Discours de Zue Padonmar lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Discours de Zue Padonmar lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Traduction de la prise de parole de Zue Padonmar, militante des droits humains et des femmes et première secrétaire du Conseil de sécurité intérimaire de l’État Karenni lors de la 59ème session du Conseil des droits de l’Homme, à Genève en juin 2025

Mesdames et Messieurs les délégués, c’est un grand honneur pour moi de vous parler de la situation désastreuse des droits humains dans mon pays, le Myanmar/Birmanie. Je remercie le Haut-Commissaire et le Rapporteur spécial, pour l’attention constante qu’ils portent à la crise au Myanmar/Birmanie.

Je m’appelle Zue Padonmar. Je suis défenseuse des droits humains et des droits des femmes, originaire de l’état Karenni, une petite région de l’est du Myanmar, à la frontière de la Thaïlande.

Je suis ici pour vous faire part des souffrances inimaginables de mon peuple, aux mains de la junte militaire illégitime. Je tiens également à souligner l’extraordinaire résilience des peuples Karenni et de l’ensemble du Myanmar/Birmanie, et leur aspiration à la démocratie fédérale et au respect des droits humains.

L’Etat Karenni est devenu un champ de bataille. J’ai moi-même survécu aux attaques aériennes de l’armée birmane. Tous les jours la junte cible délibérément les civils au moyen d’avions de chasse, d’hélicoptères et d’artillerie lourde, bombardant régulièrement les écoles, édifices religieux et camps de déplacés.

En dépit de son annonce d’un cessez-le-feu temporaire suite au séisme dévastateur du 28 mars, le jour-même la junte continuait ses attaques contre les civils. Depuis le séisme, la junte a mené plus de 980 frappes aériennes et attaques d’artillerie, tuant plus de 600 personnes et en blessant 1 300 autres.

Les mines restent toujours une menace majeure : depuis le début de l’année, un civil a été tué et huit ont été blessés rien que dans l’état Karenni.

Nous devons faire face aux arrestations arbitraires, à la torture et aux violences sexuelles liées aux conflits. Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement vulnérables, victimes de viols collectifs et d’autres formes d’abus de la part des soldats de la junte.

La survie est extrêmement difficile pour la population.

Plus de 3,5 millions de personnes ont été déplacées dans tout le pays. Les familles n’ont plus de maison où retourner. La junte fait preuve d’un mépris total pour la vie humaine. En dépit des souffrances immenses de son peuple, elle détourne l’aide humanitaire à son profit. Elle entrave l’acheminement de l’aide vitale vers ceux qui en ont le plus besoin. Les intervenants en première ligne font de leur mieux pour combler le vide, mais ce n’est pas suffisant.

Pourtant il y a de l’espoir. Je peux témoigner de l’incroyable résilience de notre peuple.

Nos demandes sont claires : la fin du régime militaire et de l’impunité, la mise en place d’un système démocratique fédéral, la reconnaissance internationale et le soutien des structures de gouvernance civiles.

Ces quatre dernières années, notre détermination n’a fait que se renforcer.

En fait, notre vision collective de l’avenir, la démocratie fédérale, est déjà en train de voir le jour. Dans l’état Karenni, nous sommes en train de mettre en place des structures de gouvernance civile. En 2023, nous avons établi le Conseil de sécurité intérimaire de l’État Karenni-IEC.

L’IEC est un gouvernement intérimaire décentralisé qui assure l’implication des communautés et leur participation aux processus de décision à tous les niveaux, tout en veillant à ce que les femmes occupent 35 % des postes de direction.

En dépit des challenges innombrables, nous fournissons des services d’urgence, de l’aide humanitaire, des services éducatifs et de santé et nous établissons l’état de droit à travers tout l’Etat Karenni.

Dans tout le Myanmar/Birmanie, de nouvelles institutions sont établies qui fournissent de l’aide et construisent l’état de droit. Nos efforts construisent les fondations du futur fédéral pour le Myanmar/Birmanie.

Mesdames et Messieurs les délégués, nous avons besoin de toute urgence du soutien de votre gouvernement.

  • Tout d’abord, nous avons besoin de votre aide pour sauver des vies et soulager les souffrances humaines.

Les coupes récentes dans l’aide humanitaire internationale ont eu un effet dévastateur sur les vies de nos populations vulnérables. Les gouvernements et les donateurs doivent non seulement fournir des fonds suffisants mais également travailler de concert avec les autorités ethniques et les organisations locales de la société civile afin d’apporter l’aide à ceux qui en ont le plus besoin.

