Questions | Réponses avec Sean Turnell sur les finances de l’armée birmane

Questions | Réponses avec Sean Turnell sur les finances de l’armée birmane

Cet entretien a été publié en anglais sur le site de DVB le 14 juillet 2025, Info Birmanie vous en propose la présente traduction.

Avant propos

Cette interview avec l’économiste et expert du Myanmar, Sean Turnell, a été réalisée pour explorer les principales perspectives et recommandations de son rapport:  “L’armée, l’argent et le Myanmar : briser le cercle vicieux” ( The Military, Money, and Myanmar: Breaking the Nexus | စာတမ်းအပြည့်အစုံအား ဒေါင်းလုဒ်ရယူရန် ), commandé et publié par le Special Advisory Council for Myanmar (SAC-M). 

S.Turnell, ancien conseiller économique du gouvernement civil de la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD) birmane et l’une des voix internationales les plus respectées sur l’économie du pays, offre une évaluation détaillée de la manière dont la junte militaire continue de financer sa guerre de terreur.

Malgré l’effondrement économique croissant du Myanmar, le régime maintient son accès à des devises étrangères critiques grâce aux exportations de gaz naturel, à la conversion forcée des transferts de fonds, à l’exploitation du secteur privé et au contrôle du système bancaire.

Dans cette conversation approfondie, Turnell souligne :

  • Comment la junte génère des revenus par des moyens coercitifs
  • Pourquoi l’accès aux devises étrangères est son point le plus vulnérable – et la meilleure opportunité de perturbation
  • Le besoin urgent de sanctions coordonnées sur la Banque centrale, les banques publiques et privées
  • Pourquoi la “dette odieuse” compte et comment elle peut dissuader le financement étranger de la junte
  • Comment les forces de résistance et les acteurs internationaux peuvent cibler les points d’étranglement financiers de la junte
  • Les risques géopolitiques de la dépendance de la Myanmar à l’égard de la Chine, et les raisons stratégiques pour lesquelles la communauté internationale devrait agir maintenant.

S.Turnell insiste sur le fait qu’il s’agit de perturber la capacité de la junte à faire la guerre.

Comme il le dit : “Il ne s’agit plus d’essayer de changer l’esprit de la junte. Il s’agit de réduire sa capacité à se battre.

Cette interview menée par Igor Blažević fournit non seulement un diagnostic sobre, mais aussi une feuille de route stratégique pour savoir comment la communauté internationale, les institutions financières et les acteurs de la résistance birmans peuvent répondre efficacement.

Comprendre la source de fonds de la junte

Igor Blažević  : Quelles sont les principales sources de revenus – en particulier les devises étrangères – pour la junte à l’heure actuelle ? Malgré la perte de contrôle sur des actifs économiques importants, la junte semble loin d’être en faillite. Ils continuent d’intensifier les efforts de guerre, d’acheter des armes (y compris des avions, des hélicoptères et des drones) et de maintenir des réseaux de clientélisme. Comment financent-ils tout cela ?

Sean Turnell : Permettez-moi d’abord de dire que, sur le plan national, la junte peut se financer de toutes les manières dont une organisation contrôlant l’État le peut. Cela inclut la fiscalité et les revenus des entreprises publiques qu’elle possède localement. Cela inclut également le contrôle de la Banque centrale, ce qui signifie que s’il n’y a pas d’autres sources, ils peuvent simplement imprimer des kyats (billets de banque).

Mais vous avez raison, Igor, de souligner les devises étrangères – car le régime a besoin de devises étrangères pour acheter des armes, en particulier des munitions aériennes qu’ils ne peuvent pas produire au Myanmar. Donc, les devises étrangères sont absolument essentielles.

Où la junte obtient-elle ces devises étrangères ? Tout d’abord, la source traditionnelle pour la junte birmane a été les revenus des entreprises publiques, en particulier grâce aux exportations d’énergie – surtout le gaz naturel. Il y a aussi d’autres entreprises publiques qui exportent du teck et diverses autres ressources naturelles.

Mais actuellement, la principale source par laquelle la junte obtient des devises étrangères est en exploitant le secteur privé – en forçant les exportateurs, comme les agriculteurs, à convertir leurs revenus en devises étrangères en kyats et à remettre les devises étrangères à la junte.

Maintenant, il y a une source encore plus grande : l’exploitation des particuliers. Cela provient principalement des Birmans vivant et travaillant à l’étranger qui envoient des fonds en Myanmar. C’est maintenant la plus grande source unique de devises étrangères pour la junte.

Encore une fois, cela se fait par la conversion forcée des envois de fonds de l’étranger en kyats. C’est maintenant la principale façon dont la junte obtient les devises étrangères dont elle a besoin.

Si elle est vraiment acculée – quand tout le reste échoue et qu’aucune autre source n’est disponible – un régime comme la junte birmane peut simplement s’emparer des ressources physiques. Lorsqu’ils sont désespérés, des régimes comme celui-ci volent directement au peuple qu’ils gouvernent.

Igor Blažević  : L’économie du Myanmar continue de se détériorer sous la règle militaire. La junte extrait toutes les ressources qu’elle peut pour financer sa guerre de terreur contre la population. Voyez-vous un moment où ils ne pourront plus extraire suffisamment pour se maintenir – faire faillite ? Ou y a-t-il toujours quelque chose de plus qu’ils peuvent tirer du système ?

Sean Turnell : À un moment donné, un régime comme celui du Myanmar tuera la poule aux œufs d’or, et je pense que nous en sommes très proches maintenant. Le PIB du Myanmar – son activité économique globale – n’est maintenant que de 50 pour cent de ce qu’il aurait dû être si le coup d’État n’avait pas eu lieu.

À mesure que le régime extrait de plus en plus de ressources et imprime des quantités croissantes d’argent, la production économique diminue progressivement. La part de la junte dans cette production rétrécissante a augmenté, mais le gâteau global rétrécit. Ils tuent la poule aux œufs d’or tout en s’emparant d’une plus grande partie de ce qui reste.

Depuis le coup d’État, le régime s’est de plus en plus appuyé sur l’impression de monnaie à mesure que d’autres sources de revenus se tarissaient. Cela a conduit à une chute du kyat, et à un certain moment, cela atteindra un point de rupture où l’économie monétaire deviendra irréparable.

À ce stade, le régime se tournera uniquement vers l’extraction physique des ressources. Ils peuvent continuer à le faire de manière destructive pendant un certain temps, mais d’ici là, l’économie sera complètement dysfonctionnelle.

Igor Blažević  : Depuis fin 2024 et le début de cette année, nous avons observé un changement dans l’approche des voisins du Myanmar. Auparavant, ils étaient largement assis et attendaient, prétendant être impliqués tout en faisant très peu. Mais récemment, ils semblent aider activement la junte à survivre – non pas à gagner, mais à survivre en tant que gouvernement central du Myanmar. Nous le voyons diplomatiquement. Mais cela signifie-t-il qu’ils fournissent également un soutien financier ou économique supplémentaire ?

Sean Turnell : Malheureusement, oui. Dans une tentative mal avisée de poursuivre la stabilité, certains pays voisins cherchent à accommoder le régime. C’est une motivation.

Une autre motivation, et pire, est l’exploitation – profiter de la position affaiblie du Myanmar. Un pays faible et isolé devient mûr pour des « accords ». Malheureusement, des pays comme la Chine utilisent la vulnérabilité du Myanmar comme une opportunité d’exploitation économique et stratégique.

Comment l’accès de la junte aux fonds peut-il être limité ?

