmane – et, au contraire, a accordé à la junte illégale une fausse légitimité et un espace intolérable sur la scène régionale.

Le consensus inefficace de l’ASEAN a entamé sa quatrième année d’échec le 24 avril. Proposer aujourd’hui que l’ASEAN soit l’acteur principal de la réponse au tremblement de terre en Birmanie (Myanmar), c’est ignorer ces quatre années d’échec. 

Pire encore, cela risque de légitimer une junte que la population birmane a rejetée avec force et à une écrasante majorité. Un « rôle de leader » régional dans ce contexte servirait de couverture à la poursuite des crimes atroces et à le militarisation de l’aide par l’armée.

L’ASEAN n’est pas neutre – elle a été complice des atrocités commises par la junte. Même pendant et après la rencontre entre le président de l’ASEAN et le chef de la junte Min Aung Hlaing à Bangkok, les attaques terrestres et aériennes contre les civils se sont poursuivies dans les zones touchées par le tremblement de terre et au-delà, sans tenir compte de l’appel au cessez-le-feu lancé par l’ASEAN. 

Depuis le tremblement de terre, la junte a mené au moins 207 attaques, dont 140 frappes aériennes et 24 barrages d’artillerie, ciblant délibérément les civils.  

Depuis sa propre déclaration de « cessez-le-feu » du 2 avril, la junte a tué au moins 161 personnes et en a blessé près de 300 autres. Compte tenu du mépris de longue date de l’armée pour la vie humaine, il est on ne peut plus clair que celle-ci n’a absolument aucune volonté politique réelle de fournir une aide efficace ou d’instaurer une paix durable.

L’ASEAN et la communauté internationale dans son ensemble ne doivent pas exploiter la catastrophe du tremblement de terre pour normaliser les relations avec la junte, lui accorder une fausse légitimité, approuver son simulacre d’élections ou faire avancer les tentatives de « dialogue inclusif » qui permettront de légitimer à nouveau l’armée et de prolonger les crises. 

Au lieu de cela, l’ASEAN doit fournir une aide par le biais de canaux frontaliers, directement par l’intermédiaire d’organisations communautaires/locales et d’humanitaires de première ligne, en collaboration avec les organisations de la société civile (OSC), le NUG et les ERO.

En outre, l’ASEAN et la communauté internationale dans son ensemble doivent prendre des mesures concrètes et immédiates pour mettre fin aux attaques terrestres et aériennes de la junte en imposant un embargo global sur les armes, incluant le carburant d’aviation et les biens à double usage.

Si nous voulons vraiment soutenir le rétablissement et la reconstruction de la Birmanie (Myanmar), nous devons aller au-delà des formules diplomatiques régionales inefficaces et écouter les personnes qui risquent tout pour leur avenir. 

Si l’ASEAN souhaite réellement parvenir à une solution à long terme pour la Birmanie (Myanmar), la seule façon d’avancer est de soutenir pleinement les efforts inlassables du peuple pour parvenir à un avenir pacifique et durable, débarrassé de la tyrannie militaire.

On ne peut pas mieux reconstruire sous les bombes

Sabandar suggère de tirer des leçons de la reconstruction de l’Indonésie après le tsunami à Aceh ou de la réponse au tremblement de terre de Nias en 2005. Mais ces comparaisons sont profondément erronées. 

L’Indonésie disposait alors d’un gouvernement fonctionnel et légitime, désireux de collaborer de bonne foi avec les acteurs nationaux et internationaux.

Aujourd’hui, la Birmanie (Myanmar) n’est pas gouvernée mais ruinée par une junte qui est non seulement illégitime mais qui commet activement des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre contre sa population.

L’expression « reconstruire en mieux » a un sens dans un environnement post-conflit ou post-catastrophe où règnent la paix et la stabilité. En Birmanie (Myanmar), les bombes continuent de tomber.

Des communautés entières sont déplacées non pas par des forces naturelles, mais par des frappes aériennes et des attaques au sol menées constamment et délibérément par la junte. 

Il ne peut y avoir de reconstruction, ni d’avenir meilleur, tant que la violence ne cessera pas et que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes de la souffrance.

Obstruction et militarisation de l’aide par la junte

La militarisation de l’aide par la junte ne peut pas être jugée en fonction de la présence de soldats de la junte qui bloquent les routes avec des armes ou qui pilent les cargaisons d’aide. La situation n’est pas aussi simple et directe qu’Andrew Nachemson le dépeint dans Foreign Policy.