  • Deuxièmement, nous avons besoin de votre soutien pour mettre en place des institutions démocratiques à partir de la base.

Nous avons besoin de votre reconnaissance et de votre soutien technique. Nous avons également besoin que vous vous engagiez à nos côtés et que vous nous aidiez à relever les nombreux défis auxquels nous sommes confrontés. Nous avons besoin que vous reconnaissiez notre vision d’un Myanmar/Birmanie fédéral et démocratique.

  • Enfin, nous avons besoin de votre soutien pour isoler la junte et mettre fin à ses attaques contre notre peuple.

Stoppez le flux d’armes et de carburant d’aviation vers le régime militaire, dont il se sert pour nous attaquer. Coupez-lui tout accès à l’argent, utilisé pour financer son oppression. Aidez-nous à faire en sorte que les auteurs de ces crimes répondent de leurs actes en vertu du droit international.

Mesdames et Messieurs les délégués, ne fermez pas les yeux sur les souffrances que nous endurons. Je vous demande, ainsi qu’à votre gouvernement, de déployer des efforts concertés pour nous soutenir dans notre lutte contre cette dictature militaire inhumaine.

Je vous remercie de l’attention que vous portez au peuple du Myanmar/Birmanie.

Vous pouvez retrouver la prise de parole de Zue Padonmar h en anglais ici (à 1h05), ainsi que d’autres prises de parole sur la situation birmane.

Discours de Noor Azizah lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Discours de Noor Azizah lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Traduction de la prise de parole de Noor Azizah, co-fondatrice et directrice du plaidoyer de la Rohingya Maìyafuìnor Collaborative Network, lors de la 59ème session du Conseil des droits de l’Homme, à Genève en juin 2025

Monsieur le Président, Haut-Commissaire, Monsieur le Rapporteur, Chèr.e.s distingué.e.s délégué.e.s

Je viens de rentrer de Cox’s Bazar, le plus grand camp de réfugiés au monde et je n’oublierai jamais ce que j’y ai vu.

Dans un abri sous une chaleur écrasante, une mère Rohingya m’a dit qu’elle ne dort plus depuis des jours, non pas à cause de la chaleur ou de la faim, mais par peur. Elle reste éveillée chaque nuit pour surveiller ses filles et ses garçons: « Je leur dis de ne pas pleurer, de ne pas bouger, parce que l’obscurité ne pardonne pas à des femmes comme nous ». Elle ne va pas aux toilettes après le coucher du soleil. Les femmes qui y vont, se font violer aux abords des latrines.

J’ai rencontré un petit garçon, Abdul Rahman, âgé d’à peine trois ans. Il a reçu une balle dans la jambe, alors qu’il fuyait pour passer la frontière. Son père a été exécuté sous ses yeux. Sa mère l’a porté, couvert de sang, pour traverser la rivière Naf. Elle ne savait pas s’il survivrait.

Dans une clinique MSF, j’ai vu aussi cinq jeunes filles. Elles venaient toutes d’accoucher. Aucune n’avait plus de 15 ans. Toutes étaient devenues mères après un viol. Il ne s’agit pas juste d’une crise, c’est un appel à protéger, un appel à la justice, pour mettre fin à l’effacement de tout un peuple.

Pendant ce temps les rations alimentaires sont réduites, plus de 6 500 centres de formation ont fermé, un demi-million d’enfants errent sans but, et sont exposés à la traite d’êtres humains, aux blessures, au désespoir.

Dans ce climat d’abandon, une nouvelle pression dangereuse s’exerce. Des pressions discrètes s’opèrent sur les réfugiés pour qu’ils rentrent au Myanmar/Birmanie. Mais rentrer vers quoi ?

Selon le Rapporteur, l’Etat Rakhine est toujours une zone de guerre. Les civils Rohingyas sont bombardés et arrêtés, ils disparaissent. Le rapport du Haut-Commissaire est clair : les conditions pour un retour volontaire en toute sécurité et dignité n’existent pas.

Pourtant il est presque impossible de quitter les camps, moins de 1% bénéficie d’un programme de ré-installation. La protection juridique est limitée et l’aide est en train de diminuer drastiquement. Les familles font donc face à un choix impossible: entreprendre un voyage à haut risque pour traverser la mer vers la Malaisie et l’Indonésie ou bien rester prisonnières dans un néant sans fin et un avenir flou.