Igor Blažević  : Tournons-nous maintenant vers ce qui peut être fait pour contraindre l’accès de la junte aux fonds et aux devises étrangères, qui sont utilisés pour financer sa guerre de terreur. Dans votre rapport “L’armée, l’argent et le Myanmar : briser le cercle vicieux” | “The Military and Money – Breaking the Nexus”, publié avec le Special Advisory Council for Myanmar (SAC-M), vous avez mis en avant plusieurs mesures clés : fermer les lacunes autour de Myanma Oil & Gas Enterprise (MOGE), sanctionner la Myanma Economic Bank (MEB), la Banque centrale, et les banques privées, et introduire des sanctions secondaires. Les efforts doivent-ils se concentrer sur des mesures spécifiques à fort impact maintenant, ou plaider pour le package complet ?

Sean Turnell : Le régime a un besoin désespéré de devises étrangères. La Chine et la Russie n’accepteront pas le kyat birman comme paiement pour les munitions. Donc, l’accès de la junte aux devises étrangères est le point d’étranglement le plus critique. Et ce point d’étranglement est un package : la Banque centrale, les banques publiques, les banques privées – tous les canaux par lesquels les devises étrangères atteignent le régime.

Jusqu’à présent, nous avons vu des sanctions parcellaires sur des banques ou des entreprises spécifiques. Nous devons changer notre état d’esprit. Les sanctions ne devraient pas seulement servir à punir ou à inciter un meilleur comportement. Elles devraient servir à perturber la capacité de la junte à financer la guerre.

Donc oui, je vois maintenant cela comme un package. Il ne s’agit plus d’essayer de changer l’esprit de la junte. Il s’agit de réduire sa capacité à se battre.

Igor Blažević  : Si nous visons à exercer une pression financière en sanctionnant le système bancaire birman, cela ne peut pas se faire sans les États-Unis. Avec Donald Trump à la Maison Blanche, y a-t-il une opportunité – ou la politique étrangère des États-Unis est-elle maintenant trop imprévisible ?

Sean Turnell : Donald Trump est à la fois un plus et un moins. Il serait plus difficile de le convaincre d’implémenter le type de sanctions ciblées que nous avons vu jusqu’à présent. Mais il y a aussi une opportunité : seul quelqu’un comme Trump pourrait prendre la décision radicale d’imposer des sanctions à grande échelle comme celles dont je parle. Ironiquement, il pourrait être plus susceptible de le faire que quelqu’un comme l’ancien président Biden, qui préférait une approche progressive.

Igor Blažević  : Une autre grande recommandation dans votre rapport était de débloquer les actifs de la Banque centrale birmane qui sont gelés aux États-Unis et de les rendre disponibles pour le Gouvernement d’Unité Nationale (NUG). À peu près à la même époque, il y avait une discussion mondiale sur l’utilisation des actifs russes gelés pour soutenir l’Ukraine. Devrions-nous maintenant nous concentrer davantage sur les sanctions, ou passer à la libération de ces actifs gelés ?

Sean Turnell : Nous devrions faire les deux – mais accorder la priorité aux points d’étranglement en premier, et poursuivre les actifs gelés en arrière-plan.

Disons que nous convainquons Trump de poursuivre une stratégie de point d’étranglement. Nous avons alors un argument plus fort à ajouter : « Vous pouvez aider les forces de la liberté au Myanmar et vous n’avez pas à dépenser un seul dollar de fonds gouvernementaux américains. Le Myanmar a son propre argent. Il s’agit simplement de le débloquer et de le donner à des personnes qui sont vos alliés naturels, de toute façon. »

Donc oui, commencez par les points d’étranglement. Mais poursuivez définitivement les actifs gelés aussi.

Igor Blažević  : Concernant la lutte contre le blanchiment d’argent : la bataille a-t-elle été gagnée, ou la poursuite des rapports d’enquête et du plaidoyer avec le Groupe d’Action Financière International (GAFI) est-elle encore nécessaire ? Pour notre audience, pourriez-vous expliquer brièvement ce qu’est le GAFI, quelles actions il a prises contre le Myanmar, et quel a été l’impact concret ?

Sean Turnell : Le Groupe d’action financière, ou GAFI, est l’organisme mondial qui lutte contre le blanchiment d’argent. Le Myanmar a été placé sur sa liste noire. Les seuls autres pays sur cette liste sont l’Iran, la Corée du Nord et le Venezuela. Donc, c’est une étape significative – cela signifie que les banques internationales doivent être extrêmement prudentes lorsqu’elles traitent avec le Myanmar.

Mais il y a plus que le GAFI peut faire. Jusqu’à présent, contrairement à l’Iran ou à la Corée du Nord, le GAFI n’a pas imposé de contre-mesures au Myanmar. Nous pouvons faire campagne pour cela.

Nous pouvons constamment pousser l’idée que la junte birmane est une organisation criminelle qui encourage activement et utilise le crime financier, et que le GAFI aurait dû lui appliquer des contre-mesures. Les contre-mesures du GAFI feraient pression sur d’autres pays pour qu’ils adoptent des sanctions financières, même s’ils ne l’ont pas encore fait. Le GAFI est un outil mondial, et nous devons l’utiliser pleinement.

Igor Blažević  : Si nous réussissons à faire sanctionner toutes les banques publiques et privées birmanes, cela empêcherait-il les gens d’envoyer de l’argent à leurs proches au Myanmar ?

Sean Turnell : C’est une bonne question. Oui, certaines personnes seraient affectées. Mais la plupart des gens, surtout ceux qui ne sont pas liés à l’armée, évitent déjà le système bancaire officiel du Myanmar. Ils utilisent des systèmes informels, comme le réseau hundi [le système de transfert d’argent informel], pour envoyer de l’argent. Donc oui, il y aurait un certain impact – mais moins que prévu.

Dette, gaz et ressources stratégiques du Myanmar

Igor Blažević  : Vous avez également plaidé pour une campagne autour de la « dette odieuse ». Pourriez-vous expliquer ce que c’est, et comment une campagne pourrait être structurée ? Qui devrait être ciblé, et quel devrait être le message ?

Sean Turnell : La dette odieuse est l’idée que les gens ne devraient pas avoir à rembourser les dettes des tyrans qui les ont gouvernés. Un dictateur peut emprunter de l’argent et l’utiliser pour opprimer son propre peuple. Lorsqu’ils tombent, pourquoi les victimes devraient-elles être obligées de payer ces dettes ?

Ce concept a une longue histoire. Le Myanmar en est un cas clair. À mesure que la junte émet des obligations ou emprunte dans des endroits comme la Chine et la Russie, nous devons rendre absolument clair que ces dettes ne seront jamais remboursées après la chute du régime.

Ce message concerne la justice, mais aussi la dissuasion. Si nous disons dès le départ : “Ces dettes sont illégitimes et seront annulées”, alors les prêteurs potentiels pourraient y réfléchir à deux fois.

Le message devrait être : “Arrêtez de prêter à la junte. Arrêtez d’acheter des obligations birmanes car elles seront sans valeur. Vous ne récupérerez pas votre argent.”

Igor Blažević  : Le NUG a-t-il déjà déclaré les obligations de la junte comme une dette odieuse ?

Sean Turnell : Oui, le NUG a déclaré que les obligations émises par le Conseil administratif de l’État (SAC) ne seront pas honorées dans un Myanmar post-junte. Mais nous pourrions aller plus loin – l’étendre aux banques privées et à d’autres instruments financiers liés à la junte.

Igor Blažević  : Les exportations de gaz naturel vers la Thaïlande continuent de rapporter de l’argent à la junte. La Thaïlande peut-elle être persuadée d’arrêter les paiements ?