Elle peut se manifester sous de nombreuses formes. La rétention de l’aide, la distribution inéquitable, les restrictions, l’arrestation des travailleurs humanitaires, la saisie ou la menace de saisie de l’aide, l’extorsion et le blocage de l’information font tous partie de l’obstruction et de la militarisation.

Les témoignages sur l’obstruction, la manipulation ou la militarisation de l’aide par la junte varient selon les personnes qui en ont fait l’expérience ou qui en ont été témoins, selon les différents contextes de ces personnes et le statut de ces organisations, et surtout selon les personnes qui sont prêtes à s’exprimer.

Dans ce cas, les expériences et les récits des principaux bénéficiaires ou des communautés touchées doivent être sérieusement pris en compte. Nous ne pouvons pas juger superficiellement et affirmer que la junte « ne fait peut-être pas obstacle à l’aide en cas de catastrophe, malgré ses mauvais antécédents », comme l’indique le sous-titre de l’article de Nachemson. Certains habitants de Sagaing et de Mandalay se sont même exprimés sur le fait qu’ils ne recevaient aucune aide.

Nous ne pouvons pas non plus mettre de côté l’armement de la junte et le blocage de l’aide aux personnes déplacées à l’intérieur du pays (IDP) qui fuient les frappes aériennes et les attaques d’artillerie.

À ceux qui affirment que l’armée ne bloque pas l’aide aux victimes du tremblement de terre, je pose la question suivante : qu’en est-il de l’aide d’urgence aux personnes déplacées fuyant les bombardements dans les zones touchées par le tremblement de terre, comme à Sagaing ?

Selon des rapports locaux, les autorités de la junte dans certaines régions ont spécifiquement donné pour instruction de ne pas distribuer d’aide aux personnes déplacées qui ont fui les zones de conflit.

Nous voyons des internautes partager des messages sur les réseaux sociaux et des reportages dans les médias, y compris des photos de communautés touchées par le tremblement de terre et vivant dans des sites temporaires sous des tentes fabriquées localement, qui ne sont pas destinées à l’aide en cas de catastrophe et sont distribuées par des groupes d’aide locaux.

Pendant ce temps, des tentes de secours internationales sont fournies aux survivants de l’immeuble Sky Villa qui s’est effondré, en raison de leur statut économique et social élevé.

Même les agences de l’ONU publient sur leurs réseaux sociaux des photos de personnes vivant sous ces tentes fabriquées localement. Il faut maintenant se poser la question : Où sont les tentes de secours données par la communauté internationale ?

Le ministère des affaires étrangères de la junte n’a cessé d’annoncer des dons internationaux en espèces et en nature pour venir en aide aux victimes du tremblement de terre, notamment de la part du Japon et de l’Union européenne. 

L’appel à la transparence et à la responsabilité, y compris à une distribution juste et équitable de l’aide, n’a pas pour but d’aggraver la situation, comme certains pourraient le penser, mais de garantir que l’aide parvienne aux communautés touchées comme prévu et comme elle devrait l’être.

Les acteurs de l’aide internationale font également preuve de partialité et de discrimination dans leur approche des parties prenantes locales. Ces agences internationales ne disposent pas, ou ont peur de mettre en place, des mécanismes de contrôle pour s’assurer que l’aide remise à la junte n’est ni exploitée ni manipulée.

Cela signifie que ces agences prennent injustement des décisions présomptueuses selon lesquelles l’aide passant par le NUG, les OSC et les organisations communautaires/locales indépendantes de la junte sera utilisée à d’autres fins que l’aide humanitaire. Cette approche enfreint déjà les principes humanitaires d’impartialité et de neutralité.

Comme l’ont écrit 270 OSC dans une déclaration, « Nous insistons sur le fait que ces efforts de secours en cas de catastrophe, par l’intermédiaire de tout partenaire de mise en œuvre, ne doivent pas être exploités, manipulés ou instrumentalisés par la junte militaire à des fins politiques et militaires. Nous demandons instamment aux Nations unies, aux pays voisins et à l’ensemble de la communauté internationale de se souvenir de l’histoire douloureuse de la Birmanie (Myanmar), marquée par la manipulation de l’aide par l’armée en cas de catastrophe naturelle, et d’agir fermement pour protéger les communautés touchées et vulnérables de l’exploitation et de nouvelles souffrances. Le peuple birman mérite une aide qui allège ses souffrances, et non une aide exploitée en son nom ou utilisée comme arme contre lui.« 

Une réponse par peuple, et non une « aide humanitaire » mené par la junte

À quoi ressemble donc une réponse juste et efficace ?