Soyons clairs: un retour sans garantie des droits n’est pas une solution. Un retour à la surveillance, aux prisons à ciel ouvert, à une situation d’apatridie, ce n’est pas une solution.

Les réfugiés Rohingyas le savent. Ils le répètent :  « Nous ne retournerons au Myanmar/Birmanie qu’en qualité de citoyens, en tant qu’êtres humains, et dans la dignité« .

Le futur Myanmar/Birmanie doit inclure les Rohingyas, ce n’est pas une option. C’est une urgence. Mais nous devons être inclus dès à présent et non pas ajoutés plus tard. Nous ne sommes pas des étrangers, nous faisons partie du peuple du Myanmar/Birmanie.

Pour aller de l’avant, j’exhorte respectueusement les États Membres à:

  • Développer les réinstallations dans des pays tiers,
  • Fournir une protection juridique, des services éducatifs et des moyens de subsistance à ceux qui ne peuvent pas rentrer,
  • Augmenter l’aide humanitaire, notamment dans l’État Rakhine, où l’insécurité alimentaire est à la hausse.
  • Soutenir la justice transitionnelle
  • Et veiller à ce que tout processus politique au Myanmar/Birmanie comprenne tous les groupes ethniques, notamment les Rohingyas et ce, depuis le début.

Je voudrais terminer en disant ceci : l’apatridie ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est de la violence. Une violence délibérée, intentionnelle, imposée par la loi, les frontières et le silence.

Pour y remédier, il faut plus que des politiques, il faut une volonté politique, il faut du courage, il faut écouter ceux qui ont survécu aux flammes et qui sont encore là, debout, aujourd’hui.

Nous n’attendons pas en silence, nous sommes en train de nous organiser, de reconstruire, de montrer la voie. Nous ne sommes pas juste des victimes, nous sommes des visionnaires.

Ne laissons pas ce jour être une occasion de plus pour le monde de détourner le regard. Mais plutôt celle ou nous sommes enfin vus et crus.

Je vous remercie.

Vous pouvez retrouver la prise de parole de Noor Azizah en anglais ici (à 1h13), ainsi que d’autres prises de parole sur la situation birmane.

Conclusion par Noor Azizah


Merci, Monsieur le Président, et merci au Rapporteur spécial pour vos efforts inlassables et votre engagement continu à établir la vérité face aux crimes atroces en cours.

Alors que nous concluons la discussion d’aujourd’hui, je tiens à saluer le travail important réalisé par de nombreux États membres et mécanismes pour maintenir le Myanmar/Birmanie à l’ordre du jour. Ce n’est pas un travail facile. Mais je dois aussi dire franchement et avec un profond respect que l’inquiétude n’est tout simplement pas suffisante.

La situation au Myanmar/Birmanie ne fait pas que se détériorer. On la laisse se détériorer. Il ne s’agit pas seulement d’une urgence humanitaire. C’est le manque de responsabilité, le manque de volonté politique et l’incapacité à s’attaquer aux causes profondes qui ont rendu cette violence possible pour la communauté à laquelle j’appartiens.

Pour les Rohingyas ce ne sont pas des échecs, mais des réalités vécues dans leur chair : des familles échouées en mer, des femmes confinées dans des camps derrière des barbelés, des enfants nés en exil qui n’ont toujours pas de citoyenneté ou d’identité légale. Il ne s’agit pas d’incidents isolés mais d’un schéma permanent.

Aujourd’hui je demande donc instamment à ce Conseil et à tous les États membres de faire preuve de clarté, et de soutenir les recommandations du rapporteur spécial.

Cela signifie qu’il faut veiller à ce que les voix des Rohingyas, et pas seulement celles des organisations qui parlent de nous, soient au centre de toutes les conversations sur la gouvernance future, la responsabilité et le rapatriement.

Cela signifie qu’il faut utiliser tous les mécanismes internationaux et régionaux disponibles pour faire pression en faveur de la protection des civils dans l’ensemble du Myanmar/Birmanie, y compris les minorités ethniques des communautés Kachin, Karen, Shan et Chin.

Cela signifie qu’il faut reconnaître que le rapatriement sans garanties de sécurité, de justice et de rétablissement des droits n’est pas une solution. C’est un risque.