Sean Turnell : Le gaz était autrefois la plus grande source de revenus de la junte. Plus maintenant. Les champs de gaz produisent de moins en moins, et l’investissement dans le secteur s’est effondré depuis le coup d’État. Pourtant, nous devrions continuer à persuader la Thaïlande – leur rappeler qu’ils achètent de l’énergie à un régime criminel, en faillite et peu fiable qui génère des réfugiés et de l’instabilité. Même si le gaz est en déclin, cela vaut toujours la peine de faire des efforts de plaidoyer.

Igor Blažević  : La Banque centrale birmane a récemment annoncé des plans pour émettre une monnaie numérique. Quelles pourraient être les conséquences de cela ?

Sean Turnell : Je suis extrêmement sceptique. Ce n’est qu’un coup de publicité – une façon de paraître moderne et progressiste. Personne ne fait confiance au kyat physique, encore moins à un kyat numérique ! L’infrastructure n’existe pas, et avec ;es pannes de courant et aucune crédibilité, l’idée toute entière est simplement absurde.

Igor Blažević  : La junte tente de rejoindre l’Union économique eurasiatique (EAEU). Si elle réussit, quel impact cela aurait-il sur la révolution, et quels avantages la junte pourrait-elle tirer de son adhésion à ce bloc ?

Sean Turnell : Je suis extrêmement sceptique quant à des avantages significatifs de l’adhésion à l’EAEU. Ces organisations ont très peu à offrir au Myanmar, et le Myanmar, en retour, a peu à leur offrir – tout ce qu’il vend est généralement à des prix dérisoires.

Les pays susceptibles de s’associer avec le Myanmar dans ces cadres ne sont pas des poids lourds économiques. Donc, du point de vue commercial et de l’investissement, il est peu probable que ce soit un changement de jeu. Il n’y a pas beaucoup d’histoires ici, franchement.

Igor Blažević  : La junte a gagné des devises étrangères significatives grâce aux exportations de gaz naturel et d’énergie. Les forces de résistance tentent de perturber cela mais font face à la pression des pays voisins. Y a-t-il autre chose qui peut être fait pour l’empêcher de gagner ces revenus ?

Sean Turnell : C’est une question importante. Les exportations de gaz deviennent une part décroissante des gains étrangers du Myanmar, en partie à cause du sous-investissement. La junte ne peut pas garantir l’approvisionnement à travers ces pipelines, car les pipelines eux-mêmes sont très vulnérables. Mais ce qui est plus important, c’est de contrôler les pipelines financiers – le flux d’argent. Si les forces de résistance et les acteurs internationaux peuvent perturber les pipelines financiers, la source physique de cet argent devient moins pertinente. La clé réside dans le contrôle des points d’étranglement financiers, en particulier à travers les canaux bancaires.

Igor Blažević  : Le Myanmar possède des ressources significatives en terres rares, et la Chine monopolise leur extraction. Pourrions-nous plaider pour que les États-Unis s’intéressent aux terres rares au Myanmar et s’impliquent davantage qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent ?

Sean Turnell : C’est un point important. Environ 40 pour cent des terres rares traitées en Chine proviennent en réalité du Myanmar. Lors d’un récent voyage aux États-Unis, j’ai parlé à des personnes – même au sein de l’administration Trump – et il y avait un intérêt sérieux pour cette question.

C’est un point stratégique que nous devons continuer à souligner : l’importance du Myanmar pour la communauté internationale. Nous ne pouvons pas permettre qu’il tombe complètement entre les mains de la Chine ou reste sous le contrôle de la junte. L’angle des terres rares est l’un des arguments les plus forts que nous ayons pour une attention mondiale accrue.

Igor Blažević  : Un futur gouvernement démocratique fédéral peut-il annuler les contrats et mémorandums d’accord signés par la junte ? Quelles en seraient les conséquences ?

Sean Turnell : Oui – sur la base d’une longue histoire de précédents internationaux, de tels contrats peuvent et doivent être annulés. En envoyant ce message, nous sapons également la junte maintenant.

Igor Blažević  : Y a-t-il une estimation de la quantité de devises étrangères que la Banque centrale birmane possède encore en réserves ? Reçoivent-ils des devises étrangères de la Chine ou de la Russie ?

Sean Turnell : Il est difficile de connaître le chiffre exact, mais les estimations suggèrent qu’ils disposent d’environ 2 milliards de dollars en réserves de change – un montant très faible selon les normes internationales.

En ce qui concerne la Chine et la Russie, ce sont des endroits où la junte dépense de l’argent plutôt qu’elle n’en gagne, surtout pour l’achat d’armes. Bien qu’il y ait quelques gains en provenance de Chine, une grande partie de ceux-ci se font par le biais de l’économie souterraine. Donc, dans l’ensemble, la Chine et la Russie ne sont pas des sources majeures d’entrées de devises étrangères.

Igor Blažević : Y a-t-il autre chose que nous n’avons pas discuté et qui devrait être souligné auprès de la communauté internationale – surtout dans la situation géopolitique actuelle ?

Sean Turnell : Tout se résume à souligner l’importance géopolitique du Myanmar. Nous devons continuer à insister sur le fait que le Myanmar ne peut pas être autorisé à devenir une dépendance complète de la Chine. Cela compte pour l’Europe et pour les États-Unis.

Nous ne devons pas en faire trop, mais souligner cet aspect géopolitique est crucial, car il y a des acteurs très sérieux en Amérique et en Europe qui répondront aux arguments géopolitiques – même s’ils ne se soucient pas beaucoup des arguments sur les droits humains.

De plus, le Myanmar a encore des amis puissants – en particulier au Congrès des États-Unis et dans les parlements européens – indépendamment de qui détient le pouvoir exécutif, que ce soit Trump ou quelqu’un d’autre.

La clé est la persistance. Le Myanmar ne reçoit pas l’attention des médias ou des politiques qu’il mérite, en partie parce que tant de choses se passent dans le monde. Mais la lutte de libération du peuple birman reste une histoire convaincante et urgente, et nous devons continuer à rappeler cela au monde.

Igor Blažević  : La junte prétend mettre en œuvre le Plan économique du Myanmar (MEP), sur lequel vous avez conseillé. Est-ce le même plan ? Quel est votre avis ?

Sean Turnell : C’est bizarre. J’ai vu le document. Ils ont légèrement changé le titre de celui que nous avons utilisé en 2020, ajoutant le mot « complet ». Sinon, le document est une totale fantaisie. C’est un conte de fées, pas une vraie politique économique. Personne n’est convaincu.

Igor Blažević  : PTTEP de Thaïlande aide toujours la junte à continuer de gagner des devises étrangères. Y a-t-il un moyen d’exercer une pression sur de telles entreprises ?

Sean Turnell : Oui, le plaidoyer international peut et doit cibler ces entreprises. La coopération continue de PTTEP aide la junte à maintenir sa base financière. Les campagnes de pression, la sensibilisation du public et les sanctions coordonnées peuvent tous jouer un rôle dans la limitation de l’implication de ces entreprises.

Igor Blažević  : Le kyat continuera-t-il à se déprécier ? Un processus lent ou rapide ?

Sean Turnell : Le taux d’inflation du Myanmar est actuellement d’environ 30 pour cent. Une estimation conservative de la Banque mondiale prévoit qu’il restera au moins à 25 pour cent l’année prochaine. Cela signifie que le pouvoir d’achat du kyat diminuera de 25 pour cent d’ici un an.