Elle commence par la reconnaissance des véritables représentants du peuple birman: le mouvement de résistance démocratique dirigé par le NUG, le Conseil consultatif de l’unité nationale, les organisations de résistance ethnique, les groupes de femmes, les leaders de la jeunesse et les acteurs de la société civile. Ce sont ces voix qui doivent façonner le rétablissement, et non les généraux qui ont créé la crise.

Les groupes de la société civile, les défenseurs des droits humains et les activistes n’ont pas attendu ; ils se sont mobilisés et ont lancé des missions d’aide d’urgence dans le cadre de leur approche de solidarité « de personne à personne » dès les premières 24 heures suivant le séisme, tout en alertant la communauté internationale et en préconisant des solutions pour une réponse efficace.

Une déclaration commune des OSC recommande que l’aide soit acheminée par l’intermédiaire des groupes communautaires/locaux, des ERO et du NUG, simplement parce que la plupart des zones touchées sont sous le contrôle effectif de la résistance, tandis que les villes les plus gravement touchées, comme Naypyidaw, Mandalay et Sagaing, sont sous le contrôle de la junte ; certaines zones voisines ont un contrôle alterné entre les deux parties.

Les « dommages sévères ou importants » causés par un tremblement de terre ne se mesurent pas en fonction du nombre de morts et du nombre de gratte-ciel qui se sont effondrés, comme ce que le monde a vu à Mandalay ou à Naypyidaw, où les informations sur les destructions ont été bloquées par la junte, puis rapportées par de courageux journalistes citoyens et des médias indépendants.

Il ne s’agit pas ici de savoir quelles sont les zones les plus durement touchées, mais de constater que des zones échappant au contrôle de la junte ont aussi subi le tremblement de terre, et que l’aide internationale ne peut pas et n’atteindra pas ces zones par l’intermédiaire de la junte. C’est là que nous voyons la nécessité d’acheminer l’aide internationale par l’intermédiaire des groupes d’aide locaux.

L’aide internationale doit être redirigée par l’intermédiaire de réseaux humanitaires locaux de confiance qui opèrent indépendamment de la junte. En particulier, pour que l’aide parvienne aux communautés des zones touchées sous le contrôle de la résistance, les acteurs de l’aide internationale doivent collaborer avec le NUG, les ERO et la Force de défense du peuple (PDF), car de nombreuses zones touchées par le tremblement de terre de Sagaing au-delà des villes de Sagaing et de Mandalay ne sont pas sous le contrôle de la junte, mais sous le contrôle du mouvement de résistance avec des administrations menées par la population.

Les associations ethniques frontalières et les OSC locales ont prouvé à maintes reprises qu’elles pouvaient apporter leur aide de manière efficace, éthique et digne.

Sur le plan diplomatique, la communauté internationale doit cesser d’hésiter. Elle doit reconnaître officiellement le NUG et accroître son soutien aux mécanismes qui obligent les dirigeants de la junte à rendre des comptes, par le biais de sanctions, d’actions en justice et de renvois à des processus judiciaires internationaux tels que la Cour pénale internationale (CPI). Ne pas agir de manière décisive n’est pas de la neutralité, c’est de la complicité.

Ce moment exige une boussole morale

Au lendemain d’une catastrophe sismique aussi dévastatrice, il est naturel de vouloir aider à reconstruire et soigner. Mais en Birmanie (Myanmar), la guérison ne peut se faire sans justice ; le rétablissement ne peut se faire sans obligation de rendre des comptes. La reconstruction ne peut se faire tant que la junte continue à créer des décombres.

Les habitants de Birmanie (Myanmar) ne sont pas des victimes passives. Ils mènent leur propre résistance, organisent eux-mêmes les secours et la reconstruction, conçoivent leur propre avenir et s’efforcent de le réaliser.

Il est temps que la communauté internationale suive leur exemple, et non celui des généraux qui leur ont infligé cette catastrophe.