Excellences, nous ne voulons pas que l’on se souvienne de nous uniquement à travers des récits de souffrances. Nous voulons participer à l’élaboration de solutions. Les Rohingyas ne sont pas des victimes passives. Nous sommes des survivants qui ont de la dignité, de la perspicacité et le droit de rentrer chez eux en pleine possession de leur identité et de leurs droits.

Ne nous retrouvons pas ici l’année prochaine avec les mêmes mises à jour, les mêmes avertissements et les mêmes conclusions.

Je vous remercie de votre attention.

Birmanie : voix des femmes de la révolution

Birmanie : voix des femmes de la révolution

En cette journée internationale des droits des femmes, c’est avec le plus grand respect que nous saluons les millions de femmes birmanes, qui luttent contre le régime militaire, pour leur survie et celle de leurs proches, mais aussi pour une société plus égalitaire et juste. 

Elles sont la cible d’une violence spécifique, souvent à caractère sexuel mais pas uniquement du fait de leur genre et une cible privilégiée du régime militaire, reposant sur le patriarcat. En 2024 en France, les femmes représentent 3,4% des personnes en détention ; en Birmanie, plus de 20% des prisonniers politiques sont des prisonnières politiques.

Une activiste birmane nous a récemment dit lors d’un entretien: 

“Lorsque les hommes tuent les hommes, généralement ils les tuent et c’est tout.

C’est la guerre.

Lorsqu’ils tuent des femmes, il faut que ça se voit. C’est souvent mis en scène et filmé.”

 Si ni elle, ni nous, ne comprenons le pourquoi, nous ne pouvons nous empêcher de partager son triste constat. 

Les femmes sont au cœur de nos sociétés, en paix, en résistance et en guerreInfo Birmanie

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La Thanakha Team, qui a édité ce livre, est un collectif d’activistes qui s’est engagé à amplifier les voix des diverses femmes de Birmanie/Myanmar. Ces histoires ont été écrites par des femmes qui écrivaient pour la première fois et qui ont participé aux ateliers d’écriture d’Altsean-Burma dans quatre lieux différents.

Ce livre collectif est publié pour la journée internationale des droits des femmes en anglais par Altsean-Burma.

Info Birmanie a décidé de vous traduire une partie de son contenu, trois nouvelles, saluant le courage et la résilience des femmes birmanes, qui se battent contre le régime militaire mais aussi pour une société plus égalitaire et inclusive.

Vous pouvez lire en français:

L’avant-propos | Yasmin Ullah

Yasmin Ullah est une féministe Rohingya, une autrice, une poétesse et une militante pour la justice sociale. Elle est née dans le nord de l’État de Rakhine, au Myanmar, mais a grandi en tant que réfugiée en Thaïlande. Elle a été ré-installée au Canada en 2011. Elle est cofondatrice et directrice exécutive du Rohingya Maìyafuìnor Collaborative Network.

Je n’étais pas seule | A Phyu

A Phyu est une femme birmane musulmane qui travaille comme assistante émotionnelle dans le domaine de la santé mentale. Elle a écrit « Je n’étais pas seule » pour rendre hommage à sa résilience au cours d’une période extrêmement difficile et pour encourager d’autres survivants à partager leur histoire. La rédaction de cette histoire a été un voyage émotionnel qui lui a rappelé des souvenirs douloureux, mais qui l’a finalement laissée plus légère, plus en paix. Cela lui rappelle que la survie n’est pas seulement une question d’endurance, mais aussi de reconnaissance de notre force et de notre évolution.

A mon Maître | Waso

Waso travaille actuellement comme rédactrice et productrice à Federal FM Radio. Elle produit des histoires audio, des programmes comme The Voice of Women Revolutionaries, Mine Risk Podcasts, Look to the Sky Podcasts, des programmes de contes pour enfants et des interviews à la radio. En outre, elle a écrit des histoires pour sensibiliser sur les dangers des mines terrestres, des munitions non explosées et des frappes aériennes. L’histoire “A mon Maître” est basée sur les témoignages de combattants révolutionnaires dans l’État de Karenni. Le chien Casper, qui a inspiré cette histoire, réside toujours à Karenni.

Oser tomber, mais toujours fleurir | Rak Pay

Rak Pay est une femme de l’ethnie Pa-O. Elle vous raconte une histoire qui est basée sur les expériences vécues d’une femme de sa communauté.

Livre en français ici

Livre en anglais ici