Sur la base de la théorie économique simple, le kyat se dévaluera approximativement en ligne avec cela. Avec des taux d’inflation des partenaires commerciaux beaucoup plus bas, nous pouvons nous attendre à ce que le kyat se déprécie d’environ 20 pour cent dans l’année à venir. S’il est d’environ 4 500 kyats pour un dollar américain maintenant, il pourrait passer à 5 000 ou même 5 400 l’année prochaine.

Igor Blažević  : Quel est votre conseil sur la manière dont les forces révolutionnaires devraient se présenter sur la scène internationale, surtout avec tant d’acteurs et de factions ?

Sean Turnell : Il est essentiel de maintenir une voix équilibrée et unifiée. Le message clé devrait être qu’il existe une alternative démocratique crédible à la junte – une alternative capable de garantir la stabilité.

La cohérence et la coordination sont essentielles. Soulignez l’unité. Ne cessez pas de mettre en avant les valeurs démocratiques. Soulignez l’importance géopolitique stratégique – ce sont les messages que le monde comprend. Et soyez persévérants.

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Igor Blažević est conférencier aux Initiatives Éducatives du Myanmar et conseiller principal au Centre de la Société Civile de Prague.

Sean Turnell est l’ancien conseiller économique d’Aung San Suu Kyi et du gouvernement de la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD), renversé par un coup d’État militaire en 2021.

Vous pouvez retrouvez cette interview en anglais sur le site de DVB ici.

Discours de Zue Padonmar lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Discours de Zue Padonmar lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Traduction de la prise de parole de Zue Padonmar, militante des droits humains et des femmes et première secrétaire du Conseil de sécurité intérimaire de l’État Karenni lors de la 59ème session du Conseil des droits de l’Homme, à Genève en juin 2025

Mesdames et Messieurs les délégués, c’est un grand honneur pour moi de vous parler de la situation désastreuse des droits humains dans mon pays, le Myanmar/Birmanie. Je remercie le Haut-Commissaire et le Rapporteur spécial, pour l’attention constante qu’ils portent à la crise au Myanmar/Birmanie.

Je m’appelle Zue Padonmar. Je suis défenseuse des droits humains et des droits des femmes, originaire de l’état Karenni, une petite région de l’est du Myanmar, à la frontière de la Thaïlande.

Je suis ici pour vous faire part des souffrances inimaginables de mon peuple, aux mains de la junte militaire illégitime. Je tiens également à souligner l’extraordinaire résilience des peuples Karenni et de l’ensemble du Myanmar/Birmanie, et leur aspiration à la démocratie fédérale et au respect des droits humains.

L’Etat Karenni est devenu un champ de bataille. J’ai moi-même survécu aux attaques aériennes de l’armée birmane. Tous les jours la junte cible délibérément les civils au moyen d’avions de chasse, d’hélicoptères et d’artillerie lourde, bombardant régulièrement les écoles, édifices religieux et camps de déplacés.

En dépit de son annonce d’un cessez-le-feu temporaire suite au séisme dévastateur du 28 mars, le jour-même la junte continuait ses attaques contre les civils. Depuis le séisme, la junte a mené plus de 980 frappes aériennes et attaques d’artillerie, tuant plus de 600 personnes et en blessant 1 300 autres.

Les mines restent toujours une menace majeure : depuis le début de l’année, un civil a été tué et huit ont été blessés rien que dans l’état Karenni.

Nous devons faire face aux arrestations arbitraires, à la torture et aux violences sexuelles liées aux conflits. Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement vulnérables, victimes de viols collectifs et d’autres formes d’abus de la part des soldats de la junte.

La survie est extrêmement difficile pour la population.

Plus de 3,5 millions de personnes ont été déplacées dans tout le pays. Les familles n’ont plus de maison où retourner. La junte fait preuve d’un mépris total pour la vie humaine. En dépit des souffrances immenses de son peuple, elle détourne l’aide humanitaire à son profit. Elle entrave l’acheminement de l’aide vitale vers ceux qui en ont le plus besoin. Les intervenants en première ligne font de leur mieux pour combler le vide, mais ce n’est pas suffisant.

Pourtant il y a de l’espoir. Je peux témoigner de l’incroyable résilience de notre peuple.

Nos demandes sont claires : la fin du régime militaire et de l’impunité, la mise en place d’un système démocratique fédéral, la reconnaissance internationale et le soutien des structures de gouvernance civiles.

Ces quatre dernières années, notre détermination n’a fait que se renforcer.

En fait, notre vision collective de l’avenir, la démocratie fédérale, est déjà en train de voir le jour. Dans l’état Karenni, nous sommes en train de mettre en place des structures de gouvernance civile. En 2023, nous avons établi le Conseil de sécurité intérimaire de l’État Karenni-IEC.

L’IEC est un gouvernement intérimaire décentralisé qui assure l’implication des communautés et leur participation aux processus de décision à tous les niveaux, tout en veillant à ce que les femmes occupent 35 % des postes de direction.

En dépit des challenges innombrables, nous fournissons des services d’urgence, de l’aide humanitaire, des services éducatifs et de santé et nous établissons l’état de droit à travers tout l’Etat Karenni.

Dans tout le Myanmar/Birmanie, de nouvelles institutions sont établies qui fournissent de l’aide et construisent l’état de droit. Nos efforts construisent les fondations du futur fédéral pour le Myanmar/Birmanie.

Mesdames et Messieurs les délégués, nous avons besoin de toute urgence du soutien de votre gouvernement.

  • Tout d’abord, nous avons besoin de votre aide pour sauver des vies et soulager les souffrances humaines.

Les coupes récentes dans l’aide humanitaire internationale ont eu un effet dévastateur sur les vies de nos populations vulnérables. Les gouvernements et les donateurs doivent non seulement fournir des fonds suffisants mais également travailler de concert avec les autorités ethniques et les organisations locales de la société civile afin d’apporter l’aide à ceux qui en ont le plus besoin.

  • Deuxièmement, nous avons besoin de votre soutien pour mettre en place des institutions démocratiques à partir de la base.

Nous avons besoin de votre reconnaissance et de votre soutien technique. Nous avons également besoin que vous vous engagiez à nos côtés et que vous nous aidiez à relever les nombreux défis auxquels nous sommes confrontés. Nous avons besoin que vous reconnaissiez notre vision d’un Myanmar/Birmanie fédéral et démocratique.

  • Enfin, nous avons besoin de votre soutien pour isoler la junte et mettre fin à ses attaques contre notre peuple.

Stoppez le flux d’armes et de carburant d’aviation vers le régime militaire, dont il se sert pour nous attaquer. Coupez-lui tout accès à l’argent, utilisé pour financer son oppression. Aidez-nous à faire en sorte que les auteurs de ces crimes répondent de leurs actes en vertu du droit international.

Mesdames et Messieurs les délégués, ne fermez pas les yeux sur les souffrances que nous endurons. Je vous demande, ainsi qu’à votre gouvernement, de déployer des efforts concertés pour nous soutenir dans notre lutte contre cette dictature militaire inhumaine.

Je vous remercie de l’attention que vous portez au peuple du Myanmar/Birmanie.

Vous pouvez retrouver la prise de parole de Zue Padonmar en anglais ici (à 1h05), ainsi que d’autres prises de parole sur la situation birmane.

Discours de Noor Azizah lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Discours de Noor Azizah lors de la 59ème sessions du Conseil des droits de l’Homme

Traduction de la prise de parole de Noor Azizah, co-fondatrice et directrice du plaidoyer de la Rohingya Maìyafuìnor Collaborative Network, lors de la 59ème session du Conseil des droits de l’Homme, à Genève en juin 2025

Monsieur le Président, Haut-Commissaire, Monsieur le Rapporteur, Chèr.e.s distingué.e.s délégué.e.s

Je viens de rentrer de Cox’s Bazar, le plus grand camp de réfugiés au monde et je n’oublierai jamais ce que j’y ai vu.

Dans un abri sous une chaleur écrasante, une mère Rohingya m’a dit qu’elle ne dort plus depuis des jours, non pas à cause de la chaleur ou de la faim, mais par peur. Elle reste éveillée chaque nuit pour surveiller ses filles et ses garçons: « Je leur dis de ne pas pleurer, de ne pas bouger, parce que l’obscurité ne pardonne pas à des femmes comme nous ». Elle ne va pas aux toilettes après le coucher du soleil. Les femmes qui y vont, se font violer aux abords des latrines.

J’ai rencontré un petit garçon, Abdul Rahman, âgé d’à peine trois ans. Il a reçu une balle dans la jambe, alors qu’il fuyait pour passer la frontière. Son père a été exécuté sous ses yeux. Sa mère l’a porté, couvert de sang, pour traverser la rivière Naf. Elle ne savait pas s’il survivrait.

Dans une clinique MSF, j’ai vu aussi cinq jeunes filles. Elles venaient toutes d’accoucher. Aucune n’avait plus de 15 ans. Toutes étaient devenues mères après un viol. Il ne s’agit pas juste d’une crise, c’est un appel à protéger, un appel à la justice, pour mettre fin à l’effacement de tout un peuple.

Pendant ce temps les rations alimentaires sont réduites, plus de 6 500 centres de formation ont fermé, un demi-million d’enfants errent sans but, et sont exposés à la traite d’êtres humains, aux blessures, au désespoir.

Dans ce climat d’abandon, une nouvelle pression dangereuse s’exerce. Des pressions discrètes s’opèrent sur les réfugiés pour qu’ils rentrent au Myanmar/Birmanie. Mais rentrer vers quoi ?

Selon le Rapporteur, l’Etat Rakhine est toujours une zone de guerre. Les civils Rohingyas sont bombardés et arrêtés, ils disparaissent. Le rapport du Haut-Commissaire est clair : les conditions pour un retour volontaire en toute sécurité et dignité n’existent pas.

Pourtant il est presque impossible de quitter les camps, moins de 1% bénéficie d’un programme de ré-installation. La protection juridique est limitée et l’aide est en train de diminuer drastiquement. Les familles font donc face à un choix impossible: entreprendre un voyage à haut risque pour traverser la mer vers la Malaisie et l’Indonésie ou bien rester prisonnières dans un néant sans fin et un avenir flou.

Soyons clairs: un retour sans garantie des droits n’est pas une solution. Un retour à la surveillance, aux prisons à ciel ouvert, à une situation d’apatridie, ce n’est pas une solution.

Les réfugiés Rohingyas le savent. Ils le répètent :  « Nous ne retournerons au Myanmar/Birmanie qu’en qualité de citoyens, en tant qu’êtres humains, et dans la dignité« .

Le futur Myanmar/Birmanie doit inclure les Rohingyas, ce n’est pas une option. C’est une urgence. Mais nous devons être inclus dès à présent et non pas ajoutés plus tard. Nous ne sommes pas des étrangers, nous faisons partie du peuple du Myanmar/Birmanie.

Pour aller de l’avant, j’exhorte respectueusement les États Membres à:

  • Développer les réinstallations dans des pays tiers,
  • Fournir une protection juridique, des services éducatifs et des moyens de subsistance à ceux qui ne peuvent pas rentrer,
  • Augmenter l’aide humanitaire, notamment dans l’État Rakhine, où l’insécurité alimentaire est à la hausse.
  • Soutenir la justice transitionnelle
  • Et veiller à ce que tout processus politique au Myanmar/Birmanie comprenne tous les groupes ethniques, notamment les Rohingyas et ce, depuis le début.

Je voudrais terminer en disant ceci : l’apatridie ce n’est pas une catastrophe naturelle, c’est de la violence. Une violence délibérée, intentionnelle, imposée par la loi, les frontières et le silence.

Pour y remédier, il faut plus que des politiques, il faut une volonté politique, il faut du courage, il faut écouter ceux qui ont survécu aux flammes et qui sont encore là, debout, aujourd’hui.

Nous n’attendons pas en silence, nous sommes en train de nous organiser, de reconstruire, de montrer la voie. Nous ne sommes pas juste des victimes, nous sommes des visionnaires.

Ne laissons pas ce jour être une occasion de plus pour le monde de détourner le regard. Mais plutôt celle ou nous sommes enfin vus et crus.

Je vous remercie.

Vous pouvez retrouver la prise de parole de Noor Azizah en anglais ici (à 1h13), ainsi que d’autres prises de parole sur la situation birmane.

Conclusion par Noor Azizah


Merci, Monsieur le Président, et merci au Rapporteur spécial pour vos efforts inlassables et votre engagement continu à établir la vérité face aux crimes atroces en cours.

Alors que nous concluons la discussion d’aujourd’hui, je tiens à saluer le travail important réalisé par de nombreux États membres et mécanismes pour maintenir le Myanmar/Birmanie à l’ordre du jour. Ce n’est pas un travail facile. Mais je dois aussi dire franchement et avec un profond respect que l’inquiétude n’est tout simplement pas suffisante.

La situation au Myanmar/Birmanie ne fait pas que se détériorer. On la laisse se détériorer. Il ne s’agit pas seulement d’une urgence humanitaire. C’est le manque de responsabilité, le manque de volonté politique et l’incapacité à s’attaquer aux causes profondes qui ont rendu cette violence possible pour la communauté à laquelle j’appartiens.

Pour les Rohingyas ce ne sont pas des échecs, mais des réalités vécues dans leur chair : des familles échouées en mer, des femmes confinées dans des camps derrière des barbelés, des enfants nés en exil qui n’ont toujours pas de citoyenneté ou d’identité légale. Il ne s’agit pas d’incidents isolés mais d’un schéma permanent.

Aujourd’hui je demande donc instamment à ce Conseil et à tous les États membres de faire preuve de clarté, et de soutenir les recommandations du rapporteur spécial.

Cela signifie qu’il faut veiller à ce que les voix des Rohingyas, et pas seulement celles des organisations qui parlent de nous, soient au centre de toutes les conversations sur la gouvernance future, la responsabilité et le rapatriement.

Cela signifie qu’il faut utiliser tous les mécanismes internationaux et régionaux disponibles pour faire pression en faveur de la protection des civils dans l’ensemble du Myanmar/Birmanie, y compris les minorités ethniques des communautés Kachin, Karen, Shan et Chin.

Cela signifie qu’il faut reconnaître que le rapatriement sans garanties de sécurité, de justice et de rétablissement des droits n’est pas une solution. C’est un risque.

Excellences, nous ne voulons pas que l’on se souvienne de nous uniquement à travers des récits de souffrances. Nous voulons participer à l’élaboration de solutions. Les Rohingyas ne sont pas des victimes passives. Nous sommes des survivants qui ont de la dignité, de la perspicacité et le droit de rentrer chez eux en pleine possession de leur identité et de leurs droits.

Ne nous retrouvons pas ici l’année prochaine avec les mêmes mises à jour, les mêmes avertissements et les mêmes conclusions.

Je vous remercie de votre attention.

Airbus se désengage d’une entreprise d’armement chinoise à la suite d’une campagne internationale

Airbus se désengage d’une entreprise d’armement chinoise à la suite d’une campagne internationale

Justice For Myanmar et Info Birmanie se félicitent de cette initiative et demandent à Airbus d’utiliser ses activités en Chine comme levier pour mettre fin à la fourniture d’armes à l’armée birmane.

Justice For Myanmar et Info Birmanie se félicitent de la décision d’Airbus de se désengager d’AviChina Industry & Technology Company Limited (AviChina), dont elle était le principal actionnaire international avec 5,03 %. L’investissement était évalué à 140 millions de dollars américains au 30 juin 2024.

Ce désinvestissement fait suite à une vaste campagne impliquant des organisations de la société civile, des groupes de grève, des syndicats, des manifestants et des particuliers du monde entier, qui ont fait campagne pour qu’Airbus use de son influence sur Aviation Industry Corporation of China (AVIC) afin qu’elle mette fin à ses relations commerciales avec l’armée de Birmanie (Myanmar), ou qu’elle se désinvestisse.

Un rapport publié en septembre 2024 par Justice For Myanmar et Info Birmanie a révélé l’investissement significatif d’Airbus dans la filiale d’AVIC cotée en bourse, AviChina Industry & Technology Company Limited.

Les produits d’AviChina comprennent l’avion léger d’entraînement et d’attaque K-8 et l’avion polyvalent Y-12, qui continuent tous deux d’être utilisés par l’armée de l’air birmane pour des frappes aériennes indiscriminées dans l’ensemble du pays.

Airbus a achevé son désinvestissement d’AviChina le 1er avril 2025 et l’a reconnu dans les informations financières publiées pour la période de trois mois se terminant le 31 mars. Dans une réponse par courriel à Justice For Myanmar et Info Birmanie, un porte-parole d’Airbus a confirmé : « Airbus SE a achevé la vente de la totalité de ses actions dans AviChina Industry & Technology Company Limited, une filiale d’Aviation Industry Corporation of China (AVIC). Airbus ne détient aucune participation dans AVIC ».

L’entreprise a refusé de faire d’autres commentaires, invoquant une plainte en cours auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) aux Pays-Bas concernant les relations commerciales entre Airbus et AVIC, plainte déposée par une organisation de la société civile birmane.

Airbus reste un investisseur important dans l’industrie aéronautique chinoise, malgré la stratégie bien documentée de la Chine en matière de fusion entre le militaire et le civil. Comme le précise le rapport d’Airbusted, Airbus exploite de multiples entités juridiques en Chine, y compris des coentreprises, en grande partie avec AVIC et ses filiales.

Les partenariats d’Airbus avec des entreprises contrôlées par AVIC sont incompatibles avec les responsabilités d’Airbus en matière de diligence raisonnable dans le domaine des droits humains, car les entreprises opérant sous le contrôle d’AVIC continuent de fournir des armes – y compris des avions militaires – à l’armée birmane. Ce faisant, AVIC risque d’aider et de cautionner les crimes internationaux commis par l’armée de Birmanie.

On ne sait toujours pas dans quelle mesure, et si, Airbus a utilisé son influence sur AVIC pour s’opposer à la poursuite des exportations d’armes vers la junte birmane.

Pourtant, en vertu des normes internationales relatives aux entreprises et aux droits humains – notamment les principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme et les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales – Airbus devrait user de son influence pour faire pression sur AVIC afin qu’elle cesse toute relation commerciale avec l’armée de Birmanie (Myanmar) ou, en cas d’échec, qu’elle se désengage de manière responsable de ses partenariats avec AVIC.

En Birmanie, les attaques aériennes aveugles se sont poursuivies alors même que les secouristes recherchaient des survivants à la suite du tremblement de terre dévastateur dit de Sagaing, qui a frappé le pays en mars 2025.

L’armée de l’air birmane ne peut mener sa campagne de terreur aérienne que grâce à la fourniture continue d’avions et d’armes associées, de matériel essentiel et de services de maintenance, de réparation et de révision par des partenaires étrangers.

En investissant dans AviChina, Airbus soutenait financièrement et profitait du développement continue et de la commercialisation d’avions militaires par AviChina et de l’exportation de ces derniers vers l’armée birmane.

Yadanar Maung, porte-parole de Justice For Myanmar :

« Le désinvestissement d’Airbus envoie un signal fort à AVIC et au gouvernement chinois : la fourniture d’avions militaires et d’armements associés à la junte birmane a un coût financier et un coût réputationnel. »

« La Chine reste le principal fournisseur d’armes, de biens à double usage, de technologies et de formations à l’armée birmane. Cette complicité doit cesser. »

« Il est impératif qu’Airbus prenne des mesures supplémentaires et utilise l’influence qu’il a sur AVIC en Chine pour qu’il cesse tout soutien à l’armée birmane, ou qu’Airbus mette fin à ses activités avec AVIC. »

Johanna Chardonnieras, coordinatrice d’Info Birmanie :

« Ce désinvestissement doit être un signal d’alarme pour les autres entreprises, en particulier les entreprises européennes, directement ou indirectement impliquées avec la junte birmane. Il existe un cadre juridique aux niveaux national, européen et international, ainsi qu’une vaste documentation sur les crimes de guerre commis par la junte birmane, que les entreprises ne peuvent plus ignorer. »

« Le désinvestissement discret d’Airbus d’AviChina ne marque pas la fin d’une responsabilité, mais plutôt une prise de conscience. Il appartient désormais à nos institutions, en particulier aux institutions françaises, espagnoles et allemandes dont les gouvernements sont les trois principaux actionnaires d’Airbus, de faire toute la lumière sur les contrats et les liens entre Airbus et le groupe AVIC et ses filiales. »

« Les outils juridiques, tels que les sanctions européennes et le devoir de vigilance, doivent être appliqués. Lorsque nos institutions ne les appliquent pas, elles mettent en péril leur crédibilité, reléguant l’application de leurs décisions aux acteurs de la société civile. »

Ce communiqué de presse est disponible en français, en anglais et en birman.

Pour plus d’information :

Lire notre rapport Airbusted, disponible en français et anglais.

L’article de Disclose « Birmanie : Airbus impliqué dans l’armement de la junte militaire »



Une réponse basée sur les communautés locales au tremblement de terre, est la seule réponse possible

Une réponse basée sur les communautés locales au tremblement de terre, est la seule réponse possible

Tribune de Khin Ohmar, publié en anglais sur DVB le 28 avril 2025. Traduction en français par Info Birmanie.

Le tremblement de terre dévastateur de Sagaing qui a frappé la Birmanie (Myanmar) le 28 mars a ajouté une nouvelle vague de dévastation dans un pays déjà en crise. Pour de nombreuses personnes dans le monde, ce tremblement de terre apparaît comme la dernière d’une série de catastrophes naturelles. Mais pour le peuple birman, il s’agit d’une nouvelle plaie ouverte pour une nation qui souffre déjà de la violence et de l’oppression d’une junte militaire brutale.

Toute tentative de réponse à cette catastrophe doit commencer par une constatation fondamentale : il ne s’agit pas simplement d’une urgence humanitaire, mais d’une urgence politique. Il ne peut y avoir de reconstruction efficace et éthique si l’on permet aux responsables de la souffrance de contrôler la solution tout en continuant à détruire des vies par des bombardements et des meurtres. 

Pourtant, certaines propositions – comme celle récemment publiée dans le Jakarta Post par William Sabandar – suggèrent de confier à la junte militaire un rôle central dans la reconstruction, à condition qu’elle fasse preuve de « transparence et de responsabilité ». Cette proposition, au-delà d’être naïve, est dangereuse.

L’aide ne doit pas passer par la junte

Depuis 2021, l’armée birmane mène une campagne de terreur contre la population, sous la forme d’une punition collective, pour avoir rejeté catégoriquement sa tentative de coup d’État. 

Elle a bombardé des écoles et des villages, brûlé des maisons, pris pour cible des médecins et bloqué l’accès à l’aide humanitaire utilisée comme une arme de guerre. Aucun contrôle technique ni aucune bonne intention ne peut assainir l’aide fournie par cette junte.

Nous avons déjà vu cela par le passé. Lors du cyclone Nargis en 2008, la junte de l’époque a d’abord bloqué l’aide internationale et manipulé la crise pour consolider son pouvoir, tandis que l’aide apportée à la suite du cyclone Nargis a permis aux familles et aux proches des militaires d’en tirer un profit personnel et d’accumuler des richesses. 

La différence aujourd’hui est que cette junte est une entité criminelle qui lutte contre le gouvernement légitime de Birmanie (Myanmar) et son peuple.

M. Sabandar affirme que la junte doit s’engager dans la reconstruction après post catastrophe et que la « transparence et la responsabilité » peuvent garantir l’efficacité. Mais le mouvement de résistance et la société civile birmane sont mieux informés. 

Une véritable transparence est impossible avec une junte au passé endémique de corruption qui assassine des enfants, viole des femmes, emprisonne des journalistes, bombarde des civils et emprisonne des représentants élus du gouvernement. 

Ce dont le pays a besoin, ce n’est pas d’un engagement avec la junte, mais d’une réorientation de l’aide là où elle est la plus efficace: les organisations communautaires/locales, les prestataires de soins de santé en zone ethniques et les réseaux humanitaires transfrontaliers qui opèrent sous le feu depuis des années et parviennent toujours à atteindre les personnes dans le besoin.

L’ASEAN n’est pas la solution

Les appels lancés à l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) pour qu’elle dirige l’effort de reconstruction au niveau régional font écho à une stratégie familière mais vouée à l’échec. Depuis la tentative de coup d’État illégal de 2021, l’ASEAN a évoqué à plusieurs reprises son consensus en cinq points, sans pour autant prendre de mesures significatives pour le mettre en œuvre. 

Elle a refusé de reconnaître la cause première – l’armée birmane – et, au contraire, a accordé à la junte illégale une fausse légitimité et un espace intolérable sur la scène régionale.

Le consensus inefficace de l’ASEAN a entamé sa quatrième année d’échec le 24 avril. Proposer aujourd’hui que l’ASEAN soit l’acteur principal de la réponse au tremblement de terre en Birmanie (Myanmar), c’est ignorer ces quatre années d’échec. 

Pire encore, cela risque de légitimer une junte que la population birmane a rejetée avec force et à une écrasante majorité. Un « rôle de leader » régional dans ce contexte servirait de couverture à la poursuite des crimes atroces et à le militarisation de l’aide par l’armée.

L’ASEAN n’est pas neutre – elle a été complice des atrocités commises par la junte. Même pendant et après la rencontre entre le président de l’ASEAN et le chef de la junte Min Aung Hlaing à Bangkok, les attaques terrestres et aériennes contre les civils se sont poursuivies dans les zones touchées par le tremblement de terre et au-delà, sans tenir compte de l’appel au cessez-le-feu lancé par l’ASEAN. 

Depuis le tremblement de terre, la junte a mené au moins 207 attaques, dont 140 frappes aériennes et 24 barrages d’artillerie, ciblant délibérément les civils.  

Depuis sa propre déclaration de « cessez-le-feu » du 2 avril, la junte a tué au moins 161 personnes et en a blessé près de 300 autres. Compte tenu du mépris de longue date de l’armée pour la vie humaine, il est on ne peut plus clair que celle-ci n’a absolument aucune volonté politique réelle de fournir une aide efficace ou d’instaurer une paix durable.

L’ASEAN et la communauté internationale dans son ensemble ne doivent pas exploiter la catastrophe du tremblement de terre pour normaliser les relations avec la junte, lui accorder une fausse légitimité, approuver son simulacre d’élections ou faire avancer les tentatives de « dialogue inclusif » qui permettront de légitimer à nouveau l’armée et de prolonger les crises. 

Au lieu de cela, l’ASEAN doit fournir une aide par le biais de canaux frontaliers, directement par l’intermédiaire d’organisations communautaires/locales et d’humanitaires de première ligne, en collaboration avec les organisations de la société civile (OSC), le NUG et les ERO.

En outre, l’ASEAN et la communauté internationale dans son ensemble doivent prendre des mesures concrètes et immédiates pour mettre fin aux attaques terrestres et aériennes de la junte en imposant un embargo global sur les armes, incluant le carburant d’aviation et les biens à double usage.

Si nous voulons vraiment soutenir le rétablissement et la reconstruction de la Birmanie (Myanmar), nous devons aller au-delà des formules diplomatiques régionales inefficaces et écouter les personnes qui risquent tout pour leur avenir. 

Si l’ASEAN souhaite réellement parvenir à une solution à long terme pour la Birmanie (Myanmar), la seule façon d’avancer est de soutenir pleinement les efforts inlassables du peuple pour parvenir à un avenir pacifique et durable, débarrassé de la tyrannie militaire.

On ne peut pas mieux reconstruire sous les bombes

Sabandar suggère de tirer des leçons de la reconstruction de l’Indonésie après le tsunami à Aceh ou de la réponse au tremblement de terre de Nias en 2005. Mais ces comparaisons sont profondément erronées. 

L’Indonésie disposait alors d’un gouvernement fonctionnel et légitime, désireux de collaborer de bonne foi avec les acteurs nationaux et internationaux.

Aujourd’hui, la Birmanie (Myanmar) n’est pas gouvernée mais ruinée par une junte qui est non seulement illégitime mais qui commet activement des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre contre sa population.

L’expression « reconstruire en mieux » a un sens dans un environnement post-conflit ou post-catastrophe où règnent la paix et la stabilité. En Birmanie (Myanmar), les bombes continuent de tomber.

Des communautés entières sont déplacées non pas par des forces naturelles, mais par des frappes aériennes et des attaques au sol menées constamment et délibérément par la junte. 

Il ne peut y avoir de reconstruction, ni d’avenir meilleur, tant que la violence ne cessera pas et que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes de la souffrance.

Obstruction et militarisation de l’aide par la junte

La militarisation de l’aide par la junte ne peut pas être jugée en fonction de la présence de soldats de la junte qui bloquent les routes avec des armes ou qui pilent les cargaisons d’aide. La situation n’est pas aussi simple et directe qu’Andrew Nachemson le dépeint dans Foreign Policy.

Elle peut se manifester sous de nombreuses formes. La rétention de l’aide, la distribution inéquitable, les restrictions, l’arrestation des travailleurs humanitaires, la saisie ou la menace de saisie de l’aide, l’extorsion et le blocage de l’information font tous partie de l’obstruction et de la militarisation.

Les témoignages sur l’obstruction, la manipulation ou la militarisation de l’aide par la junte varient selon les personnes qui en ont fait l’expérience ou qui en ont été témoins, selon les différents contextes de ces personnes et le statut de ces organisations, et surtout selon les personnes qui sont prêtes à s’exprimer.

Dans ce cas, les expériences et les récits des principaux bénéficiaires ou des communautés touchées doivent être sérieusement pris en compte. Nous ne pouvons pas juger superficiellement et affirmer que la junte « ne fait peut-être pas obstacle à l’aide en cas de catastrophe, malgré ses mauvais antécédents », comme l’indique le sous-titre de l’article de Nachemson. Certains habitants de Sagaing et de Mandalay se sont même exprimés sur le fait qu’ils ne recevaient aucune aide.

Nous ne pouvons pas non plus mettre de côté l’armement de la junte et le blocage de l’aide aux personnes déplacées à l’intérieur du pays (IDP) qui fuient les frappes aériennes et les attaques d’artillerie.

À ceux qui affirment que l’armée ne bloque pas l’aide aux victimes du tremblement de terre, je pose la question suivante : qu’en est-il de l’aide d’urgence aux personnes déplacées fuyant les bombardements dans les zones touchées par le tremblement de terre, comme à Sagaing ?

Selon des rapports locaux, les autorités de la junte dans certaines régions ont spécifiquement donné pour instruction de ne pas distribuer d’aide aux personnes déplacées qui ont fui les zones de conflit.

Nous voyons des internautes partager des messages sur les réseaux sociaux et des reportages dans les médias, y compris des photos de communautés touchées par le tremblement de terre et vivant dans des sites temporaires sous des tentes fabriquées localement, qui ne sont pas destinées à l’aide en cas de catastrophe et sont distribuées par des groupes d’aide locaux.

Pendant ce temps, des tentes de secours internationales sont fournies aux survivants de l’immeuble Sky Villa qui s’est effondré, en raison de leur statut économique et social élevé.

Même les agences de l’ONU publient sur leurs réseaux sociaux des photos de personnes vivant sous ces tentes fabriquées localement. Il faut maintenant se poser la question : Où sont les tentes de secours données par la communauté internationale ?

Le ministère des affaires étrangères de la junte n’a cessé d’annoncer des dons internationaux en espèces et en nature pour venir en aide aux victimes du tremblement de terre, notamment de la part du Japon et de l’Union européenne. 

L’appel à la transparence et à la responsabilité, y compris à une distribution juste et équitable de l’aide, n’a pas pour but d’aggraver la situation, comme certains pourraient le penser, mais de garantir que l’aide parvienne aux communautés touchées comme prévu et comme elle devrait l’être.

Les acteurs de l’aide internationale font également preuve de partialité et de discrimination dans leur approche des parties prenantes locales. Ces agences internationales ne disposent pas, ou ont peur de mettre en place, des mécanismes de contrôle pour s’assurer que l’aide remise à la junte n’est ni exploitée ni manipulée.

Cela signifie que ces agences prennent injustement des décisions présomptueuses selon lesquelles l’aide passant par le NUG, les OSC et les organisations communautaires/locales indépendantes de la junte sera utilisée à d’autres fins que l’aide humanitaire. Cette approche enfreint déjà les principes humanitaires d’impartialité et de neutralité.

Comme l’ont écrit 270 OSC dans une déclaration, « Nous insistons sur le fait que ces efforts de secours en cas de catastrophe, par l’intermédiaire de tout partenaire de mise en œuvre, ne doivent pas être exploités, manipulés ou instrumentalisés par la junte militaire à des fins politiques et militaires. Nous demandons instamment aux Nations unies, aux pays voisins et à l’ensemble de la communauté internationale de se souvenir de l’histoire douloureuse de la Birmanie (Myanmar), marquée par la manipulation de l’aide par l’armée en cas de catastrophe naturelle, et d’agir fermement pour protéger les communautés touchées et vulnérables de l’exploitation et de nouvelles souffrances. Le peuple birman mérite une aide qui allège ses souffrances, et non une aide exploitée en son nom ou utilisée comme arme contre lui.« 

Une réponse par peuple, et non une « aide humanitaire » mené par la junte

À quoi ressemble donc une réponse juste et efficace ?

Elle commence par la reconnaissance des véritables représentants du peuple birman: le mouvement de résistance démocratique dirigé par le NUG, le Conseil consultatif de l’unité nationale, les organisations de résistance ethnique, les groupes de femmes, les leaders de la jeunesse et les acteurs de la société civile. Ce sont ces voix qui doivent façonner le rétablissement, et non les généraux qui ont créé la crise.

Les groupes de la société civile, les défenseurs des droits humains et les activistes n’ont pas attendu ; ils se sont mobilisés et ont lancé des missions d’aide d’urgence dans le cadre de leur approche de solidarité « de personne à personne » dès les premières 24 heures suivant le séisme, tout en alertant la communauté internationale et en préconisant des solutions pour une réponse efficace.

Une déclaration commune des OSC recommande que l’aide soit acheminée par l’intermédiaire des groupes communautaires/locaux, des ERO et du NUG, simplement parce que la plupart des zones touchées sont sous le contrôle effectif de la résistance, tandis que les villes les plus gravement touchées, comme Naypyidaw, Mandalay et Sagaing, sont sous le contrôle de la junte ; certaines zones voisines ont un contrôle alterné entre les deux parties.

Les « dommages sévères ou importants » causés par un tremblement de terre ne se mesurent pas en fonction du nombre de morts et du nombre de gratte-ciel qui se sont effondrés, comme ce que le monde a vu à Mandalay ou à Naypyidaw, où les informations sur les destructions ont été bloquées par la junte, puis rapportées par de courageux journalistes citoyens et des médias indépendants.

Il ne s’agit pas ici de savoir quelles sont les zones les plus durement touchées, mais de constater que des zones échappant au contrôle de la junte ont aussi subi le tremblement de terre, et que l’aide internationale ne peut pas et n’atteindra pas ces zones par l’intermédiaire de la junte. C’est là que nous voyons la nécessité d’acheminer l’aide internationale par l’intermédiaire des groupes d’aide locaux.

L’aide internationale doit être redirigée par l’intermédiaire de réseaux humanitaires locaux de confiance qui opèrent indépendamment de la junte. En particulier, pour que l’aide parvienne aux communautés des zones touchées sous le contrôle de la résistance, les acteurs de l’aide internationale doivent collaborer avec le NUG, les ERO et la Force de défense du peuple (PDF), car de nombreuses zones touchées par le tremblement de terre de Sagaing au-delà des villes de Sagaing et de Mandalay ne sont pas sous le contrôle de la junte, mais sous le contrôle du mouvement de résistance avec des administrations menées par la population.

Les associations ethniques frontalières et les OSC locales ont prouvé à maintes reprises qu’elles pouvaient apporter leur aide de manière efficace, éthique et digne.

Sur le plan diplomatique, la communauté internationale doit cesser d’hésiter. Elle doit reconnaître officiellement le NUG et accroître son soutien aux mécanismes qui obligent les dirigeants de la junte à rendre des comptes, par le biais de sanctions, d’actions en justice et de renvois à des processus judiciaires internationaux tels que la Cour pénale internationale (CPI). Ne pas agir de manière décisive n’est pas de la neutralité, c’est de la complicité.

Ce moment exige une boussole morale

Au lendemain d’une catastrophe sismique aussi dévastatrice, il est naturel de vouloir aider à reconstruire et soigner. Mais en Birmanie (Myanmar), la guérison ne peut se faire sans justice ; le rétablissement ne peut se faire sans obligation de rendre des comptes. La reconstruction ne peut se faire tant que la junte continue à créer des décombres.

Les habitants de Birmanie (Myanmar) ne sont pas des victimes passives. Ils mènent leur propre résistance, organisent eux-mêmes les secours et la reconstruction, conçoivent leur propre avenir et s’efforcent de le réaliser.

Il est temps que la communauté internationale suive leur exemple, et non celui des généraux qui leur ont infligé cette catastrophe.